
Au matin du mercredi 14 mai, Nouvelle Europe rencontrait autour d’un café Pascal Durand (EELV), tête de liste en Ile-de-France. Le co-fondateur du mouvement Europe Ecologie, qui avait créé la surprise en 2009 (plus de 16% au niveau national), nous donne son point de vue sur la campagne 2014.
Avocat de formation, longtemps écologiste en dehors des partis, Pascal Durand se présente pour la première fois aux élections européennes – mais ce n’est pas la première fois qu’il s’y implique. En 2006, il défend le Pacte écologique de Nicolas Hulot pour que les politiques publiques intègrent systématiquement la dimension écologique, ce qui contribua largement à lancer le Grenelle de l’Environnement en 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. C’est la même ambition, mais à dimension européenne, qui le pousse à créer le mouvement Europe Ecologie avec Daniel Cohn-Bendit et Jean-Paul Besset, associant monde des ONG et parti des Verts. Aux européennes de 2009, l’avocat est directeur de campagne ; le mouvement surprend et prend la troisième place avec plus de 16% des votes. A la veille des élections de 2014, le contexte pourrait être bien différent.
« On est obligé de travailler dans le brouillard » : il n’y a pas de sondages pour les élections européennes en Ile-de-France, nous explique Pascal Durand. Cette région relativement pro-européenne ne semble pas intéresser les médias. Le seul indice qu’on peut avoir, avec l’Eurorolling Paris Match [NDLR enquête d'intention de vote (nationale) aux européennes en continu menée par Ifog-Fiducial pour Paris-Match], a fait démarrer les Verts à 7% pour arriver aujourd’hui à 10%. C’est donc une tendance haussière – et Durand rappelle avec optimisme le scénario de 2009, quand Europe Ecologie avait également démarré à 7% !
Et donc, malgré le « brouillard », resterait l’intuition qu’il y a un espace pour les pro-européens. Quand bien même « le mainstream est à l’euro-bashing ». Un espace qu’il n’est pas si facile de conquérir pour les « euro-tartuffes » qui tiennent un double discours dans l’univers européen : Pascal Durand évoque les socialistes parlent d’Europe fédérale tout en votant la baisse du budget européen 2014-2020. Selon lui, la marque d’EELV est par contraste celle de la cohérence – soutenir tout ce qui peut renforcer l’Europe (notamment sur le plan démocratique). Qu’on prenne le cas d’Alstom ou celui du Rafale, il semble peu raisonnable qu’on raisonne en termes de pôles franco-français alors que les marchés sont au minimum européens.
Il faut arriver à mobiliser les pro-européens. Convaincre aussi les citoyens que si Bruxelles n’est pas responsable de 80% de la législation (chiffre exagéré pour l’avocat de formation), une grande partie du droit de l’environnement et de la santé vient de l’Europe. Ce qui affecte directement le quotidien des gens : « l’air qu’on respire, l’eau qu’on boit, la nourriture qu’on mange… L’Europe qui protège, elle est là ». Durand prend l’exemple de la qualité de l’air en France : elle est mauvaise notamment parce qu’on ne respecte pas les normes européennes en la matière. Autre exemple, concernant la régulation bancaire : l’action du commissaire européen de centre-droit Michel Barnier lui semble être allée plus loin que celle de l’ex-ministre des finances socialiste Pierre Moscovici. L’Europe doit donc être le lieu non pas de l’opposition gauche-droite, mais de l’intérêt général contre les intérêts privés.
La mobilisation autour des enjeux européens reste toutefois difficile. C’est partiellement la faute à « un état d’esprit » de la classe politique française, confie Durand en évoquant que lors du discours de François Hollande au Parlement européen de Strasbourg [le 5 février 2013], il était le seul chef de parti français à être présent.
Et les abstentionnistes (de plus en plus nombreux chaque année), comment faire pour les convaincre ?
Le crédo d’EELV, nous expose Durand, consiste à occuper tous les espaces de parole pour parler sur le fond d’Europe et de ne pas nationaliser les débats – si le FN sera le premier parti ou pas, ce n’est pas l’enjeu de ces élections. Un autre écueil à éviter pour la tête de liste des Verts : le double discours, encore une fois, « qui fait un mal considérable à la politique… Les gens n’y croient plus » ! Enfin, il ne suffit pas d’agiter des drapeaux européens pour donner envie d’Europe : il faut des projets (qui mènent aux « solidarités de fait » dont parlait Schuman) et un horizon. Prenez la facture énergétique : 480 milliards d’euro par an d’importations d’hydrocarbures dans l’UE ; en en économisant 20% par des politiques d’efficacité énergétique, soit plus de 90 milliards, on a de quoi investir dans la construction, les voitures intelligentes ou les transports publics, et on crée de l’emploi. Le projet de taxe sur les transactions financières va être réduite à très peu, en ne taxant pas les produits bancaires dérivés (l’Allemagne défendant les intérêts de la Deutsche Bank, la France ceux de BNP Paribas et de la Société Générale…) : on se prive de projets.
Pour Durand, si on se dessaisit de ces questions-là, elles continueront de toute façon à être traitées, mais pas de manière démocratique.
On lui pose une autre question : dans ces élections où l’on a vu arriver dans les listes de partis des choix de personnalités un peu surprenantes, comment EELV a de son côté organisé le choix de ses candidats ?
Le système s’inspire de celui allemand, nous dit Durand : auprès des militants, un scrutin national sur des listes issues des mouvements du parti, combiné à un scrutin régional où on vote des personnes (comme José Bové, qui ne relève d’aucun courant particulier du parti). Enfin, le Conseil fédéral vote d’après ces résultats. Autre paramètre, propre à EELV : il doit y avoir autant de têtes de liste féminines que de têtes de listes masculines (« c’est la parité réelle »). On ne peut pas cumuler des mandats avec les européennes à EELV, puisque les statuts interdisent de cumuler fonction nationale et européenne. Les eurodéputés Verts doivent se consacrer uniquement à leur mandat européen. Dernière chose : « on ne recycle pas les gens qui n’aiment pas l’Europe », contrairement à ce qui se passe dans d’autres partis.
Et comment se déroule l’entente avec d’autres partis verts européens ? Durand explique que tous les partis écologistes d’Europe sont réunis à l’intérieur d’un véritable parti transnational : le Parti Vert européen. Au sein de ce parti, on vote sur des positions – tous les mois, tous ces partis doivent donc fréquemment trouver des compromis (pas seulement au Parlement européen !). Un manifeste commun sert de support dans l’ensemble des pays lors des élections européennes, tout en laissant la place à des thématiques plus ou moins prononcées selon les pays en vertu d’un fort principe de subsidiarité. Quant au choix des candidats des Verts européens pour la Commission européenne (l'Allemande Ska Keller et le Français José Bové), c’est une grande primaire européenne qui les a désignés.
Pourquoi les Verts sont-ils radicalement opposés au projet de libre-échange transatlantique entre l’UE et les Etats-Unis (Transatlantic Free Trade Area, TAFTA) ? Avocat spécialisé en droit des contrats, Durand affirme à partir de son expérience qu’il faut toujours commencer par la question : pourquoi fait-on un contrat ? Considérons donc les éléments suivants. Le commerce entre l’UE et les Etats-Unis représente déjà 40% du commerce mondial : il n’a pas l’air mal en point. Ensuite, les droits de douane sont très faibles : entre 3 et 4 % ; donc, pas de problème de véritables barrières commerciales. Pour Durand, cela amène donc la conclusion que si ce n’est pas la fluidité du commerce ou les droits de douane qui posent problème, c’est que l’objet du contrat porte sur autre chose. Probablement sur les normes, au nom desquelles l’UE refuse à l’OMC l’importation de bœufs aux hormones ou de poulets au chlore ; sinon pourquoi créer ce contrat ? Et qu’est-ce que l’Europe a à gagner d’un rapprochement vers les normes américaines ?
Deuxième danger évoqué par Durand : la clause d’arbitrage, déjà présente dans un traité similaire entre les Etats-Unis et le Canada. Cette clause permettrait de faire juger, devant un tribunal arbitral, les atteintes par les Etats ou les collectivités territoriales aux intérêts des entreprises. Pour Durand, ce traité signifierait donc la fin d’un modèle : après être passé du colbertisme (un Etat définit les règles du commerce sur son territoire) au modèle des multinationales opérant sans rendre des comptes aux Etats, on arriverait à l’étape où les multinationales pourraient demander des comptes aux Etats. Ainsi, le Québec est aujourd’hui poursuivi pour avoir institué un moratoire sur les gaz des schistes, par des entreprises ayant investi dans ce marché. « Ce traité, en l’état, est un danger majeur pour notre modèle. […] Ce n’est pas l’Europe contre les Etats-Unis, c’est la question de l’intérêt général (y compris américain) contre les intérêts privés ».
Fin de la rencontre, derniers mots sur les ambitions pour une autre vision européenne : « il y a un vrai espace pour une écologie transversale, large. Moi, je crois beaucoup à cet espace […] C’est pas de droite une éolienne, c’est pas de gauche non plus, c’est juste quelque chose qui essaie de fabriquer de l’énergie différemment ».
Source photo: Pascal durand.eelv, sur wikimedia commons