Mayotte, prochain territoire à devenir européen ?

Par Pascal Orcier | 13 avril 2009

Pour citer cet article : Pascal Orcier, “Mayotte, prochain territoire à devenir européen ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 13 avril 2009, http://www.nouvelle-europe.eu/node/630, consulté le 03 juin 2023

mayotte.jpganalyse.pngAlors que la date définitive de l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne n’est toujours pas fixée, un autre territoire devrait prochainement en faire officiellement partie. Il s’agit de l’île de Mayotte. Dimanche 29 mars 2009, les habitants de cette petite île française de l’Océan indien, ont voté à 95% en faveur de la départementalisation de l’île au sein de la République française. Cette évolution statutaire, qui doit être effective en 2011 devrait également faire de Mayotte une Région Ultra-Périphérique (RUP) de l’Union européenne.

analyse.pngmayotte.jpgAlors que la date définitive de l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne n’est toujours pas fixée, un autre territoire devrait prochainement en faire officiellement partie. Il s’agit de l’île de Mayotte. Dimanche 29 mars 2009, les habitants de cette petite île française de l’Océan indien, ont voté à 95% en faveur de la départementalisation de l’île au sein de la République française. Cette évolution statutaire, qui doit être effective en 2011 devrait également faire de Mayotte une Région Ultra-Périphérique (RUP) de l’Union européenne.

 

L’île, peuplée de 216 000 habitants pour 376km² (un peu plus grande que Malte, mais six fois plus petite que la Réunion) est située à plus de 8 000 km de la métropole. Elle disposait depuis 2001 du statut hybride de « collectivité départementale », après avoir été une « collectivité territoriale » à mi-chemin entre le Département d’Outre-Mer (DOM) et le Territoire d’Outre-Mer (TOM).

 

L’euro a été introduit à Mayotte, tout comme dans l’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon, en même temps qu’en métropole en 2002. Mayotte émet ses propres timbres-poste depuis 1997. L’île, qui connaît une forte croissance démographique, et dont un habitant sur trois serait en situation irrégulière va ainsi devenir, de son plein gré, le 101e département français et le 5e département d’Outre-Mer. Cette décision va avoir sur place des conséquences considérables en termes d’application pleine et entière du droit et de transferts sociaux. Elle va aussi avoir un coût financier important pour la métropole durant les prochaines années.

Les évolutions de l’Outre-Mer européen 

L’Union européenne compte actuellement sept RUP, qui en sont partie intégrante et dont les territoires figurent sur les billets en euro : aux quatre départements et régions d’Outre-Mer français (DROM) s’ajoutent les Açores, Madère (Portugal) et l’archipel des Canaries (Espagne). Le droit communautaire leur est directement applicable. Les autres territoires dépendant d’États européens, dont Mayotte, appartiennent au groupe des pays et territoires d’Outre-Mer (PTOM), figurant sur la carte ci-dessous. En rejoignant le premier groupe, Mayotte deviendra alors éligible aux fonds structurels européens, au même titre que les autres régions défavorisées de l’UE.

 

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Les Outre-Mers européens disposent de statuts très variés et connaissent des évolutions administratives selon des modalités et des calendriers spécifiques. Ainsi, deux nouvelles entités ont été créées en 2007, qui devraient rejoindre prochainement la liste des PTOM : les îles françaises de Saint-Martin et Saint-Barthélémy se sont en effet autonomisées de la Guadeloupe pour devenir des collectivités d’Outre-Mer.

 

D’autres territoires pourraient par ailleurs dans les prochaines années quitter ce groupe très disparate : la Nouvelle-Calédonie sera consultée en 2014 sur son indépendance ; le Groenland, qui a voté par référendum le 25 novembre 2008 un statut d’autonomie élargie vis-à-vis du Danemark, semble s’acheminer lui aussi vers cette voie. Les îles composant les Antilles néerlandaises sont, à des degrés divers, engagées dans des processus semblables.

Mayotte, anomalie ou serpent de mer juridique ? 

Mayotte occupe une place spécifique, en raison des conditions particulières de son maintien dans le giron français. Que faire d’un petit territoire, regroupant 17 communes et 19 cantons, qui, à contre-courant du mouvement de décolonisation engagé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a choisi de rester français coûte que coûte ? Pourquoi faire le choix de la départementalisation, qui met fin aux spécificités culturelles locales, à l’heure où ailleurs dans l’Outre-Mer français, les avatars du régime colonial ont fait l’objet de nouvelles dénonciations ?

 

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À y regarder de près, cette décision peut être interprétée de différentes façons.

 

On peut y voir l’aboutissement, sans cesse retardé, de demandes anciennes formulées dans ce sens depuis plus de trente ans. Cette première interprétation correspond aux discours des élus mahorais (nom des habitants de Mayotte), qui rappellent volontiers l’ancienneté et le caractère « volontaire » du rattachement de leur île à la France en 1841, soit quarante cinq ans avant les trois autres îles des Comores, et dix-neuf ans avant Nice et la Savoie. Tout comme ils rappellent que les Mohorais avaient demandé à former un département français dès 1975 alors que les trois autres îles composant l’archipel des Comores avaient choisi la voie de l’indépendance. L’absence d’intégration pleine et entière à la République est alors perçue comme une des causes du sous-développement de l’île et un handicap au développement de l’économie locale, dans un environnement régional marqué par une grande instabilité politique.

 

On peut y voir aussi l’échec des formules batardes mises en place par l’État depuis 1976. Cette interprétation révèle l’absence de vision claire au niveau national de la place de Mayotte au sein de la République. Jugée alors trop peu peuplée, trop petite et trop différente culturellement de la métropole (95% de la population est musulmane et parle majoritairement le shimaore d’origine swahili et le shibushi d’origine malgache) pour former un département, Mayotte aurait pu devenir un TOM comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie. Or, les Mahorais, consultés en 1976 par référendum, ont rejeté ce statut. Un grand nombre de bulletins « sauvages » déposés alors dans les urnes demandaient que soit accordé le statut de DOM.

Enfin, le choix décisif de l’intégration et de l’assimilation à la France, signe l’échec des États voisins, qui n’ont eu de cesse de dénoncer sans succès le maintien de la présence française et de formuler des revendications territoriales. L’Union africaine et l’ONU ont repris à leur compte la plainte formulée par la République des Comores, qui réclame depuis 1976 la restitution de l’île, dénonçant une mainmise post-colonialiste. L’État comorien, qui regroupe les trois autres îles de l’archipel, Grande Comore, Mohéli et Anjouan, s’appuyant sur les résolutions 3385 (12 novembre 1975) et 31/4 (21 octobre 1976) de l’ONU rappelant le respect de l’intégrité territoriale de l’archipel revendique officiellement le transfert de Mayotte sous sa souveraineté. La question mahoraise a été largement instrumentalisée par les présidents comoriens successifs comme cause du délabrement économique de l’archipel.

Or à ce jour, ses demandes répétées sont restées lettre morte. Pis, l’État comorien reste une construction fragile qui, en 34 ans d’existence détient le record mondial du nombre de coups d’État. Considéré comme un État quasi failli, il doit l’essentiel des ressources aux envois de la diaspora et de l’aide de la communauté internationale dont le premier contributeur est… la France. Sur fond de grande pauvreté et de surpeuplement (le PNUD classait en 2007 le pays au 134e rang pour le développement humain sur 177 États), il connaît un phénomène de balkanisation dont témoignent les tentatives répétées de sécession de l’île d’Anjouan. Celle-ci avait même sérieusement demandé au cours de l’été 1997… à redevenir française ! Si aujourd’hui était posée aux habitants de Mohéli, Anjouan et Grande Comore la même question qu’au référendum de 1974, il n’est pas certain que le vote en faveur de l’indépendance l’emporterait…

Le choix de la départementalisation de Mayotte serait alors un choix par défaut ? L’appartenance française a-t-elle sauvé l’île du naufrage du reste de l’archipel ? Poser la question du statut de Mayotte, c’est aussi poser celui de l’État comorien comme État viable et auquel les habitants de l’archipel s’identifieraient. Si l’appartenance de Mayotte à la France est dénoncée comme factice et illégitime, l’unité de l’archipel l’est-elle ? 

Comment en est-on arrivé là ?

L’argumentaire onusien et comorien sur le respect de l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores repose sur l’idée profondément ancrée qu’un archipel constitue un élément indiscutable pour servir de base à une unité politique, unité qui irait de soi. Autrement dit, les frontières d’un État seraient « naturellement » définies par une donnée de la géographie physique, indépendamment des populations qui y vivent. Ce qui est une aberration dès lors que l’on sait que l’État est par définition une construction politique, un fait humain.

 

Rappelons que le monde compte de nombreux cas d’îles coupées en deux et d’archipels partagés entre plusieurs souverainetés (Bornéo, Nouvelle-Guinée, Hispaniola,…), sans que cela ne soit remis en cause. Un archipel doit-il nécessairement former une entité politique, indépendamment des souhaits des habitants des différentes îles qui le composent ? Les États-archipels doivent veiller à la délicate question de l’équilibre politique et économique entre leurs différentes îles. Le risque est grand de voir au fil du temps les îles les plus éloignées, en situation périphérique, être marginalisées et connaître un retard de développement. Le phénomène se vérifie dans de nombreux cas (Philippines, Indonésie…), engendrant des frustrations, la contestation et parfois la formation de mouvements séparatistes.

 

Le cas de Mayotte pose précisément cette question de la périphéricité et de la marginalisation, qui peuvent donner lieu à une lecture géo-historique. Après avoir subi plusieurs siècles de dominations et de razzias de la part des autres îles et d’ethnies malgaches, Mayotte s’était trouvée au début du XIXe siècle fortement dépeuplée.

 

C’est pour se prémunir contre ces incursions répétées, malgré une indépendance proclamée en 1836, que l’île a fait appel à la France en 1841. Elle se trouvait alors particulièrement isolée, éloignée de l’île de la Réunion à partir de laquelle la puissance coloniale l’administrait. Elle ne représentait pas d’intérêt particulier. À la fin du XIXe siècle, elle fait figure de tête de pont de la colonisation française dans la région, alors que la France établit un protectorat à Anjouan en 1886 en même temps que sur Grande Comore et à Mohéli. Sa présence régionale est confirmée par son établissement à Diégo-Suarez en 1885 et à Nosy-Be en 1889, avant la conquête de Madagascar en 1894.

 

L’unité juridique de l’archipel des Comores est réalisée en 1904 par le pouvoir colonial, avant que celui-ci ne le rattache administrativement à Madagascar en 1912. Il en devient alors une dépendance dévalorisée.

 

L’archipel obtient finalement en 1946 une autonomie administrative (chef-lieu : Dzaoudzi, sur l’île de Mayotte) puis devient en 1958 un territoire d’Outre-Mer à part entière. Or, en 1966, la capitale est transférée de Dzaoudzi à Moroni (Grande Comore). Mayotte, qui était restée l’île la moins peuplée et développée de l’archipel a perdu alors ses fonctions administratives. La crainte d’une marginalisation, autant que l’idée de se trouver à nouveau dominée par les autres îles, au regard de l’histoire, a certainement joué en faveur du maintien sous souveraineté française. Lors du référendum d’autodétermination organisé en 1974, l’île est la seule de l’archipel à avoir rejeté l’indépendance. Gageons que si Mayotte était devenue comorienne, elle serait aujourd’hui l’île la moins développée de l’archipel ! (ce qu’est devenue de fait sa voisine l’île d’Anjouan).

Les effets du maintien sous souveraineté française

On peut se demander ce qui a poussé les autorités françaises, lors du référendum de 1974, à imposer au dernier moment, et contre l’avis de l’ONU, le décompte île par île. Quel intérêt pouvait avoir la République à conserver ce bout de terre au milieu du canal du Mozambique ?

 

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L’indépendance des Comores en 1975 confirmait le reflux de la présence française dans la région, après l’indépendance de Madagascar en 1960. Conserver Mayotte avait pourtant un intérêt stratégique : l’île se trouve à proximité d’une des grandes routes maritimes mondiales. Rappelons qu’à l’époque, le canal de Suez était fermé (depuis la Guerre des Six jours en 1967), obligeant les navires à emprunter la route du Cap pour aller d’Europe en Asie. Le canal n’a été rouvert qu’en 1975. Par ailleurs l’environnement régional était alors caractérisé par la mise en place récente de régimes d’orientation marxiste (Madagascar, Mozambique, Tanzanie, Comores), dans le contexte de la Guerre froide.

 

Garder une base et un œil dans la région pouvait donc être utile. Les Britanniques n’avaient-ils pas fait des manipulations semblables quelques années plus tôt dans la région ? Ils étaient parvenus à soustraire à leur colonie de l’île Maurice – alors en voie d’émancipation – des territoires insulaires et maritimes devenus en 1965 le Territoire britannique de l’Océan indien (BIOT) [1].

 

Les conditions géopolitiques ayant évolué, la question de Mayotte a perdu au fil du temps de son importance, encore que la présence de gisements pétroliers dans le bassin sédimentaire du canal de Mozambique puisse être considérée comme un enjeu potentiel. Le fait est que le maintien de Mayotte sous souveraineté française a contribué à sa relative bonne santé économique. Avec un PIB par habitant de 3360€, l’île fait figure d’eldorado par rapport à Madagascar (263$ en 2007) et à l’État comorien (572$ en 2007).

 

Néanmoins, ce chiffre demeure six fois inférieur à la moyenne de l’Union européenne (21 170€) et trois fois inférieur à celui de la Réunion, département français le plus proche. De nombreux Mahorais ont d’ailleurs choisi de s’y installer. Ils y bénéficient de revenus supérieurs, mais aussi de prestations sociales absentes à Mayotte, et de l’accès généralisé à la scolarisation. Cette immigration récente a suscité des mouvements de rejet de la part des Réunionnais, tout en donnant lieu à une certaine jalousie de la part des Mahorais, conscients de l’écart existant avec leur île.

 

Entre Mayotte et l’île d’Anjouan s’est progressivement établie une frontière de développement (comme entre la Guyane française et le Surinam), à l’origine de flux migratoires illégaux en provenance de cette dernière. Les Anjouanais s’entassent sur des embarcations de fortune dans l’espoir de trouver à Mayotte une vie meilleure. Les naufrages et les interceptions en mer par les gardes-côtes français sont nombreux. L’immigration clandestine concerne chaque année plusieurs milliers de personnes et les situations irrégulières de Comoriens sur le sol mahorais ont justifié plus de 16 000 expulsions au cours de l’année 2007. L’application à compter de 2011 de l’intégralité de la législation française va sans aucun doute accroître cet écart de développement et risque de faire de Mayotte un nouveau Ceuta [2] en plein Océan indien !

 

L’entrée « par la petite porte » de Mayotte dans l’Union européenne, sans négociations préalables ni traité d’adhésion, ni consultation des États membres pose problème, alors même que plusieurs États membres demandent une pause de l’élargissement. Ce n’est pas tant la modestie du territoire concerné et sa population que la pertinence du processus en cours qui fait ici l’objet de rares débats. Avec Mayotte va être importé dans l’UE un nouveau différend international (après celui de la division de Chypre, et alors que ceux qui minent la Macédoine, la Croatie et la Serbie sont autant d’obstacles à leur adhésion) : l’ONU ne reconnaît toujours pas la souveraineté de la France à Mayotte, pas plus que l’UA et la Ligue arabe[2]. Comble : la plupart des États européens ont voté les résolutions de l’ONU reconnaissant Mayotte comme comorienne ! Cette intégration va ainsi à l’encontre de la légalité internationale.

 

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Le référendum mahorais et ses enjeux n’ont guère été médiatisés en métropole, à l’image de cette île inclassable, sorte de laboratoire administratif de l’Outre-Mer français. Au final, ce n’est pas tant l’entrée dans l’Union européenne que l’intégration à la France qui va bouleverser le quotidien des Mahorais : État civil généralisé, statut civil, taxes, impôts, justice républicaine, prestations sociales, cadastre vont se mettre en place dans les vingt prochaines années, mettant fin progressivement au statut d’exception.

 

Les citoyens européens savent-ils pour autant que l’Union va à nouveau s’agrandir, mais cette fois hors d’Europe ? Verra-t-on Mayotte figurer dans un nouvel encart sur les futurs billets d’euro ?

 

 
(1) Le British Indian Ocean Territory (BIOT) avait fait l’objet d’un accord secret anglo américain en 1961. Les populations résidentes en ont été expulsées pour permettre l’établissement d’une importante base navale sur l’île de Diego Garcia, louée pour cinquante ans aux Etats-Unis. L’île Maurice est devenue un Etat indépendant en 1968 et revendique depuis lors la rétrocession des îles Chagos, dont elle estime avoir été amputée.
 
(2) Ceuta: ville autonome espagnole, formant une enclave européenne sur la côte nord du Maroc, tout comme la ville de Melilla. Ces deux territoires faisant partie de l’Union européenne sont soumis à une pression migratoire intense, qui a justifié la construction d’imposantes clôtures pour dissuader les migrants d’y pénétrer. La surveillance de ces tronçons de la frontière extérieure de l’UE est particulièrement couteuse. 
 
 
 
 
 
 
Pour aller plus loin :
 
 
 
site20x20.png  Sur Internet 
 site10x10.png Article de RFO du 21/03/2009
 site10x10.png Résolutions de l'ONU relatives au respect de l'intégrité territoriale de l'archipel comorien
 site10x10.png Critique formulée par la Ligue arabe dans le Monde du 31/03/2009 
 site10x10.png Article du Matin de Genève du 30/03/2009
 site10x10.png Rapport annuel 2007/2008 du PNUD