
Le 8 octobre, le Britannique Jonathan Hill a reçu la confirmation qu'il deviendra commissaire européen en charge des finances. Autrement dit, ce sera un Lord conservateur, proche des milieux de la City, qui sera en charge d'assurer la régulation financière de l'Union européenne. "Un renard en charge de garder le poulailler", comme l'a jugé un eurodéputé vert ?
Parfait inconnu des milieux politiques européens, il est perçu généralement par la presse comme un moyen pour le nouveau président de la Commission Jean-Claude Juncker de faire la paix avec le chef du gouvernement britannique David Cameron - qui brandit la menace d'une sortie du Royaume-Uni de l'UE et avait construit une coalition pour s'opposer à la nomination de Juncker, trop fédéraliste à son goût. Examinons les questions et les enjeux autour de ce ténébreux nouveau personnage du jeu politique européen.
Dangereusement vôtre: le personnage qui inquiète certains et rassure d'autres
Il aura fallu une deuxième audition – pratique rare - à Lord Hill pour convaincre les parlementaires européens de le soutenir.
Pas de raison de le refuser en raison de son passeport pour l'eurodéputée Sylvie Goulard (du groupe politique centriste ADLE). Pour d'autres, sa nationalité est même un atout. "Une très bonne nouvelle pour le Royaume-Uni", a twitté le ministre britannique de l'économie Georges Osborne. Les milieux d'affaire renchérissent: Chris Cummings, directeur de TheCityUK, représentant les intérêts du centre financier londonien, a parlé "d'une très bonne nomination pour la City", qui servira à faire entendre la perspective britannique sur l'UE; Terry Scuoler, à la tête de l'organisation représentant les intérêts industriels du royaume EEF, parle d'une véritable opportunité d'influer sur "une politique à l'importance critique pour le Royaume-Uni".
Car à part sa nationalité, on savait peu de choses sur Jonathan Hill. Cet homme de l'hombre est pourtant influent depuis un grand nombre d'années au sein du parti conservateur. Typique de l'élite britannique, il a été éduqué dans une école privée londonienne avant d'être diplômé en histoire de la prestigieuse université de Cambridge. Engagé dès ses 25 ans dans le service de recherche du parti conservateur, sous Tchatcher, il a travaillé comme conseiller du premier ministre John Major (1990-1997). L'Europe ne lui est pas complètement inconnue: il était chef du service politique de Major au moment des négociations du Traité de Maastricht (1992). S'ensuit une période où il travaille comme consultant et fonde sa propre entreprise de conseil en relations publiques, Quiller Consultants. Anobli en 2010, le nouveau pair est devenu le président de la Chambre des Lords en 2013.
C'est sa carrière comme consultant proche des milieux de la City qui inquiète, en particulier à gauche et les écologistes, qui lui ont demandé lors de sa première audition de fournir une liste de ses anciens clients – refus net du candidat commissaire. L'ONG Corporate Europe a enquêté sur les registres des lobbies pour montrer qu'on comptait parmi ses clients les plus importants des fonds d'investissement et des banques comme HSBC et Bank of America.
De plus, figure d'un parti de plus en plus eurosceptique, Lord Hill n'a montré que peu d'enthousiasme pour candidater à Bruxelles – dans un entretien de juin dernier, à la question de sa potentielle nomination par le gouvernement britannique à Bruxelles, il répondit "non, non, non" en français.
Pourquoi Londres a-t-elle insisté? C'est que le portefeuille des affaires financières est au cœur d'une série de tensions entre l'UE et le Royaume-Uni.
Bon baisers de Bruxelles: des affaires à déminer entre le Royaume-Uni et l'UE
Il y a d'abord la menace du "Brexit", une possible sortie de l'UE par référendum en 2017 promis par le premier ministre David Cameron. Le chef du gouvernement britannique se sert régulièrement de ce référendum comme un moyen de pression pour aller vers une Europe centrée sur la libéralisation et le marché unique, avec moins de compétences politiques. Sous pression de l'aile droite eurosceptique de son parti, il laisse planer l'ambiguïté sur le résultat qu'il préfère. Lord Hill contraste. Lors de sa seconde audition, bien qu'il défende une Europe réformée dans le sens de Cameron, il a clairement dit son "espoir" que les citoyens britanniques voudraient rester dans l'UE – et n'a pas hésité à qualifier de "rêves et de contes de fées" les ambitions des eurosceptiques: "un accès au marché unique selon les propres termes du Royaume-Uni, eh bien, cela pour moi n'est pas un résultat très probable". Moins eurosceptique qu'on pourrait le croire, donc.
Il y a aussi la question du plafond imposé sur les bonus des banquiers par l'UE, dans le contexte de la crise. Cette directive, dont l'entrée en vigueur correspond à 2014, limite notamment le niveau de bonus à la valeur d'un salaire de base annuel. Mesure déjà en partie contournée par des modes alternatifs de rémunération – les salaires de base ont parfois été gonflés, et des banques comme Barclays ont cédé des actions à leurs directeurs en remplacement des bonus supplémentaires. La situation actuelle est un typique affrontement mené de concert par la City et Westminster contre la régulation européenne: le Trésor britannique vient de terminer en septembre une procédure de poursuite devant la Cour de Justice européenne. Les résultats arriveront dans les mois suivants – la tâche sera rude pour Hill, à la fois nominé par son parti conservateur et Commissaire européen.
La taxe européenne sur les transactions financières est un autre sujet épineux. Un groupe de 11 Etats membres, dont la France et l'Allemagne, s'est en effet mis d'accord pour mettre en place une taxe sur les échanges transnationaux d'obligations, d'actions et de produits dérivés, affectant le commerce de la City. Une fois encore, le Royaume-Uni a déposé une plainte devant la Cour de Justice européenne. Une plainte rejetée en avril dernier – que sera donc le discours de Lord Hill au moment où le groupe des 11 mettra en place la taxe?
Enfin, l'un des grands projets du mandat du nouveau commissaire est l'union des marchés de capitaux, qui consiste à booster le commerce transnational d'obligations d'entreprises non bancaires et l'investissement privé dans l'UE. La stratégie qu'il favorise est la relance de la titrisation – une technique consistant à compiler en un seul produit financier différents titres de dettes avec des risques et des revenus de différents niveaux, l'idée étant de diversifier les risques pour limiter au maximum la possibilité d'un défaut. L'effet attendu de la titrisation est de fournir un plus grand volume de crédit, ce qui devrait bénéficier à une croissance européenne en berne.
Problème majeur: c'est précisément cette technique financière qui a été au cœur de l'explosion de la crise financière en 2008. D'abord parce qu'une grande partie de ces nouveaux produits reposaient sur une tranche "senior" (degré de risque minimum) constitué de prêts immobiliers (et donc brutalement fragilisés par la crise des valeurs immobilières au Etats-Unis en 2007; ensuite parce que la complexité de leur composition semait le doute sur leur degré de toxicité, poussant les banques à la panique. Que proposera donc Lord Hill pour éviter les dérives potentielles du secteur financier, et de la City en particulier? Pas de "règle d'or" au vu de la complexité du sujet, a-t-il déclaré à la question de la socialiste Pervenche Bérès (PS), mais une proposition d'encadrement législatif basé sur les principes de simplicité, de transparence et d'alignement des intérêts. Il restera donc probablement des doutes – et des craintes – qu'il devra dissiper au moment de proposer ses projets législatifs.
Lord Hill n'a pas complètement convaincu lors de ses auditions; mais il a aussi surpris en bien. Les dossiers brûlants des prochains mois devront révéler si sa connaissance de la City est un atout ou une menace pour la régulation financière européenne.
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
A lire
- TETT, G. (2010), Fool's Gold, London: Abacus
Sur internet
- BBC News (2014), 'UK set to challenge EU cap on bankers' bonuses', publié le 7 septembre 2014
- Corporate Europe (2014), 'Hill refuses to give MEPs details on his past as a lobbyist', publié le 6 octobre 2014
- Conservative Home (2014), 'Lord Hill denies he will be our next European Commissioner, and draws lessons for 2015 from the victory of 1992', publié le 26 juin 2014
- Euractiv.com (2014), 'EU court seen rejecting UK challenge to transaction tax', publié le 25 avril 2014
- Jones, H. (2014), 'A capital markets union could be the next thing in EU's in-tray', Reuters UK', publié le 3 juillet 2014
A voir
- Vieuws (2014), 'Jonathan Hill's second hearing: 5 toughest questions on Finacial Services & Capital Markets', mis en ligne le 8 octobre 2014
Source photo : Hearings of candidate commissioners: Jonathan Hill under scrutiny at the European Parliament © European Union 2014 - European Parliament