Pour citer cet article : L'équipe, “Où va la Bosnie douze ans après Dayton ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Samedi 24 novembre 2007, http://www.nouvelle-europe.eu/node/354, consulté le 06 juin 2023




Depuis, la situation s’est de nouveau détériorée au point que le mot « guerre », quelque peu tabou depuis 1995, refait surface dans le débat politique. La question suivante se pose dès lors : une situation qui semble ne satisfaire personne doit-elle se poursuivre ?
Quelle est cette situation ?
Dans le cadre des accords de Dayton, des institutions confédérales associant les trois communautés (croate, serbe et musulmane) se superposent aux institutions des deux entités (la Republika srpska et la fédération croato-musulamne). Les élections législatives et présidentielles, qui ont lieu tous les quatre ans, permettent donc d’élire des dirigeants et des parlements pour ces deux niveaux.
Comme pour la Belgique actuellement, les clivages entre communautés se superposent aux clivages partisans traditionnels (droite-gauche, ici nationalistes-modérés). Un parti qui détient la majorité dans sa communauté n’a ainsi pas de majorité au niveau confédéral. Même si, régulièrement depuis douze ans, des dirigeants plutôt modérés sont élus au sein de leur communauté, ils doivent ensuite partager le pouvoir avec les dirigeants des autres communautés, souvent peu enclins au compromis. C’est le cas après les élections de 2006 qui ont vu l’élection à la présidence collégiale d’Haris Silajdzić, ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, pour la communauté musulmane, de Zelijko Komsić (modéré) pour les croates et de Nebojsa Radmanović pour la communauté serbe. Mais des partis réputés plutôt modérés ne sont pas exempts d’attitudes maximalistes et séparatistes. Ainsi, l’élu serbe pour cette présidence, s’il n’est pas membre des partis les plus radicaux, réclame un référendum sur l’indépendance de la Republika srpska qui s’oppose au projet unitaire des deux autres élus à la présidence collégiale.
Dans ces conditions, le moindre pas vers la construction d’un Etat unitaire exige beaucoup de temps, d’énergie et de compromis de part et d’autre. Un seul exemple, l’hymne national n’a semble-t-il pas encore de parole.
Un Premier ministre est désigné pour l’ensemble du pays. Nikola Spirić (un social-démocrate serbe) a été nommé par la présidence collégiale en janvier, trois mois après les élections d’octobre qui semblaient donc avoir donné la victoire à des partis réputés plutôt modérés. Mais ceux-ci, lors de la campagne et ensuite, n’ont pas hésité à surenchérir dans la rhétorique nationaliste.
C’est ce Premier ministre qui vient de démissionner avec fracas pour dénoncer la mainmise de la communauté internationale sur son pays. Il faut en effet rappeler que, depuis 1995, six hauts représentants de la communauté internationale se sont succédés avec des fortunes diverses. Le dernier en date, le slovaque Miroslav Lajcak, semble vouloir jouer la fermeté face aux nationalistes. Il a ainsi renvoyé le chef de la police en juillet pour sa complicité supposée avec des criminels de guerre serbes. Ce sont ses tentatives pour accélérer les réformes permettant la mise en place d’un Etat unitaire qui ont motivé la démission du Premier ministre.
Voici ce qu’a déclaré ce dernier lors d’une conférence de presse : "J'informe l'opinion publique bosniaque que j'ai présenté ma démission auprès de la présidence de la Bosnie", ajoutant : "Douze ans après l'accord de Dayton, la Bosnie-Herzégovine n'est malheureusement pas un Etat souverain. Les étrangers ont le pouvoir exclusif de diriger ce pays et je crois que ce n'est pas une bonne chose". Le Premier ministre serbe et la Russie ont approuvé cette décision tandis que l’Union européenne, par la voix du ministre portugais de la défense, a réaffirmé le maintien de sa présence militaire « aussi longtemps que nécessaire ».
On le voit, derrière les difficultés intérieures de la Bosnie, d’autres enjeux internationaux compliquent toute évolution. La question du Kosovo est en effet mise en parallèle par la Serbie et la Russie qui affirment que les occidentaux font d’un côté (en faveur des Albanais du Kosovo) la partition qu’ils refusent à d’autres (Serbes de Bosnie). Pour le Premier ministre serbe Vojislav Kostunica, c’est le Haut-Représentant qui aurait dû démissionner.
Jusqu’où doit aller le nation building des occidentaux en Bosnie ?
Le poste de Haut-Représentant, mis en accusation par le Premier ministre démissionnaire, aurait dû disparaître cette année mais a été prolongé d’un an. La présence des troupes européennes ne semble pas devoir cesser à court ou même à moyen-terme. Peut-on imposer à la Bosnie cet Etat unitaire qu’une partie de sa population ne souhaite pas ? Le statu quo, aussi insatisfaisant soit-il pour l’ensemble des populations concernées et les pays impliqués dans le règlement de la question bosniaque, doit-il être préservé pour éviter de sombrer à nouveau dans des affrontements ?
On entrevoit difficilement, dans la situation actuelle, la possibilité d’une sortie par le haut où chaque Bosnien, quelle que soit sa communauté, puisse trouver sa place.
Pour aller plus loin :
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Sur Nouvelle Europe : |
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Bosnie-Herzégovine : un Etat théorique ? |
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Sur Internet : |
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Les résultats des élections de 2006 analysés sur le site de la Fondation Robert Schuman |
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Le Courrier de la Bosnie-Herzégovine (des articles de la presse bosniaque et internationale traduits en français) |
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Les pages consacrées à la Bosnie sur le site du Balkan Investigative Reporting Network |
Source photo : OHR (Office of the High Representative and the EU Special Representative), High Representative gives a press conference with Nikola Spiric, Brussels, 27 February 2007. |