Good Bye Lenin (2003), Sonnenallee (1999), Das Leben der anderen (La Vie des autres-2006), Barbara (2012) : autant d'objets cinématographiques que de mises en scène du temps de la République démocratique allemande (RDA).
Par la petite histoire, on pénètre dans la grande. Ainsi l’histoire d’un fils qui prend soin de sa mère (Good Bye Lenin) conduit le spectateur au cœur du processus de la réunification, celle supposée transcender les clivages entre Wessis (Allemands de l’Ouest) et Ossis (Allemands de l’Est). Les aventures d’étudiants passionnés de musique rock (Sonnenallee) nous laissent entrevoir les enjeux de la propagande culturelle. Enfin, les amours d’une jeune femme médecin (Barbara) amènent une réflexion sur l’encadrement politique de la société.
Chaque film se veut également l’incarnation d’un pan de la société: les lycéens de Sonnenallee, les intellectuels de La Vie des autres ou encore les médecins de Barbara nous offrent une vision synthétique de la société est-allemande. Par-delà la particularité de chaque situation, c’est l’universalité des relations humaines qui est traitée, de l’empathie à la vindicte, du politique au philosophique… Le spectateur est un témoin de ces relations humaines qui se nouent et se dénouent au gré des intrigues, aussi bien sur fond de comédie pour Sonnenallee que de drame pour les autres films, et parfois égrainées de suspense et tensions psychologiques.
Le huis clos, expression de l’esprit totalitaire
Raymond ARON, dans Démocratie et Totalitarisme, attribuait cinq caractéristiques aux sociétés totalitaires : un parti qui détient le monopole de l'activité politique, une idéologie érigée en vérité officielle, le double monopole des moyens de violence et de persuasion, l'absorption de la plupart des activités économiques par l'Etat et enfin une terreur à la fois politique et idéologique.
Certaines de ces caractéristiques se retrouvent dans la vie quotidienne de la RDA, notamment la terreur qui passe par un système de surveillance bureaucratique permanente : « die Stasi is watching you ». Cette Stasi ou Ministère de la Sécurité d’Etat est au cœur de La Vie des autres et de Barbara.
Dans le cadre du film Barbara, l’omniprésence de la surveillance policière participe à l’atmosphère constamment tendue et rappelle à quel point « l’enfer, c’est les autres ». Tout n’est que solitude contrariée, puisque le désir d’indépendance de l’héroïne et la soif de liberté de la jeune patiente sont régulièrement étouffés par l’invasion du collectif dans la vie personnelle. Tout élan individuel devient contraint. Tout devient contrôle - un contrôle renforcé par le choix du huis clos. En effet, le film ne met en scène que quelques personnages au sein d’un espace clos, celui d’une petite ville du bord de la Baltique dont la mer constitue l’unique horizon de liberté. Ce choix du huis clos donne alors un aspect théâtral et dramatique au film qui permet de mieux rendre compte du poids du rideau de fer sur la vie quotidienne. Par-delà les barrières physiques, le Rideau de fer constitue une barrière mentale, source de rapports de force et enjeu de domination psychologique.
Dans La Vie des autres, la Stasi est une entité abstraite, un principe régulateur de la société, dont l’incarnation concrète suscite des contradictions. L’agent de la Stasi chargé de surveiller le dramaturge, joue en effet contre son propre camp. Il se détourne de sa fonction de vigile pour servir les intérêts du dramaturge. Ce renversement des règles, qui oppose la docilité passée de l’agent à son attitude d’indiscipline secrète, interroge les rouages du système bureaucratique. Jusqu’à quel point le système demeure viable ? Ne mérite-il pas d’être dépassé ?
Du poids des grands hommes
Une autre caractéristique de la société totalitaire que l’on entrevoit dans les films traitant du Rideau de fer, c’est l’idéologie, le culte de la personnalité. Ce culte de la personnalité n’est bien sûr pas aussi développé au temps de la RDA qu’aux temps d’Hitler ou de Staline. Et pourtant, certains grands personnages de l’Histoire viennent hanter la vie des personnages, à l’instar de Lénine, qui imprègne le film Good Bye Lenin depuis l’allusion éponyme du titre jusqu’à la statue qui survole Berlin. Cette statue de Lénine joue d’ailleurs un rôle très symbolique, puisqu’elle plane toujours au-dessus de la vie des personnages. C’est une ombre qui demeure par-delà les transformations socio-économiques, et rappellent l’intemporalité des grands hommes, leur fonction politique post-mortem.
Par-delà les apparences
La surveillance conduit enfin à une mise en abîme : si les agents de la Stasi épient les protagonistes de La Vie des autres, de Barbara et même de Sonnenallee, le spectateur est placé, de manière similaire, dans la position de l’observateur caché. Il épie lui aussi les protagonistes et le jeu des apparences. Le temps du visionnage, il est projeté dans un voile d’illusions, qui rappelle le grand principe du cinéma, à savoir le pouvoir de l’image.
Les apparences sont justement le sujet de Good Bye Lenin : il s’agit de maintenir l’illusion de la société communiste de la RDA, alors que l’Allemagne est en plein processus de réunification et que sa partie orientale s’ouvre au capitalisme. Comment réussir alors à intégrer des sodas américains et autres objets de la nouvelle société de consommation à la RDA ? Comment faire de la société capitaliste naissante un prolongement du passé ? Tel est le défi que décide de relever le héros afin de préserver sa mère, communiste convaincue fragilisée par une attaque cardiaque.
Ce jeu et cette interrogation sur les apparences, plus ou moins trompeuses, sont donc un moyen original de réfléchir aux grands enjeux de la transition économique. Autrefois objet d’étude de nombreux économistes, notamment ceux du consensus de Washington, la question de la transition économique, et surtout de son achèvement, résonne encore aujourd’hui, alors que le parti libéral FDP prône régulièrement une suppression du « Soli », la taxe de solidarité pour la réunification allemande…
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Dossier du mois de juin 2013 : Le cinéma et l’audiovisuel en Europe
A voir
- Sonnenallee (1999), de Leaner Haussmann.
- Barbara (2012), de Christian Petzold.
- La Vie des autres (Das Leben der anderen) (2006), de Florian Henckel von Donnersmarck.
- Good Bye Lenin (2003), de Wolfgang Becker.
A lire
- ARON, Raymond, Démocratie et totalitarisme, Folio, 1987.
- BAUQUET, Nicolas et BOCHOLIER, François (dir.), Le Communisme et les élites en Europe centrale, PUF, 2006.
- SARTRE, Jean-Paul, Huis Clos, Folio, 1992.
Photo : © Capucine Goyet pour Nouvelle Europe.