
Dans la mesure où les problèmes environnementaux transcendent les frontières étatiques, l'UE apparaît de facto comme une promotrice potentielle de la gouvernance environnementale mondiale (GEM). L'article de Nikki dans ce dossier reconnaît cependant que l'UE ne pourra jouer un rôle déterminant qu'en unifiant ses dissenssions institutionnelles internes. Le but du present article est de contribuer au débat en apportant des éléments théoriques à l'hypothèse du leadership européen en ce qui concerne la GEM puis de souligner les incohérences internes de l'UE.
L'Union Européenne et le mythe du leadership de la gouvernance mondiale environnementale
La gouvernance mondiale désigne un mode de gestion des problématiques qui transcendent les frontières nationales et nécessitent ainsi une action concertée des acteurs nationaux. Ce concept est appliqué assez largement dans la littérature scientifique pour rendre compte du caractère global des problématiques environnementales. On parle alors dans ce cas de Gouvernance Environnementale Mondiale (GEM). En effet, l'importance croissante des défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés a mené à une conception globale et non plus locale du problème. On parle alors de biens communs (G. Hardin, Tragedy of the Commons, 1968) dans la mesure où ces derniers ne relèvent pas de la juridiction d'un Etat particulier. C'est par exemple le cas de l'atmosphère terrestre, des fonds marins... C'est pour cette raison que le cadre multilatéral a rapidement été le canal diplomatique principal pour la résolution de ces problématiques. Depuis la conférence de Stockholm en 1972 (Conférence des Nations Unies sur l'Environnement Humain), véritable jalon de la GEM, on a vu se développer de multiples initiatives et sommets multilatéraux sur des questions générales ou bien des problématiques plus spécifiques. Le Sommet de la Terre qui s'est tenu à Rio de Janeiro en 1992 fait régulièrement l'objet d'un bilan : ainsi, Rio+10 et Rio+20 se sont déroulés à Johannesbourg respectivement en 2002 et 2012.
Si l'UE est perçue comme une promotrice de la GEM, cela tient en partie au fait que cette problématique est structurée autour de la théorie des régimes. Développée notamment par S. Krasner, un politologue américain, au début des années 1980, cette théorie affirme qu'il existe "des principes, normes, règles et procédures de prise de décision implicites et explicites autour desquels les attentes des acteurs convergent dans un domaine donné". Le domaine de l'environnement est un exemple probant de la multiplication des régimes ; on dénote en effet pas moins de 150 accords multilatéraux environnementaux dans les années 1980. Cepenant, le nombre important des régimes environnementaux ne doit pas laisser croire qu'il s'agit d'un processus qui va de soi. Chaque régime est le fruit de longues négociations et de nombreux auteurs se sont intéressés aux conditions d'émergence d'un régime. Pour la plupart d'entre eux, un régime ne peut être créé sans l'action d'un Etat puissant qui assumerait la charge de mettre en place les institutions et les arrangements informels nécessaires. Gareth Porter, un historien américain, a contribué à ce débat en proposant une typologie des rôles que les Etats peuvent endosser au moment de la mise en place d'un régime. L'Etat qui pousse à la coopération est leader et il est entravé dans sa tentative par un Etat bloqueur. Les autres Etats peuvent entrer en coalition avec l'un des deux précédents selon deux logiques différentes. Un Etat soutien est en faveur du régime et renforce la position du leader du fait d'une alliance permanente ou de consessions offertes par le leader en-dehors du régime. Un Etat pivot n'a pas de position fixe et se vendra au plus offrant. Tout cela procède d'un processus de marchandage, un processus bien connu dans la théorie des jeux qui analyse les interactions stratégiques entre acteurs.
Les Etats-Unis ont été les premiers à endosser le rôle de leader dans les régimes environnementaux. On leut doit notamment le régime sur l'ozone avec le protocole d'application de la Convention de Vienne de 1987, ainsi que la Convention sur la Diversité Biologique. Mais après le fiasco du Protocole de Kyoto en 1997 et leur position bloqueuse sur le dossier du réchauffement climatique en général, c'est l'Union européenne qui se voit à présent attribuer le rôle de leader. Comme le rappelle Nikki, l'UE parvient souvent à dépasser les clivages Nord-Sud et à trouver des compromis. Mais l'idée selon laquelle l'UE serait une véritable promotrice de la GEM est à déconstruire. En effet, les leaders politiques européens n'ont de cesse de vanter le leadership européen sur les questions environnementales. L'enthousiasme de J.-M. Barroso lors du sommet de Rio+20 (voir l'article de Nikki) ne peut que nous rappeler la confiance de la Commissaire européenne à l'Action pour le climat, Connie Hedegaard, qui affirma en 2010 après le sommet de Cancùn que "Europe played a key role in the political stage of the negotiations ; and we've strived to push things forward". Or, force est de constater que cette rhétorique n'est pas toujours perçue d'un bon oeil par les autres acteurs étatiques de la GEM. Les reproches sur l'UE critiquant une rhétorique qui masque un manque d'action sont monnaie courante.
L'Union européenne : entre acteur global et dissensions internes
Imputer une capacité d'action à l'Union européenne revient à reconnaître son statut d'acteur sur la scène internationale. Elle peut effectivement entreprendre des actions vis-à-vis des autres acteurs étatiques et elle dispose du statut juridique que lui confère le traité de Rome de 1957 ainsi que de la compétence légale attribuée par l'Acte Unique de 1986. Rappelons par ailleurs que l'Acte Unique a été le premier traité à reconnaître l'existence de politiques environnementales européennes. Le traité de Lisbonne de 2009 étend de nouveau ce statut d'acteur en unifiant la personnalité juridique de l'UE. Cependant, le statut d'acteur de l'UE fait l'objet d'un grand débat théorique au sein de la communauté académique et les attributs légaux ne doivent pas faire oublier que dans le domaine environnemental, la compétence est partagée entre la Commission européenne et les Etats-membres. Le mode d'intégration européenne apparait comme son talon d'achille car les Etats-membres gardent un degré d'autonomie. La théorie de la gouvernance que nous avons mentionnée plus haut a aussi été appliquée pour caractériser un transfert d'autorité politique vers le bas. Dans le cas de l'UE, il est effectivement possible de parler de "gouvernance multi-niveaux", un terme développé par le politologue britannique G. Marks, pour traduire l'imbrication des dimensions nationales et supranationales.
Deux conceptions s'opposent quant à l'interaction entre ces deux niveaux. Une première accorde la primauté à la Commission européenne sur les Etats-Membres. Cela se justifie notamment par le fait que la Commission a ratifié plus de 60 accords multilatéraux environnementaux au nom de l'UE. Par ailleurs, il s'agit d'un organe supranational dans la lignée directe de la vision de Jean Monnet et de sa méthode communautaire. Enfin, d'un point de vue plus théorique, cela va dans le sens de l'analyse faite par les institutionnalistes historiques. P. Pierson, un politologue américain, insiste ainsi sur les dynamiques propres développées par la Commission qui exclut les Etats-membres par son pouvoir de coercition et son autonomie. Il s'agirait ici de gouvernance multi-niveaux verticale.
Une deuxième conception se focalise au contraire sur le rôle primordial joué par les Etats-membres, et ce au travers de la subsidiarité, c'est-à-dire le fait de conférer l'autorité à l'unité politique compétente la plus petite pour résoudre un problème. D'un point de vue théorique, cette analyse est corroborée par l'intergouvernementalisme européen mis en évidence par le politologue américain A. Moravcsik, selon lequel ce sont les Etats-membres qui contrôlent l'intégration et le fonctionnement de l'Union européenne. Par ailleurs, si la Commission Européenne détermine l'ordre du jour, ce sont bel et bien les Etats-membres qui disposent des ressources pour mettre en application les politiques. Ce jeu à deux niveaux est d'autant plus pénalisant lors des négociations environnementales au cours desquelles l'UE doit consulter l'ensemble des Etats-membres et manque donc de fléxibilité. Des divisions internes existent au sein de l'UE, à tel point que certains parlent d'une ligne de clivage Nord-Sud intra-européenne. Il s'agit d'une exagération qui vise surtout à souligner la position avant-gardiste des pays nordiques dans le domaine environnemental. Il est vrai que ces derniers s'accomodent mal du refus d'autres Etats-membres de s'engager dans un processus contraignant. Qui plus est, l'unité européenne est encore plus mise à mal si l'on considère les liens historiques de certains Etats-membres avec des Etats tiers, et ce dans la perspective de marchandage que nous avons soulignée plus haut. C'est le cas notamment de la Grande-Bretagne avec les Etats-Unis dont la position réfractaire dans les négociations environnementales est bien connue. C'est également le cas de la France avec une grande partie des pays d'Afrique subsaharienne (la dite "Françafrique") dont les intérêts dans ce type de négociations gravitent autour du développement et des perspectives économiques plutôt que de la protection environnementale. Belle ironie donc pour une Union Européenne qui gère les divisions Nord-Sud à l'échelle internationale sans pouvoir apporter de solution à ses propres dissensions.
En 2000, lors de l'adoption du traité de Nice, les Etats-membres ont affiché leur détermination "to see the European Union play a leading role in promoting environmental protection in the Union and in international efforts promoting the same objective at the global level". Mais l'UE en tant qu'entité actrice dans les négociations environnementales internationales peine à traduire cette rhétorique en action unifiée. Les Etats-membres demeurent souverains et certains peinent à adopter "l'acquis communautaire". Cette difficulté est vouée à s'accentuer avec de potentiels élargissements et l'adhésion de la Croatie le 1er juillet 2013 peu d'ores et déjà servir de point de repère.
Aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Diplomatie européenne : veuillez patienter, l'UE est au bout du fil, Tanguy Séné, 1 novembre 2010
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L’Union européenne dans les négociations environnementales: défi ou opportunité ?, Nikki Ikani, 11 janvier 2013
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