
Les élections grecques du 25 janvier ont été perçues comme une contestation de l’austérité en Europe. En même temps, une majorité frappante de Grecs souhaite rester dans l’eurozone. Que signifie la victoire de Syriza, et dans quel contexte? Compte-rendu de la conférence du 5 février à la London School of Economics (LSE).
Pour Dionyssis Dimitrakopoulos (maître de conférences à Birbeck College), il y a beaucoup de « sagesse » dans les résultats des dernières élections. Tout d’abord, les Grecs ont massivement rejeté l’austérité (rejet exprimé par 4 des 7 partis représentés au Parlement). Ensuite, Syriza, le parti de gauche radicale largement en tête, est entré en coalition [avec le parti souverainiste des Grecs Indépendants], ce qui « éloigne davantage la Grèce des ‘messies’ », une culture politique dont le pays a souffert.
Selon le politologue, le soutien à Syriza est en fait très large et ne vise pas des groupes en particulier. D’après un récent sondage de Kapa Research, Syriza bat Nouvelle Démocratie [le parti de centre-droit du gouvernement sortant] dans chaque catégorie d’âge, sauf les plus de 65 ans ; pour chaque niveau d’éducation ; autant chez les hommes que chez les femmes.
Le gouvernement mené par Syriza compte de très bons éléments comme Panagiotis Nikoloudis, vice-ministre de la Justice (auparavant président de la Commission indépendante anti-corruption et anti-blanchiment) – et d’autres plus inquiétants, comme Panos Kammenos des Grecs Indépendants, nommé à la défense. Un défi majeur qui attend ce gouvernement est de mettre dans la situation de réformateur un parti dont de larges segments ont conservé une tradition d’opposition.
La victoire de Syriza est importante, avance Dimitrakopoulos, car elle pose la question de la valeur des élections nationales dans un système démocratique européen qui peut les contredire. Face à ce premier parti d’Europe à accéder au pouvoir sur un programme explicitement anti-austérité, les leaders européens craignent désormais que le mouvement gagne d’autres pays comme l’Espagne, dont la dette publique est bien plus importante. C’est la doctrine ‘TINA’ [There Is No Alternative] qui est bousculée.
C’est le contexte politique particulier de ces élections qu’éclaire Daphne Halikiopoulou, enseignante à l’Université de Reading. Pour elle, la crise économique liée à la dette publique s’est mutée en crise politique, avec une ampleur inconnue d’autres pays européens. « Il y avait là un problème fondamental, les gens ont questionné essentiellement la capacité de l’Etat » à assurer une certaine stabilité et à gérer les problèmes économiques.
Un autre aspect important de ces élections est la montée en puissance d’Aube dorée [parti néo-nazi], depuis sa naissance dans les marges du paysage politique en 1994 jusqu’aux élections de 2015 où le parti est arrivé troisième.
Halikiopoulou remarque que la victoire de Syriza est une remise en question du système bi-partisan grec, qui n’avait vu depuis 1974 que l'alternance entre le centre–droit [Nouvelle Démocratie] et le centre-gauche [Pasok]. Ce qui s’est produit lors de ces élections, c’est l’agrégation de votants de toute couleur politique (y compris de droite) au profit de Syriza. Elle argumente dans le même sens que Dimitrakopoulos : pour elle, Syriza n’a pas seulement attiré à lui les chômeurs ou les employés du secteur public (comme attendu), le parti de gauche radicale a aussi mobilisé la classe moyenne du secteur privé. Autre élément notable, Syriza en s’alliant avec les Grecs Indépendants ne s’est pas positionné sur le clivage gauche/droite, mais sur celui d’une contestation du plan européen de renflouement de la Grèce – précisément pour attirer cette classe moyenne.
Le directeur du Départment Finance de la LSE, Dimitri Vayanos, propose une approche plus économique des évènements en Grèce. Il attribue des succès et des échecs au plan de renflouement de l’Etat grec.
Du côté des succès, la Grèce est parvenue avant tout à rester dans l’eurozone. Les banques au bord de la faillite ont été recapitalisées. Le déficit public primaire était énorme en 2009 – 10.5% du PIB -, il est devenu un excédent primaire en 2014 et devrait augmenter. Les reformes menées depuis la crise ont notamment réduit les barrières à l’exportation de biens, et il est devenu beaucoup plus facile de créer une entreprise en Grèce. Enfin la croissance est revenue, après une chute du PIB de l’ordre de 25% entre 2008 et 2012.
En ce qui concerne les échecs de ce plan, Vayanos constate le déclin important de l’investissement (11,3% du PIB en 2013). Les réformes du secteur public ont été limitées. Un autre aspect inquiétant est l’amélioration (relative) de la balance commerciale grecque, qui s’est faite essentiellement par la réduction des importations, alors que d’autres Etats européens bénéficiant d’un plan de renflouement (Espagne, Irlande, Portugal) ont atteint ce résultat principalement via l’augmentation de leurs exportations. C’est pour le professeur un signe important du dysfonctionnement de l’économie grecque, au-delà du contexte de crise.
Pour Vayanos, l’Etat grec doit maintenant progresser dans deux directions : moins d’intervention de l’Etat dans l’économie, plus d’indépendance du secteur public vis-a-vis des politiques. Pour lui, l’amélioration de la situation dépend moins de la dette publique en elle-même (les maturités des titre de dettes pourraient être allongées en échange de réformes structurelles) que de l’évolution de l’économie grecque. C’est ainsi qu’il justifie son pessimisme au sujet du nouveau gouvernement : « anti-marché », « étatiste » - comment pourrait-il répondre aux besoins de l’économie ?