Partenariat pour la mobilité : un instrument méconnu qui mérite d’être reconnu

Par Louise Ringuet | 7 avril 2015

Pour citer cet article : Louise Ringuet, “Partenariat pour la mobilité : un instrument méconnu qui mérite d’être reconnu”, Nouvelle Europe [en ligne], Mardi 7 avril 2015, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1884, consulté le 02 avril 2023

En matière d’immigration, l’équilibre est difficile à trouver. Quand certains parlent d’Europe forteresse, d’autres y opposent une politique trop laxiste. Finalement, il n’est nullement question ici de mettre un terme aux débats souvent assez houleux tant chacun y va de sa conception de l’Europe et de ses frontières. Si l’Union européenne apparaît bien souvent comme abstraite à bien des individus, ses instruments le sont encore davantage. Zoom sur l’un d’entre eux : le Partenariat pour la mobilité.

Il s’agit du petit nouveau dans la politique d’immigration de l’Union européenne. En 2007 apparaît dans le jargon européen le terme de “Partenariat pour la mobilité” (COM(2007) 248 final). Si une définition claire pourrait légitimement être attendue dans cet article, la communication de la Commission européenne pré-citée reste elle-même assez floue : “il est impossible d’énumérer ici tous les éléments pouvant figurer dans un partenariat pour la mobilité car ils dépendront de chaque situation spécifique”. Néanmoins, une première précision s’impose : le caractère juridiquement non-contraignant de ces accords. Quant à son contenu, il est parfois résumé – trop simplement - ainsi : un accord de facilitation de visas pour le pays avec lequel l’accord est signé en échange de la signature d’un accord de réadmission avec l’Union européenne.

Accords de réadmission : quelle portée?

Difficile de saisir ce que cela implique réellement sans connaître le sens de ce type d’accords. Un accord de réadmission, en droit international, confère l’obligation pour un Etat de réadmettre ses nationaux sur son territoire. Au niveau européen, un tel type d’accord comprend également les personnes ayant transité par le territoire de l’Etat tiers. Si nous prenons le cas du Maroc, avec lequel l’Union européenne a signé un Partenariat pour la mobilité en juin 2013. Cela impliquerait pour ce pays, véritable point de passage vers l’Union européenne (“un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe” pour reprendre une citation d’Hassan II), de reprendre tous ses nationaux interceptés à la frontière européenne mais aussi tous ceux dont on aurait la preuve qu’ils auraient transité dans leur parcours migratoire par le Maroc. D’un point de vue stratégique, l’Union européenne en a fait l'un de ses instruments de politique étrangère. Ainsi, en sachant, comme l’a souligné Wunderlich en 2013 dans la revue International migration, que 80% des migrants viennent d’Etats avec lesquels l’Union européenne n’a pas d’accords de réadmission, l’enjeu est de taille.

Une demande asymétrique de l’Union européenne

Les accords de réadmission constituent donc une demande asymétrique de la part de l’Union européenne. Cassarino insiste dans son article de 2010 pour le Middle East Institute, sur cet effet asymétrique notamment pour les pays du sud de la Méditerranée pour lesquels la mise en oeuvre de tels accords a un tel coût que le maintien de la coopération pose souvent question. Au delà de l’implication financière suggérée, les réformes attendues sont nombreuses et la mesure largement impopulaire.

Ainsi, l’Union européenne a dû développer un incitatif pour les pays de façon à ce qu’ils coopérent malgré tout : les facilitations en termes de visas. Il s’agit de la base même des négociations internationales : un échange de concessions.

Accords de facilitation de visas : un incitatif fructueux

Là encore, une définition du concept s’impose. Sans revenir sur l’évolution des compétences en la matière pour l’Union européenne, l’obtention de visas pour les pays tiers relève souvent du parcours du combattant. Attente interminable, manque d’informations, procédure coûteuse, les aléas ne manquent pas. Une facilitation de visa peut permettre l’émission de visas à entrées multiples d’une durée de maximum cinq ans pour les membres des gouvernements, parlements, etc ; des coûts amoindris voir gratuits pour certaines catégories de personnes ; une transparence accrue avec notamment une simplification des documents requis ou une réponse plus rapide. A terme, beaucoup de pays tiers souhaitent évoluer vers une libéralisation totale des visas c’est à dire une exemption pure et simple de visas pour leurs ressortissants. De tels accords de facilitations en termes de visas ont été conclus entre autres avec l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Arménie, la Russie ou encore l’Azerbaïdjan. L’Union européenne s’est longtemps montrée récalcitrante à une telle concession, l’immigration irrégulière en Europe étant bien souvent le fait, non comme on pourrait le croire, d’individus entrés illégalement sur le territoire mais bien d’individus ayant dépassé la durée initiale de leur visa. Cependant, au vu de l’efficacité de l’instrument dans les négociations avec la Russie ou l’Ukraine, le tandem de négociations parralèles “accords de réadmission contre accords de facilitation de visa” est devenu de mise, notamment lors des négociations avec les pays des Balkans lancées en 2006.

Les questions migratoires sont aujourd’hui une priorité pour l’Union européenne : qui dit priorité dit nécessité de créer les instruments les plus efficaces au vu d’aboutir aux résultats escomptés. C’est ainsi que des Partenariats pour la mobilité ont été signés avec la Moldavie et le Cap-Vert en 2008, avec la Géorgie en 2009, l’Arménie en 2011, l’AzerbaIdjan en 2013. Cependant, dans le contexte des révolutions arabes, l’Union européenne a décidé de passer un nouveau cap stratégique : ouvrir les négociations avec les pays de la Méditerranée. C’est ainsi, qu’en 2011 se sont ouvertes les négociations avec le Maroc et la Tunisie. Elles se sont achevées avec la signature d’un Partenariat pour la mobilité, respectivement en juin 2013 et en mars 2014. Depuis, un accord a été signé avec la Jordanie en octobre 2014.

Une approche globale

Attention cependant, si nous avons insisté sur les accords de réadmission et de facilitations en termes de visa, les Partenariats pour la mobilité ne peuvent être résumés à cela, même si ces deux outils en constituent les fondations. Quatre piliers forment ce type de partenariat (COM(2011)743) : l’organisation et la facilitation de l’immigration légale et de la mobilité ; la prévention et la réduction de l’immigration clandestine et de la traite des êtres humains ; la promotion de la protection internationale et le renforcement de la dimension extérieure de la politique d’asile et la maximisation de l’impact des migrations et de la mobilité sur le développement. Cependant, d’un partenariat à l’autre, le visage que prend chacun de ces piliers change puisque la philosophie des partenariats repose sur “une approche pays par pays”. Par exemple, concernant les visas, dans sa COM (2011) 292 final, la Commission fixe un plafond et un plancher pour la mesure : “au minimum un soutien à la mobilité des étudiants, des chercheurs et des hommes et femmes d’affaires” et au maximum une libéralisation du régime de visas. Une comparaison attentive du contenu des différentes rubriques d’un pays à l’autre se révèle à cet égard déterminante.

Et les Etats membres dans tout ça?

Notons également que les Partenariats pour la mobilité sont basés sur un véritable triangle relationnel entre Union européenne, pays tiers et Etats membres. Ainsi, ces derniers peuvent choisir ou non de prendre part au Partenariat pour la mobilité. Dans le cas du Maroc, par exemple, seuls neuf Etats membres ont décidé initialement d’y prendre part. Selon Cassarino, le facteur déterminant pour un Etat d’y prendre part ou non est la proximité géographique. Par exemple, pour reprendre le cas marocain, on ne sera pas surpris d’y retrouver comme Etat membre associé, l’Espagne, le Portugal ou encore la France et l’Italie. Par ailleurs, entrent également en ligne de compte les relations migratoires entretenues avec le pays concerné.

Cependant, il faut savoir que des accords de réadmission étaient auparavant noués essentiellement de manière bilatérale. Des neufs Etats ayant noué un Partenariat pour la mobilité avec le Maroc, huit disposaient déjà d’un accord de réadmission avec ce pays. Se pose donc naturellement la question de la valeur ajoutée. Celle-ci est pourtant claire : nous l’avons vu, les accords de réadmission de l’Union européenne ont une portée supérieure à celle prévue par le droit international puisqu’ils englobent la reprise pour le pays tiers à la fois de ses propres ressortissants mais également de ceux qui ont transité par son territoire. Ensuite, de nombreux accords de réadmission bilatéraux souffrent d’une application partielle ou inexistante. Finalement, il s’agit pour les Etats membres de souscrire au principe de “venue-shopping” tel que développé par Guiraudon citée dans la thèse de Nastasia Reslow : “les Etats espérent ainsi à ce sujet atteindre via l’Union européenne les objectifs qu’ils ont échoué à satisfaire au niveau national”.

Quel gagnant?

La question qui se pose naturellement est la suivante : qui trouve le plus son intérêt dans la conclusion de tels partenariats? Ceux qui chercheraient de quoi alimenter leurs pancartes pour manifester vont être déçus. Plus ou moins chacun des acteurs. Les uns diront que ces accords sont une aubaine pour l’Union européenne qui parvient à nouer des accords de réadmission si précieux dans la gestion de sa politique migratoire. A ceux-là il pourrait être répondu que pour la première fois, l’Union européenne a au contraire tenté de développer une approche globale qui comprenne également des volets relatifs à l’immigration légale et au lien naturel entre migration et développement. D’autres diront qu’il s’agit d’une forme de chantage : pas de visas sans réadmission. Il s’agit plutôt de “win-win”. D’autres encore diront que dans les négociations, l’Union européenne dispose de davantage de moyens de pression sur les pays tiers. Là encore, il s’agit en fait plutôt du contraire. La gestion de l’immigration est devenue une telle priorité pour l’Union européenne que cela accroît fortement la marge de manoeuvre des Etats tiers qui peuvent utiliser leur position géographique stratégique pour élargir au maximum la portée du Partenariat. Flexible par définition, la négociation n’en est que plus riche. Enfin, certains pointeront du doigt le caractère non-contraignant de l’accord. Pourtant l'engagement est lui bel et bien présent et soumis à une évaluation régulière.

Etrangement, nous entendons peu, voire pas du tout, parler de ce type d’instruments dans la presse. Pourtant, l’immigration occupe toutes les Unes, tous les débats sur les forums et tous les débats entre citoyens de l’Union européenne. Le Partenariat pour la mobilité constitue ainsi la reconnaissance, qu’elle soit subie ou non, que l’immigration n’est pas que le rejet, la lutte contre les irréguliers. L’immigration, c’est aussi la promotion et l’organisation de son volet légal. Une approche globale donc. Telle devrait être également notre appréhension de ce phénomène.

Aller plus loin

Sur Nouvelle Europe

Ouvrages :

  • BOUOIYOUR Jamal, "Remittances of Moroccan migrants : levers of growth and development", Munich Personal RePEc Archive, 2013, n°50537.

  • CASSARINO Jean-Pierre, « Dealing with unbalanced reciprocities : cooperation on readmission and implications », in CASSARINO Jean-Pierre (sous la direction de), Unbalanced reciprocities : cooperation on readmission in the euro-mediterranean area, Middle East Institute, 2010, 100p.

  •  CASSARINO Jean-Pierre, Readmission policy in the European Union, Bruxelles : Parlement européen, 2010, 62p

  •  COLLYER Michael, « Migrants as strategic actors in the European Union's Global approach to Migration and Mobility », Global Networks, 2012, vol.12, n°4, p.505-524

  •  CUTTITA Paolo, The changes in the fight against illegal immigration in the Euro- mediterranean area and in Euro-mediterranean relations, Genoa : University of Genoa, 2002, 23p.

  •  HUDDLESTON Thomas, ROIG Annabelle, « EC Readmission Agreements : a Re- evaluation of the Political Impasse », European Journal of Migration and Law, 2007, vol.9, p.363-387

  •  INTRAND Caroline, « La politique du donnant-donnant », Plein droit, 2003, vol.2, n°57, p.26-28

  •  KRUSE Imke, TRAUNER Florian, EC Visa Facilitation and Readmission Agreements : Implementing a new Security Approach in the Neighbourhood, Bruxelles : CEPS, 2008, 40p

  •  PAPAGIANNI Georgia, « Forging an External EU Migration Policy : from Externalisation of Border Management to a Comprehensive Policy ? », European Journal of Migration and Law, 2013, vol.15, p.283-299.

  •  WUNDERLICH Daniel, « Towards coherence of EU external migration policy ? Implementing a complex policy ? », International migration, vol.51, n°6, 2013, p.26-40

Sur internet :

 

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