L'égalité entre les femmes et les hommes, un sujet de fonds (structurels)?

Par Fabienne Vauguet | 10 juin 2014

Pour citer cet article : Fabienne Vauguet, “L'égalité entre les femmes et les hommes, un sujet de fonds (structurels)? ”, Nouvelle Europe [en ligne], Mardi 10 juin 2014, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1833, consulté le 22 mars 2023

Parmi les droits fondamentaux que porte et défend l’Union européenne, l’égalité entre les femmes et les hommes est celui qu’un nombre certain de citoyens européens pense être pleinement garanti, voire acquis. Inscrite dans les traités, cette valeur commune demeure un objectif à atteindre dans bien des domaines, tels que l’indépendance économique des femmes, l’égalité de rémunération, l’égalité dans la prise de décision, ou la fin des violences fondées sur le sexe. Le législateur européen agit en la matière. Mais qu’en est-il concrètement, au delà des directives et des stratégies pluriannuelles ? En quoi, par exemple, les Fonds structurels concourent-ils à atteindre plus d’égalité entre les femmes et les hommes ? Prenons ici l’exemple du Fonds social européen.

Quels engagements pour le Fonds social européen (FSE)?

L’article 146 – Titre 10 du Traité de Lisbonne définit ainsi le FSE : « Afin d’améliorer les possibilités d’emploi des travailleurs dans le marché intérieur et de contribuer ainsi au relèvement du niveau de vie, il est institué, dans le cadre des dispositions ci-après, un Fonds social européen, qui vise à promouvoir à l’intérieur de l’Union les facilités d’emploi et la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs, ainsi qu’à faciliter l’adaptation aux mutations industrielles et à l’évolution des systèmes de production, notamment par la formation et la reconversion professionnelles. »

Le FSE vient donc appuyer des initiatives publiques ou privées, conduites pour soutenir les populations dites « actives » des Etats membres : personnes en emploi et demandeurs d’emploi, qui ne constituent pas des ensembles homogènes, ne disposant pas de mêmes niveaux de qualification et de compétences. A cette hétérogénéité, s’ajoutent des écarts de situation entre les femmes et les hommes.

Quelques chiffres ou faits marquants viennent illustrer ces écarts, rappelés par la DG Justice de la Commission européenne, en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes :

- « En moyenne, les femmes de l’Union européenne perçoivent un salaire horaire inférieur d’environ 16 % à celui des hommes » ;

- « L'influence de la parentalité sur la participation au marché du travail reste à ce jour très différente selon le sexe: seules 65,6 % des femmes ayant des enfants de moins de 12 ans travaillent, contre 90,3 % des hommes » ;

- « Les femmes travaillent davantage à temps partiel que les hommes (elles représentent plus de 75 % des travailleurs à temps partiel), dans des secteurs et à des postes moins bien valorisés ».

Face à ce constat, que peuvent faire les parties prenantes de la gestion du Fonds social européen ? Plus exactement, comment doivent procéder les autorités nationales chargées de la gestion du Fonds et les porteurs de projets ?

Pour la programmation 2007-2013, le règlement (CE) n° 1083/2006 du Conseil du 11 juillet 2006 portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion prévoyait à l’article 16 que « les États membres et la Commission veillent à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes et l’intégration du principe d’égalité des chances en ce domaine lors des différentes étapes de la mise en œuvre des Fonds ».

Cette promotion repose sur un principe précis, celui de la dite « double approche », qui consiste à prendre effectivement en compte l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les axes et mesures d’un programme d’intervention, qu’il soit national ou régional (approche transversale) et à développer des actions spécifiques en faveur des femmes pour résorber les écarts (approche spécifique).

Par exemple, en France, pour la période 2007-2013, le programme opérationnel national « Compétitivité régionale et emploi » intégrait, dans un axe n° 2 visant à « Améliorer l’accès à l’emploi des demandeurs d’emploi », une mesure spécifique à l’amélioration et au développement de l’accès et de la participation durable des femmes au marché du travail.

Un tel cadre d’intervention peut apparaître quelque peu abstrait. En effet, participer à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, ou proposer une intervention ciblée à mêmes de produire des effets tangibles n’est pas chose aisée.

Atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes : « toujours remettre l’ouvrage sur le métier »

La gestion du Fonds social européen, comme celle des autres Fonds structurels, a la réputation d’être complexe, au regard des exigences de contrôles d’un ensemble d’autorités nationales et européennes, qui ont pour mission de s’assurer de la correcte utilisation des fonds. L’attention des acteurs de terrain, en tout premier lieu des porteurs de projets, se porte sur le bon respect des règles de contrôles, et non sur certains aspects qualitatifs des projets.

Si le projet ne vise pas spécifiquement l’amélioration de l’égalité entre les femmes et les hommes, cette dimension n’est pas (ou peu) traitée. Il apparaît, par exemple, difficile à un porteur de projet d’imaginer en quoi son action en faveur d’une meilleure gestion des emplois et des compétences pour les PME pourrait permettre de favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, et en quoi cette dimension pourrait même être une composante importante du projet à conduire.

La prise en compte effective de l’égalité entre les femmes et les hommes ne repose donc pas sur la seule et bonne volonté d’un porteur de projets de réfléchir au sujet et d’intégrer une proposition convaincante dans son dossier de demande FSE. L’implication du service gestionnaire FSE local, régional ou national est déterminante. Cela suppose une sensibilisation, voire une formation, en continue des personnels en charge de la gestion quotidienne de ce Fonds, afin qu’ils soient à même de conseiller les porteurs sur cette  thématique.

Poser un diagnostic de la situation des femmes et des hommes, en fonction d’un secteur d’activité donné, d’une catégorie de public donné (jeunes, seniors, personnes peu ou pas qualifiées…), d’une région ou d’un bassin d’emploi donné, constitue une étape toute aussi importante que celle consacrée à la définition des objectifs généraux d’un projet ou à l’élaboration d’un budget. En fonction du diagnostic établi et des écarts constatés, une action peut être envisagée à l’intérieur du projet, de manière transversale ou spécifique.

Ce travail de réflexion et de construction d’actions concrètes devrait idéalement et systématiquement pouvoir être conduit entre le porteur de projet et son interlocuteur, gestionnaire FSE. Les pratiques diffèrent d’un Etat membre à un autre, comme le montre les travaux d’un réseau européen d’échanges, cofinancé par la Commission européenne, la « Communauté des pratiques en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ».

Ce réseau réunit des gestionnaires du Fonds social européen d’une quinzaine d’Etats membres et leur donne l’opportunité d’apprendre mutuellement de leurs pratiques. Depuis 2009, les échanges ont porté sur les méthodes développées par chaque Etat membre pour mieux intégrer la thématique au sein, aussi bien de leurs programmes d’intervention respectifs que des projets qu’ils cofinancent avec le FSE.

Il apparaît que la sensibilisation et la formation des gestionnaires du FSE et des porteurs est la clé d’une réelle prise en compte de l’égalité dans les programmes et les projets. Mais il faut, sans cesse, remettre l’ouvrage sur le métier, en raison d’un certain turn over des équipes (des deux côtés, gestionnaires et porteurs). L’Autriche a choisi d’appliquer une approche stricte vis-à-vis des porteurs de projets : tout candidat à un cofinancement FSE devait suivre une session de sensibilisation au sujet, avant de pouvoir déposer un dossier de demande FSE. L’Agence FSE Wallonie dispose, elle, d’une personne responsable de plusieurs thématiques relatives au FSE, parmi lesquelles l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette personne est entièrement affectée à la réflexion et à l’animation de ces thématiques auprès des porteurs. Aucune tâche de gestion ou de contrôle de dossiers cofinancés ne lui est affectée, lui permettant de développer outils pratiques et sessions de formation dédiés notamment à l’égalité entre les femmes et les hommes dans les projets FSE.

La majorité des Etats membres s’appuie sur des partenariats avec des instituts spécialisés. C’est le cas en Allemagne, en Espagne, au Portugal, ou encore en Finlande. Ces organismes para-publics sont reconnus comme organismes intermédiaires du FSE : une enveloppe de crédits FSE peut leur être allouée pour proposer des programmes spécifiques à l’égalité ou venir en appui des services techniques de gestionnaires, afin de conseiller les porteurs de projets.   

Un autre constat tiré des travaux du réseau européen est que la prise en compte de l’égalité entre les femmes et les hommes est réellement effective lorsqu’il existe déjà une stratégie nationale, souhaitée et portée, avec conviction, par le niveau politique. L’action du FSE s’y intègre alors naturellement et vient en complément de dispositifs nationaux.

Alors qu’est progressivement lancée la nouvelle programmation 2014-2020, il serait pourtant opportun de dresser un bilan des engagements et des réalisations de la période 2007-2013. Le Fonds social européen a t-il eu le fameux « effet levier » qu’on lui assigne, et plus particulièrement en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ? A t-il permis d’aller plus loin, en permettant, par exemple, que les femmes accèdent plus à la formation tout au long de la vie ou qu’elles parviennent à créer plus facilement leur entreprise ? A t-il fait émerger des idées nouvelles en matière de conciliation des temps de vie, expérimentées le temps d’un projet ?

Cela est difficile à déterminer sans une analyse d’envergure, tout autant quantitative que qualitative. Les Etats membres y concourent en remettant annuellement un rapport d’annuel d’exécution, dans lequel les données relatives aux participants des projets cofinancés sont systématiquement sexuées. Ces rapports pourraient constituer la base de travail d’une telle enquête.

Le seul écueil est relatif au principe du « Gender Budgeting », qui est peu mis en œuvre par les Etats membres. Ce principe permettrait de suivre, au sein d’une enveloppe totale de crédits FSE allouée à un projet, la part affectée à une action (transversale ou spécifique) relative à l’égalité entre les femmes et les hommes, et ce, de la demande de financement à son bilan d’exécution.

S’intégrant dans la stratégie UE 2020 (qui fixe un objectif de taux d'emploi de 75 % pour les femmes comme pour les hommes), la nouvelle programmation des Fonds structurels 2014-2020 préserve le principe d’une promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est attendu des Etats membres un engagement fort en matière d’évaluation des réalisations et des résultats concrets de l’intervention du Fonds social européen, avec un suivi individualisé des participants. Affaire à suivre, donc !

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Crédits photos: FSE, "L'Europe s'engage en France"