
Good Bye Lenine ! et
La Vie des autres, deux succès du cinéma allemand, deux films qui parlent de la mémoire des Allemands mais aussi de tous les Européens. Décryptage d’un vecteur important de la constitution d’une mémoire européenne, le cinéma.

Good Bye Lenine ! et
La Vie des autres, deux succès du cinéma allemand, deux films qui parlent de la mémoire des Allemands mais aussi de tous les Européens. Décryptage d’un vecteur important de la constitution d’une mémoire européenne, le cinéma.
Depuis quelques temps, le cinéma outre-Rhin semble faire son retour victorieux sur nos écrans. En effet, après un passage à vide des productions allemandes, les cinéphiles commencaient à s'inquiéter de ne trouver aucun successeur aux Werner Herzog, Rainer W. Fassbinder et autre Wim Wenders issus de la « Nouvelle Vague » allemande des années 1970. C'est à présent chose faite. Ces dix dernières années ont été riches en productions de qualité avec l'apparition d'une nouvelle génération plus que prometteuse. Parmi les nombreux succès, tant au box-office que dans les festivals, nous retiendrons le film de Wolfgang Becker, Good Bye Lenin ! sorti sur nos écrans en 2003, ainsi que La Vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck paru en 2006. Comment expliquer le succès retentissant de ces deux productions qui nous replongent dans l'univers des dernières années de la RDA ?
Deux films, deux points de vue, deux succès
Si dans son Good Bye Lenin ! Becker surfe sur la vague « ostalgique » (nostalgie de la vie quotidienne dans la RDA), le film de Henckel nous place dans l'univers gris et froid de la suspicion permanente du Berlin-Est des années 1980.
Good bye Lenin !, c'est l'histoire d'Alex (Daniel Brühl), un Berlinois de l'Est qui se voit arraché à l'adolescence lorsque sa mère (Katrin Sass) tombe dans le coma. Durant son sommeil, l'univers sur lequel reposait son existence, ses valeurs, s'effondre en même temps que le Mur. A son réveil, pas question pour Alex de la confronter à un tel choc. Il décide alors avec l'aide de ses amis, de sa famille, de cacher à sa mère la réunification de l'Allemagne. C'est tout en finesse et en humour que le cinéaste nous fait suivre Alex dans une entreprise de plus en plus accrobatique. Au final, un drame charmant, émouvant et souriant, sans pour autant tomber dans le ridicule.
La Vie des autres, en revanche est une fiction - que certains iront même jusqu'à appeler thriller – d'un tout autre genre. Exit l'ostalgie qui avait tant séduit dans l'oeuvre de Becker, place à présent à une intrigue parfaitement maîtrisée, qui repose sur une tension permanente. Berlin-Est, 1984, un dramaturge bien trop polissé pour être sincère (Dreyman interprété par Sebastian Koch) est mis sous surveillance par le lieutenant-colonel Grubitz (Ulrich Tukur) qui voit là une occasion de monter en grade. La mission est confiée au très brillant professeur d'université de la Stasi, la police politique de renseignement et d'espionnage de la RDA, Wiesler (Ulrich Mühe). Cette surveillance est en réalité commanditée par le ministre de la culture Bruno Hempf (Thomas Thieme) amoureux de la compagne du dramaturge, Christa-Maria Sieland, une actrice de grand talent (Martina Gedeck) afin de se débarasser de ce dernier. Une intrigue complexe et passionnante, qui entraîne le spectateur dans les méandres de l'âme humaine, au coeur d'un régime profondément inhumain.
Ces deux productions nous entraînent au coeur d'un monde disparu depuis peu. Accrocher le public, le captiver en traîtant dans des oeuvres cinématographiques d'un rapport à la mémoire, pas si évident lorsqu'on porte l'étiquette « film allemand ». En effet, ceux-ci ont la réputation d'être ennuyeux - et ce même à domicile - et seules les comédies populaires font se déplacer les foules. Tout un programme donc de parler d'Histoire à l'écran sans agir comme un repoussoir.
Abordant la même période, mais sous des angles totalement opposés, les deux réalisateurs gardent cependant un point commun : mêler l'évènement historique à la petite histoire. Ainsi, dans Good Bye Lenin ! la famille d'Alex devient emblématique des berlinois de l'Est, les « Ossi ». Les changements vécus par les Kerner, la chute du Mur de la honte, l'arrivée massive des marques du capitalisme (on se souviendra notamment de l'immense affiche qui se déroule face à la fenêtre de la mère), la fin de la RDA ... , autant d'évènements vécus par tout un peuple. En guise d'annonce de cet entrelacement permanent, l'ouverture du film avec la voix du héros, Alex, revient sur son enfance dans cette république disparue, faisant se succéder les images d'archives (celles de Sigmund Jähn par exemple, premier allemand dans l'espace) et les vidéos familiales qui déroulent toute la magie de l'enfance et la beauté des valeurs soutenues par la mère. Autant d'éléments qui nous rendent le film familier, touchant, et humain. Loin donc de Becker l'idée de dénoncer froidement le régime.
Dans La Vie des autres, reprenant le concept d'encastrement de l'Histoire dans l'histoire, Henckel construit tout d'abord une intrigue à l'échelle humaine, avec pour rôle central la femme-actrice, objet de tous les désirs. En parallèle se déplie un monde de la corruption, avec pour seuls mots d'ordre fouiller, épier, contrôler. L'incertitude est une constante là où l'humanité reste la grande absente ; une parole malheureuse peut devenir une arme fatale (on se souviendra à ce propos de la blague de la conversation du soleil avec Enrich Honecker, président du conseil d'Etat de la RDA). Toute la dimension humaine apparaît lors de la rencontre (confrontation parfois même violente) avec soi-même. Le professeur Wiesler sort grandi de cette expérience d'espionnage. Si au début, l'homme semble parfaitement formaté au régime (le film s'ouvre sur une scène d'interrogatoire à partir de laquelle il explique les rouages de l'être humain, comme s'il fonctionnait en pure machine prévisible) c'est en s'immisçant dans « la vie des autres » qu'il se découvre autre. Devons-nous comprendre que même derrière le plus extrême des régimes, il ne reste pas moins des hommes guidés par leurs passions (qu'elles soient destructrices dans le cas du ministre Hempf, ou salvatrices pour l'agent Weisler) ? Si le réalisateur se défend de l'appellation « film historique », il ne rejette cependant pas l'étiquette du thriller. Bien qu'ayant une volonté de coller aux faits par une description réaliste, le film se conclut cependant sur une note optimiste avec le suicide social de Weisler en faveur de l'écrivain Dreyman (bien qu'un tel cas de philantropie n'ait jamais été observé dans la RDA ) .
Ainsi, dans ces nouvelles productions, le rapport à la mémoire est abordé en termes de rapport à soi. Résultat, des films moins cérébraux, plus proches du public. Les habitants des deux Allemagne retrouvent la vie quotidienne en RDA, simple et réaliste dans des détails tels que la marque des cornichons, ou encore les couches en plastique dans le Good Bye Lenin ! de Becker. Pour ces nouveaux cinéastes, plus question d'être, comme leurs aînés, terrassés par le poids d'une culpabilité passée. Décomplexés, sans parti pris ni attache politique, ils se penchent sur les bouleversements vécus par le pays dans ces années de RDA, qu'ils soient ceux d'une république indiscrète à l'extrême et violeuse des droits de l'homme, ou le choc de la découverte d'un monde au-delà du mur.
Ce renouveau du cinéma allemand est lié à l'émergence d'une nouvelle génération : le réalisateur Florian Henckel von Donnersmarck entame sa carrière à seulement 33 ans avec une finesse et une justesse particulièrement appréciables dans La Vie des autres. De ce côté, les acteurs ne sont pas non plus en reste. On soulignera particulièrement les performances de Daniel Brühl (acteur de l'année 2003) et de Martina Gedeck qui developpent toute la dimension humaine et complexe de leur personnage en jouant particulièrement sur une émotion simple, mais efficace. Pas étonnant donc de voir les récompenses se multiplier autour de ces productions ; pas moins de dix chacune avec entre autre les prix des meilleurs films allemands en 2003 pour Good Bye Lenin ! et 2006 pour La Vie des autres,ainsi que les récompenses des meilleurs films européens de l'année.
Le public donc ne s'y est pas trompé, avec un succès tant dans les festivals qu'au niveau des entrées (on en compte plus de 6000 à domicile pour le film de Becker en 2003), le cinéma outre-Rhin est bien en train d'effectuer son retour victorieux sur la scène internationale. Cependant, les problèmes de financement restent encore à déplorer. Il faut compter un minimum de trois ans pour la conception d'un film : une année consacrée à l'écriture, mais deux à la recherche de fonds pour la réalisation. A présent que cette Nouvelle Vague allemande a réussi à dépasser ses frontières, il serait dommage de la laisser se briser.