Les nouveaux Européens, euro-optimistes ou eurosceptiques ?

Par François Dupré | 5 mai 2011

Pour citer cet article : François Dupré, “Les nouveaux Européens, euro-optimistes ou eurosceptiques ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Jeudi 5 mai 2011, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1107, consulté le 22 mars 2023

 

pepiniere-145.pngLes eurobaromètres représentent une, si ce n’est la, source d'information majeure sur l'évolution des attitudes, valeurs et pratiques des citoyens de l'Union européenne. Ces sondages d'opinion permettent de savoir, entre autres, ce que les populations des États membres pensent de l'intégration européenne. Quelles sont les tendances dans les nouveaux États membres et comment pouvons-nous les expliquer ?

La statistique eurobaromètre qui répond directement à cette question concerne l’avis des sondés sur l’adhésion de leur pays à l’Union européenne. On observe que sur la période 2004-2010, les citoyens des nouveaux États membres sont, en moyenne, moins nombreux à penser que c’est une bonne chose, même si la différence europhile-eurosceptique reste très positive à la fois chez les pays de l’ancienne Europe des 15 et chez les derniers adhérents. Ainsi, le phénomène de rattrapage observé par des politologues pour toutes les vagues d’adhésion antérieures à 2004, avec des nouveaux membres d’abord plus eurosceptiques puis rapidement aussi europhiles que ceux qui les ont précédé au sein de la communauté européenne, est pour l’instant absent. Néanmoins, les nouveaux États membres estiment en moyenne que leur pays a bénéficié de l’adhésion davantage que les membres plus anciens et expriment en outre une confiance envers le Parlement européen bien plus élevée. Ainsi les États qui ont adhéré en 2004 et 2007 à l’Union européenne présentent une attitude relativement ambivalente à son égard, même si des différences de point de vue et de situation subsistent au sein de cet ensemble. Quelle justification à ce phénomène ?  

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Réponses en % à la question : « D’une façon générale, pensez-vous que l’appartenance de votre pays à l’Union européenne est une bonne chose, une mauvaise chose, une chose ni bonne ni mauvaise ? ». Sources : Eurobaromètres 60, 62, 64, 66, 68 69, 71, 72 et 73.

L’UE : nouvel Eldorado ?

Les avantages économiques que les nouveaux adhérents obtiennent grâce à l’Union européenne et surtout aux liens commerciaux et facilités de circulation des biens et des personnes qu’elle implique sont la première raison qui vient à l’esprit lorsqu’on tente d’expliquer ce qui pourrait motiver un soutien à l’UE chez les nouveaux pays membres. En effet, depuis leur adhésion jusqu’à la crise économique récente, ces États ont connu une phase de croissance sans précédent. L’UE est de plus une promesse de bénéficier des fonds structurels alloués aux pays ou bien régions les plus défavorisés afin de stimuler leur développement. Selon le think-tank eurosceptique Open Europe, le bénéfice net, c’est-à-dire la différence entre l’argent donné par l’UE et contribution au budget communautaire, s’élève sur la période 2007-2013, à 22 milliards d’euros pour la République Tchèque, 24 pour la Hongrie, 65 pour la Pologne, 25 pour la Roumanie… Des chiffres très éloignés de la « perte » allemande de 86 milliards ou bien française de 51.

Il faut aussi mentionner le fait que la liberté de circulation, même si elle a été l’objet d’un régime transitoire et donc limitée, permet à de nombreux pays de l’Est d’évacuer une partie de leur population au chômage tout en profitant de la liberté de circulation des capitaux pour accueillir les investissements en provenance de membres plus riches. Ces IDE sont attirés par une fiscalité avantageuse qui n’a pas encore été harmonisée à l’échelle de l’UE. De ce choix de l’Union résultent des créations d’emploi via l’implantation d’entreprises étrangères. Néanmoins, ce manque de coordination en matière d’impôt est permis par les autorités européennes en échange du refus de faire des nouveaux États membres des bénéficiaires à part entière de la Politique Agricole Commune et de la politique de développement régionale dès leur adhésion. Ils ne pourront profiter pleinement de ces aides qui représentent la plus grande part du budget européen avant 2014.

En outre, la contestation à ce sujet prend de l’ampleur comme le montrent par exemple les critiques virulentes du président français Nicolas Sarkozy en janvier 2011 à l’encontre de l’Irlande qui ne pouvait, selon lui, garder ses avantages fiscaux tout en recevant l’aide de l’Union européenne pour faire face à la crise financière. Il est ainsi clair que  l’absence d’harmonisation des politiques fiscales n’est qu’un lot de consolation pour les pays qui n’ont pas encore tous les droits normalement inhérents à l’appartenance à l’UE.

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Réponses en % à la question : « D’une façon générale, pensez-vous que votre pays a bénéficié ou pas bénéficié de son appartenance à l’Union européenne ? ». Sources : Eurobaromètres 59, 60, 61, 63, 65, 67 et 69.

 

 

Un garde-fou politique

Les nouveaux États membres sont pour la plupart des pays de l’Est qui ont subi le joug soviétique ainsi que la domination de grands empires tout au long de leur histoire. Ainsi, leur attachement aux principes fondamentaux de l’UE que sont la démocratie et le respect des minorités est visible à travers la confiance forte qu’ils accordent au Parlement européen,  l’institution qui semble être la plus proche des citoyens européens. Dans le même esprit, on peut analyser le bénéfice que ces citoyens pensent avoir tiré de l’UE, non pas uniquement comme un élément matériel mais aussi comme une assurance moins tangible : celle que leur système politique doit rester une démocratie libérale, condition sine qua non de l’appartenance à l’Union.

Néanmoins, il est aussi possible de nuancer cette explication en remarquant que l’UE peut être perçue comme une menace envers la souveraineté nationale difficilement acquise au cours d’une histoire de lutte d’abord contre les empires puis contre l’URSS. Cette analyse semble satisfaisante pour expliquer qu’en moyenne les citoyens européens des nouveaux États membres font preuve d’une europhilie plus réservée que leurs homologues de l’ancienne Union à 15.

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Réponses en % à la question : Pourriez-vous nous dire si vous avez plutôt confiance ou plutôt pas confiance dans le Parlement européen ? ». Sources : Eurobaromètres 59, 60, 61, 63, 65, 67 et 69.

La conjoncture dicte-t-elle les tendances de l’opinion publique ?

Il faut souligner que le soutien à l’UE est aussi influencé par des facteurs conjoncturels. Certains pays profitent actuellement plus des aides de l’UE que d’autres ou bien le gouvernement en place est impopulaire… tous ces éléments difficiles à prendre en compte dans des sondages d’opinion ne doivent pourtant pas être mis de côté pour comprendre les tendances dans les nouveaux États membres. Au niveau national, l’instabilité politique des anciens pays communistes et la corruption chronique, la Slovaquie étant par exemple au 59ème rang mondial des pays les moins corrompus selon l’index de Transparency International, et la Roumanie à la 69ème place, sont sans doute un facteur explicatif de la confiance forte accordée au Parlement européen celui-ci étant perçu comme plus intègre même si l’actualité a tendance à nous donner tort sur ce point.

Il est également intéressant de souligner qu’en règle générale, le soutien au gouvernement national en place est souvent accompagné du soutien à l’Union européenne. Cette observation permet de mieux comprendre les divergences au sein d’États membres pourtant très proches géographiquement et historiquement en ce qui concerne le degré d’europhilie (la Roumanie se montre par exemple bien plus en faveur de l’UE que sa voisine la Hongrie).

En outre, il convient de ne pas occulter les dommages occasionnés par la crise économique, la période 2007-2009 montre de fortes divergences dans l’évolution du PIB par habitant au sein des pays membres depuis 2004 et 2007. Si la Hongrie, la République Tchèque et la Slovénie (par exemple) restent stables, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie subissent une forte diminution du PIB par habitant alors que la Slovaquie réussit le tour de force d’accroître la richesse de ses citoyens dans un contexte économique troublé. Cela peut expliquer les divergences que l’on constate dans le degré d’europhilie  des derniers adhérents en date : la Lettonie est bien plus méfiante à l’égard de l’UE que l’Estonie par exemple. Néanmoins, il est impossible d’établir une corrélation du type « le soutien à l’Europe est plus fort dans les pays qui sont économiquement les mieux portants » comme le montrent les chiffres du chômage en Europe. Celui-ci explose littéralement en Estonie et Lettonie entre 2008 et 2009 (il passe de 5 pour cent à 13 pour cent pour l’Estonie et 17 pour cent pour le pays voisin). Ainsi, l’europhilie de l’Estonie est difficilement compréhensible si l’on s’adonne à d’autres comparaisons. Par exemple les Polonais pensent en majorité que l’adhésion de leur pays àlL’UE est une bonne chose, alors que les Hongrois seraient plutôt convaincus du contraire, or dans ce cas de figure l’indicateur économique qu’est le taux de chômage pourrait fournir une explication à cette divergence de point de vue : il est passé de 7,4 à 10 pour cent en Hongrie entre 2007 et 2009 alors qu’en Pologne il diminue de 9,6 à 8,2 pour cent.

En guise de conclusion

Des causes multiples décident de l’opinion nationale à l’égard de l’Union ; les facteurs économiques jouent un rôle important, mais on ne saurait passer outre l’histoire particulière de ces pays à la mémoire nationale traumatisée à de multiples reprises. Les explications de nature politique doivent également être examinées : que ce soit vis-à-vis de l’attachement à la démocratie ou bien dans le rapport qu’entretiennent les citoyens avec leur gouvernement national.

Dire que l’UE traverse un moment difficile de son histoire est un lieu commun : des États membres de longue date ont dû être sauvés par des aides financières importantes, la BCE garde son rôle premier de contrôle de l’inflation ce qui peut potentiellement détruire les timides débuts de retour à la croissance et récemment le Sunday times a révélé la corruption de trois eurodéputés. Si l’Europe a pu être vue comme un Eldorado, cette image est bien ternie actuellement. Comment est-ce que cela va-t-il affecter l’opinion publique des nouveaux États membres ?

 

Pour aller plus loin

Sur Nouvelle Europe

À  lire

  •  

    HIX S., HOYLAND B., The Political System of the European Union, Londres, Palgrave, 2011.
    Sur Internet

  • MINK G., NEUMAYER L., « Contagion anti-européenne en Europe centrale », in Politique étrangère N°3 - 2002 - 67e année pp. 665-681.

Source photo : 2-Way traffic, par J Heffner, sur flickr