Le boom de l'investissement chinois au Portugal

Par João Goes | 29 juin 2015

Pour citer cet article : João Goes, “Le boom de l'investissement chinois au Portugal ”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 29 juin 2015, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1916, consulté le 02 avril 2023

La crise économique et financière portugaise a mené à un large programme de privatisations entrepris par le gouvernement. La Chine - qui depuis le XVIème siècle a maintenu des relations étroites avec le Portugal - fut l'un des pays qui sut profiter le plus de cette situation et des opportunités qu’elle offrait aux investisseurs étrangers. Elle est ainsi devenue l’un des principaux acteurs dans des marchés stratégiques comme l’énergie, les assurances, l’immobilier et plus récemment, la banque. 

Les relations Chine-Portugal jusqu’en 1999 : le commerce en territoire chinois et l’administration portugaise de Macao

Les relations entre la Chine et le Portugal connaissent une histoire longue de cinq siècles. Ainsi, en 1554 -  41 ans après l`arrivée du navigateur Jorge Álvares sur l’île de Ling-Ting – les autorités portugaises et cantonaises signent le premier Accord Luso-Chinois, visant à régler leurs relations commerciales. Cet accord ouvre la voie à l’autorisation pour les Portugais de s’établir en permanence à Macao, à partir de 1557, autorisation confirmée par le traité d’amitié sino-portugais (Traité de Pékin) de 1887.

La reconnaissance par le Portugal de la République populaire de Chine en 1979 rétablit d’importants contacts diplomatiques, qui avaient été interrompus après l’avènement du régime communiste dans l’empire du milieu. Comme le souligne Bernardo Futscher Pereira (2006 – p.066), «il semble exister de la part des autorités chinoises un vrai intérêt de développer des relations avec le Portugal et une prédisposition à conférer au Portugal un statut et un traitement qui, n’étant pas tout à fait équivalent, est au moins proche de celui qui est donné aux principaux pays européens». La proximité des relations se manifeste par exemple par le nombre de visites bilatérales, en moyenne une par an entre 1985 et 2006 - au niveau des chefs d’Etat, de gouvernement et ministres des affaires étrangères des deux pays – et par l’établissement d’un «partenariat stratégique global» entre le Portugal et la Chine en 2005. Pourtant, si de 1979 à 1999 les contacts entre les deux pays étaient dominés par les négociations et la mise en œuvre du transfert de souveraineté sur Macao à la Chine (abouti en 1999), ce sont les négociations économiques qui sont, depuis 1999, plutôt à l’ordre du jour.

Ces contacts économiques ont surtout augmenté avec la crise financière et économique qui toucha de plein fouet le Portugal à la fin des années 2000. Avec la contraction du marché intérieur national, les entreprises portugaises ont favorisé l’exportation et le marché chinois représente une opportunité intéressante pour ces entreprises. Ainsi, selon les données de la Chambre de Commerce et d’Industrie luso-chinoise le nombre d’entreprises portugaises qui exportent vers la Chine est passé de 754 en 2009 à 1111 en 2013. La crise a également été le déclencheur d’une tendance d’investissements chinois au Portugal sans précédent qui a eu pour conséquence la croissance de l’influence de la Chine dans le panorama économique portugais.

La crise portugaise et l’entrée en force de la Chine dans les marchés de l’énergie, assurances, banque et immobilier

Suite à la crise financière et économique, entre 2008 et 2014, les investissements étrangers dans les entreprises portugaises se sont élevés à 30 milliards d’euros, d’une part dans le contexte d’un large programme de privatisations mené par l’Etat et d’autre part par l’achat de participations dans des entreprises privées. La Chine, du fait de sa relation privilégiée ancienne avec le Portugal, a su profiter de l’opportunité que la crise offrait pour les investisseurs étrangers.

En 2011, lorsque le programme d’assistance mené par la troïka, composée par la Commission européenne, la Banque Centrale européenne et le Fonds Monétaire International débuta au Portugal, les trois principaux partis politiques nationaux signèrent un mémorandum promettant entre autres mesures de mettre en œuvre un large programme de privatisations, notamment dans le secteur énergétique. L’Etat possédait en 2011 une participation de 21.35% dans EDP - la plus grande compagnie de production d’électricité du pays et plus grande entreprise portugaise - et de  51% dans REN, la principale compagnie nationale de transport et distribution d’électricité (49.90% à travers Parpública, la holding qui gère les actions de l’Etat dans les entreprises et 1.1% à travers Caixa Geral de Depósitos, la banque de l’Etat). C’est China Three Gorges, entreprise créée par le gouvernement chinois pour construire et gérer le plus grand complexe hydroélectrique du monde, le barrage des Trois Gorges sur le fleuve Yangtze, qui acheta la part de l’Etat dans l’entreprise EDP à la fin de l’année 2011 et devint ainsi son principal actionnaire. En ce qui concerne REN, le gouvernement portugais mit en œuvre deux phases de privatisations depuis 2011. Au cours de la première, en 2012, l’entreprise publique chinoise State Grid, transporteur et distributeur d’électricité, acheta 25% des actions détenues par Parpública, ce qui en fit le premier actionnaire de REN.

Avec ces deux opérations affectant deux entreprises publiques, la Chine devint un acteur de premier plan dans le marché énergétique portugais. Parallèlement, le Portugal est également vu par les entreprises chinoises comme une porte d’entrée vers le marché des pays lusophones. Par exemple, on peut citer la vente de 30% de Petrogal Brasil - entreprise liée à l’entreprise portugaise Galp Energia et responsable des opérations d’extraction de pétrole au Brésil – à la compagnie publique chinoise Sinopec. De même, on a assisté à la vente à China Three Gorges par EDP Renováveis (détenue à 75% par EDP) de 49% des parts de l’entreprise dans les parcs éoliens au Brésil.

L’investissement direct chinois au Portugal se manifeste aussi par des investissements privés dans le cadre du large programme de privatisations. Un cas paradigmatique est l’achat de 84.7% de Fidelidade (et de 80% de Ceres et 80% de Multicare), la compagnie d’assurances détenue par Caixa Geral de Depósitos et ses compagnies d’assurance-maladie en 2014, par le plus grand conglomérat privé chinois, l’entreprise Fosun. Par l’intermédiaire de Fidelidade, Fosun investit par la suite dans plusieurs autres entreprises portugaises dans les domaines des assurances et de l’énergie. Ainsi, en 2014, Fidelidade/Fosun achetèrent 96% d’Espírito Santo Saúde, l’assurance maladie de Banco Espírito Santo (qui a fait faillite en 2014) et 5.1% de REN lors du deuxième programme de privatisation de l’entreprise.

Le secteur de la banque portugaise est un autre secteur dans lequel les investissements chinois commencent à émerger, notamment dans le contexte de la déstructuration de Banco Espírito Santo. Ainsi, en 2014, le groupe Haitong achète la banque d’investissements de Banco Espírito Santo (BESI). Fosun, ainsi qu’une autre entreprise chinoise, Anbang Insurance, sont actuellement les candidats les mieux positionnés pour acquérir Novo Banco, la banque créée pour accueillir les actifs non-toxiques de Banco Espírito Santo. Selon la manchette du journal d’affaires Jornal de Negócios du 13 mai 2015, deux groupes chinois seraient aussi intéressés dans l’achat de la part de l’Etat portugais dans la banque BANIF, qui s’élève à 60.53%.

Selon Ana Suspiro, auteur d’un livre sur le boom des ventes d’entreprises portugaises depuis 2008, «l’investissement chinois n’est pas financier et ne cherche point le gain immédiat. Il est stratégique» (p. 40). De ce fait, les investisseurs chinois au Portugal ciblent des actifs dans des secteurs clés pour l’économie tels que l’énergie,  les assurances et la banque. Une autre caractéristique du modus operandi des investissements de la Chine est l’absence d’investissement de départ ; «les Chinois achètent des entreprises déjà mûres et maintiennent les équipes de gestion», comme l’affirme Luís Sáragga Leal, partner de PLMJ, le plus grand cabinet d’avocats portugais. Les équipes de la plupart des entreprises achetées par des investisseurs chinois au Portugal sont maintenues pratiquement sans changement.

Au-delà de l’énergie, des assurances et de la banque, le marché immobilier portugais a aussi attiré les investisseurs chinois, notamment grâce aux programme « Visas Gold ». En 2011, le gouvernement du Portugal institue un programme de titres de séjour spéciaux pour des ressortissants hors-UE qui investissent un minimum de 1 million d’euros dans une activité professionnelle employant au moins 10 personnes ou 500 000 euros dans un achat immobilier. Cette deuxième option est devenue particulièrement populaire pour les ressortissants chinois, dont les investissements sur le marché immobilier portugais sont de l’ordre de 864 millions d’euros, selon des données d’octobre 2014. Ceci ferait du Portugal la troisième destination des investissements immobiliers chinois en Europe, selon des chiffres donnés par le président de l’Association luso-chinoise de commerçants et industriels. Les investisseurs chinois représentent ainsi 80% des détenteurs de titres de séjour ayant bénéficié de ce programme.

L’importance de la Chine dans l’économie portugaise et l’importance du Portugal dans l’investissement direct étranger chinois

Toutes ces opérations montrent que l’importance de la Chine dans l’économie portugaise ne cesse de s’accroitre. Ainsi, selon l’hebdomadaire Sol du 24 avril 2015, environ 45% du marché énergétique et 33% du marché des assurances du Portugal sont maintenant détenus par des Chinois. Selon le même journal, si l’achat de Novo Banco par Fosun se confirme, cela signifierait que 15% du secteur bancaire portugais seraient aussi détenus par des capitaux venus de Chine. Cette importance est encore plus évidente quand on sait qu’environ 30% des fusions et acquisitions impliquant des compagnies portugaises entre 2011 et 2014 ont été effectués par des entreprises chinoises (Suspiro – 2015, p. 70).

Selon une étude du cabinet de conseil Rhodium, entre 2004 et 2014, le Portugal a été la quatrième destination européenne d’investissements directs chinois, de l’ordre de 5.9 milliards d’euros, la plupart ayant été effectués depuis 2011 (envers 2 milliards d’euros en 2014 selon Rhodium). Considérant le montant investi en fonction de la dimension de l’économie et du marché des capitaux, le Portugal serait le pays européen dans lequel l’investissement chinois aurait le plus grand poids.

D’autres projections, comme celles de la Chambre de Commerce luso-chinoise, prennent aussi en compte les achats de parts dans des entreprises portugaises à l’étranger et l’investissement sur le marché immobilier au Portugal. L’investissement chinois au Portugal s’élèverait alors à 10 milliards d’euros depuis 2000.

Réactions des institutions politiques et des entrepreneurs portugais

L’élite politique portugaise semble unanimement saluer l’approfondissement des relations économiques et commerciales entre la Chine et le Portugal et ne cesse de promouvoir l’investissement chinois. Ainsi, le Président de la République du Portugal, Aníbal Cavaco Silva, lors d’une visite d’une semaine à la République populaire et Macao en mai 2014, déclarait avoir «beaucoup d’espoir que les entrepreneurs chinois continuent, de plus en plus, à regarder le Portugal comme une excellente opportunité pour l’investissement et la construction de partenariats». Paulo Portas, Vice Premier-Ministre du Portugal, déclarait en 2012 (époque où il était Ministre des Affaires étrangères), que le Portugal «a les portes ouvertes à l’investissement chinois» et que celui-ci constitue une «aide à l’internationalisation des entreprises portugaises». Même António Costa, leader du Parti Socialiste, principal parti d’opposition, remercie en 2015 «le soutien que les investisseurs chinois ont donné au Portugal pendant les dernières années». Cette ouverture de l’élite politique face à l’investissement chinois est confirmée par Choi Man Hin, président de l’Association luso-chinoise de commerçants et industriels qui déclare que «la crise économique a encouragé le gouvernement portugais à ouvrir le marché aux entreprises chinoises de manière très osée».

Les réactions des chefs d’entreprises portugaises sont quant à elles plus partagées face à l’investissement chinois. Alexandre Soares dos Santos, PDG du groupe Jerónimo Martins, affirme qu’il «déteste l’investissement chinois, parce qu’il n’apporte rien : ni du savoir-faire, ni même du management». Fernando Ulrich, Président exécutif de la Banque BPI, se dit choqué par la quantité d’investissements chinois au Portugal dans un temps si limité. Le banquier s’indigne que «personne ne soit scandalisé que le président de Fosun soit membre du comité du Parti Communiste chinois et que les entreprises soient commandées par l’Etat». A l’inverse, selon Eduardo Catroga, Président du conseil général et de supervision d’EDP, «la participation des entreprises chinoises dans tous les secteurs est importante en tant que véhicule de l’internationalisation des entreprises, comme le montre le cas d’EDP, Fidelidade, REN, entre autres».

Indépendamment des opinions, une chose est certaine : l’investissement stratégique de la Chine au Portugal est là pour rester.

 

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Sur Nouvelle Europe :

A lire

  • Ana Suspiro, ‘Portugal à Venda’, Lisbonne, Esfera dos livros, 2015

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