
Après les opinions d'experts et de jeunes hongrois, Nouvelle Europe interroge le caricaturiste et étudiant en Philosophie et Études des religions, Ármin Langer. Il nous parle de son engagement politique et donne ses explications sur la situation de son pays, avant d'aller démonter sa dernière exposition…
Depuis quand la politique intérieure hongroise t'intéresse-t-elle et pourquoi ?
Elle m'intéresse depuis que je suis adolescent et c'est l'esprit du tikkum olam (une intention de réparer le monde) qui me conduit sans cesse avec une puissance de vapeur.
À ton avis, un jeune comme tes amis ou toi peut-il influencer de manière active les évènements de la politique intérieure ?
Absolument ! Cela se fait avec de l'activisme social, en élevant notre voix. Nous ne pouvons pas bouleverser les choses, mais nous pouvons donner des signes. Et nous avons bien sûr le droit de vote.
Né en 1990, à peine à l'âge de 20 ans, tu es membre actif d'une association politique humoristique, du Magyar Fokhagymafront (NDLR Front de l'Ail hongrois, le nom se réfère à une polémique en Hongrie née de l'importation d'ail chinois).
Je dois noter que je suis le fondateur et président de la MAFOF.
Quelle est la motivation à la base de cette association ?
Nous voulons démontrer l'absurdité du comportement odieux des politiques extrémistes et montrer en même temps que nous n'en avons pas peur. Plusieurs personnes nous ont remerciés parce que nous répondons à l’absurdité par l’absurdité et que nous dispersons les angoisses des personnes intimidées. Ces retours montrent que c'était une bonne chose de lancer ce projet.
Votre but est-il donc la parodie ou plutôt un but politique ?
Notre but est la parodie politique ; nous nous auto-définissons comme un groupe d'art politique.
Le MAFOF a participé à la manifestation du 2 janvier contre la nouvelle Constitution. Sur votre page facebook (https://www.facebook.com/pages/Magyar-Fokhagymafront/192404807452971), les étrangers peuvent lire : « To our foreign followers: yesterday the Hungarian Garlic Front participated in a demonstration with 100 000 people against the new contitution, which is just too liberal. (The others found it too authoritarian, dunno why.) ». Où la parodie finie-t-elle et où commence la critique politique ? Par exemple, si le MAFOF participe à une telle manifestation, peut-il le faire avec des slogans parodiques ?
Oui, il le peut. Notre tâche est plus difficile dans une telle manifestation que pendant les fausses manifestations que nous organisons mais heureusement, l'écho de la presse et des spectateurs est aussi positif dans l'un que dans l'autre. Après la manifestation devant le Nouveau Théâtre (NDLR Új Színház, il s'agit d'une manifestation organisée le 1 février 2012 contre le directeur György Dörner, qui venait de prendre ses fonctions) et après notre participation le 2 janvier, le nombre des likes de notre page facebook a doublé d'une semaine sur l'autre.
Selon le modèle de la Marche de la paix du janvier, la manifestation pro-gouvernementale du 21 janvier 2012, le MAFOF a organisé une Marche de la grenouille (NDLR 'Marche de paix' se dit 'Békemenet' en hongrois ; 'Marche de la grenouille' est un jeu de mots car il se dit 'Békamenet'). Pourquoi ?
La Marche de la grenouille est la parodie d'un esprit politique que l'on pourrait décrire avec l'expression « nationalisme pseudo-chrétien fanatique ». 400 000 personnes défilent sur l'Avenue Andrássy avec des slogans tels que « UE = Union Soviétique », « L'homosexualité est une maladie », « Nous ne serons pas une colonie ! » ?! Au XXIème siècle, en Europe ?!
Sur votre site internet (http://fokhagymafront.blog.hu/), beaucoup de commentaires concernent l'ancien chef du parti MIÉP István Csurka (NDLR Parti de la justice et de la vie hongroise (NDLR Magyar Igazság és Élet Pártja ; ce parti d'extrême droite n'a plus réussi l'entrée au Parlement en 2010). Or, le MIÉP n'est qu'un parti très faible et le Jobbik (la formation politique d’extrême droite du pays, troisième force politique) joue un rôle beaucoup plus important dans la vie politique. Pourquoi ce parti n'est pas critiqué sur votre site ?
Nous nous ficherions, si je peux le dire comme cela, d'István Csurka (requiescat in pacem) (NDLR István Csurka est mort le 4 février 2012), s'il n'avait pas été l'un des candidats pour le poste d'intendant d'un théâtre financé par des fonds publics (NDLR Csurka a postulé pour le poste d'intendant du Nouveau Théatre (Új Színház), avec le directeur György Dörner, mais sa candidatue a été refusé par le maire de Budapest István Tarlós). En ce qui concerne le Jobbik : nous avons décidé dès le début que nous allons agiter l'opinion contre l'extrême droite en général, et non pas contre des formations de partis en particulier.
Comment juges-tu personnellement le rôle du Jobbik dans la sphère politique hongroise ? Combien de sympathisants son idéologie antisémite, anti-rom, homophobe et eurosceptique trouve-t-elle dans la situation actuelle ?
À mon avis, la popularité du Jobbik s'est agrandi vite grâce aux pleurnicheries qu'a mises à l'oeuvre le groupement « antifasciste » autour de l'ancien Premier ministre Gyurcsány à cause de quelques brutes en rangers réunies pour la formation de la Magyar Gárda (Garde hongroise) (NDLR après les manifestations en 2006 autour de la déclaration controversée de l'ancien Premier, l'accent a été souvent mis sur les participants extrémistes). La réponse radicale et centrée sur l'État est un résultat directe de la politique néolibérale à tout va dont nous étions les témoins ici lors des dernières années (NDLR référence au gouvernement entre les libéraux et la gauche de 2002 à 2010).
En ce qui concerne l'antisémitisme et la haine des Roms : c'est une recette qui date de plusieurs milliers d'années. Si tu vas mal, tu vas faire passer ton énergie négative en donnant un coup de pied à celui qui est plus faible que toi, ce qui sont dans notre cas ces minorités. Dans la situation actuelle, il y a beaucoup de gens en chient, ils voudraient bien donner un coup de pied à quelqu'un d'autre.
Par conséquence, le ballon Jobbik s'éclatera une fois que nous retrouvons le bien-être, ce qui pour moi se fera dans un système social-démocrate (ce qui n'est pas à confondre avec la politique du laissez-faire à la « L'État est à vendre » que représente le MSZP-DK (NDLR le Parti Hongrois Socialiste (Magyar Szocialista Párt) et la nouvelle Coalition Démocratique (Demokratikus Koalíció)).
On a pratiquement partout critiqué la situation politique actuelle hongroise : de la Commission européenne aux chefs d'État, en passant par les membres du Parlement européen et les journalistes. Quelle est ton opinion sur le portrait inquiet que dressent les médias européens de la « Nouvelle Hongrie » ?
Ce portrait inquiet est exagéré mais c'est bien qu'il existe, parce que personne ne s'occuperait de la situation s'il n'y avait pas de scandale, et les choses se transformeraient dans l’ombre comment on les dépeint aujourd'hui. Le courant actuel ne représente en effet pas la démocratie libérale et il se caractérise par un fort nationalisme. Mais la liberté de presse existe encore (même si les médias publics se livrent à des manipulations) – autrement, je ne pourrais pas faire toutes mes activités agitatrices, du journalisme, l'organisation de manifestations, etc.
L'UE a-t-elle le droit d’exprimer son opinion sur la Hongrie à ce point, sur le plan constitutionnel, économique et juridique ?
Il est dans l'intérêt propre de l'UE qu'aucun État membre ne mène une sorte de politique de kamikaze, entraînant ainsi éventuellement des États plus sobres, mais vulnérables. Cela n'est pas seulement une question de prestige. Je vais encore plus loin : ce ne sont pas seulement l'UE ou l'Europe au sens large qui sont responsables de la Hongrie, mais tout le monde, de la même manière que la Hongrie est responsable devant tous. Nous devons transgresser la perspective selon laquelle ce qui se passe à l'étranger ne nous concerne pas ; cela ne marche absolument pas dans un monde si petit et mondialisé comme le nôtre.
Dans le contexte économique et politique d'aujourd'hui, un étudiant hongrois est-il dans une situation différente de n'importe quel autre étudiant européen ?
À mon avis, notre situation n'est pas radicalement différente, on peut y survivre, nous ne vivons pas sous une dictature autoritaire. Il y a des bêtises qui sont commises, comme l'attachement à la glèbe (NDLR Concept du Moyen Âge qui se réfère à la contrainte du serf de rester attaché à la glèbe, ou ne pas pouvoir quitter sa terre sans l'accord de son seigneur ; on l'utilise actuellement en Hongrie pour décrire le plan de réforme des universités selon lequel les étudiants boursiers seraient obligés de rester et travailler en Hongrie dans les vingt années suivant l'obtention de leurs diplômes pour une période deux fois plus longue que leurs études). Mais même cela n'est pas la fin du monde.
Les frais d'études qu'on veut introduire maintenant sont une chose acceptée dans plusieurs autres pays, qui sont des États tout à fait en bon fonctionnement (cela dit, en tant que personne de gauche, je condamne toute sorte de frais d'études). Pour l'instant, il n'y a que des problèmes, mais il n'y a pas encore de danger. Ce danger commence pour le pays, non pas pour les jeunes, quand de nombreux jeunes quittent le pays à cause du contexte défavorable ; ce que commencent d'ailleurs à faire de plus en plus de personnes parmi mes amis.
S'il y avait des élections anticipées en Hongrie, quel parti gagnerait ? Y-a-t-il une alternative face à la majorité du Fidesz ?
Le Fidesz gagnerait ces élections anticipées. L'alternative ne pourrait être qu'une opposition qui rassemble, mais ça n'existe pas pour l'instant chez nous. Une autre question est qu'une coalition entre MSZP-LMP-DK-Szolidaritás-4K-je-ne-sais-qui n'apporterait pas non plus la rédemption (NDLR ce sont, à part le parti socialiste MSZP, des partis récemment formés, dont seulement deux, MSZP et le libéral-gauche LMP (Lehet más a politika, "La politique peut être différente") sont représentés au Parlement hongrois).
Nous avons déjà vu plusieurs exemples d'une telle coalition type tous-contre-un, le plus récemment en Slovaquie, qui attend actuellement des élections anticipées suite à une crise de son gouvernement.
(Par ailleurs, je n'ai pas utilisé l'expression « opposition » à la place de « partis de gauche » par hasard : même les philosophes politiques les plus permissifs ne décriraient pas la moitié de ces partis comme étant de gauche.)
Traduction du hongrois : Annamária Tóth
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Dans notre série sur la Hongrie de Orbán : Antonela Capelle-Pogǎcean : « une réaction nationaliste de cité assiégée » en Hongrie, Éva Tersztyánszkyné Vasadi : « La Hongrie est un État de droit constitutionnel, avec un parlement majoritaire élu démocratiquement ! », Hungary: the Black Sheep of the EU?, Renaud Dehousse : Droit communautaire et sanction(s) de la législation hongroise
- Nouveau départ ou fin de la démocratie en Hongrie ?
- La nouvelle Constitution hongroise : un "renouveau spirituel et intellectuel"?
Source photo : Ármin Langer pour Nouvelle Europe