
A travers ses nouveaux fonds (« Fonds Asile, Migration et Intégration » et « Fonds Sécurité Intérieure »), l’Union européenne souhaite réaffirmer l’efficacité de sa politique migratoire. Une ambition concrétisée par une hausse des moyens disponibles, par une présence accrue des Etats membres et par une adaptation face aux enjeux actuels.
6,9 milliards d’euros. C’est le montant du budget que l’Union européenne consacre aux enjeux migratoires pour la période 2014-2020. Proposés, débattus et votés entre 2014 et le début de l’année 2015, les règlements promettent une politique migratoire inscrite dans la continuité de son engagement depuis près de 20 ans tout en s’adaptant aux impératifs de l’actualité. Soucieuse de préserver l’intégrité de son territoire tout en apportant confort et sécurité à ses citoyens et soucieuse de rester attractive pour l’étranger, l’Union européenne a, avec cette nouvelle échéance, refondu son système de financements et éclairci ses ambitions. Et pour ce faire, elle a augmenté de manière significative les moyens financiers passant de 4,7 milliards d’euros à 6,9 milliards. « Cette augmentation souligne l'importance de ce domaine politique au niveau de l'UE et permet d'assurer un soutien adéquat pour construire une Europe plus ouverte et sûre », précise Natasha Bertaud, porte-parole pour les affaires intérieures et la migration à la Commission européenne.
Des outils épurés
Principalement, deux fonds remplacent les quatre mis en place pour le volet 2007-2013 (Fonds pour les frontières extérieures – Fonds pour le retour – Fonds pour les réfugiés – Fonds pour l’intégration) ainsi que deux programmes spécifiques (Prévenir et combattre la criminalité et Prévention, préparation et gestion des conséquences en matière de terrorisme et autres risques liés à la sécurité). Dans une volonté de simplification, la Commission a opté pour deux répartitions des investissements. « Ces deux volets (…) viennent en appui aux efforts déployés par les États membres dans les domaines de l’asile, de la migration et de l’intégration, ainsi que de la sécurité intérieure », a précisé la Commission dans l’un de ses communiqués en mars dernier. Le premier, le fonds « Asile, Migration et Intégration » (FAMI) rassemble principalement la gestion des flux migratoires et leurs conséquences. S’élevant à 3,1 milliards d’euros, il met en avant l’amélioration de la situation des demandeurs d’asile et des conditions de vie des migrants légaux, ainsi que le renforcement de l’efficacité des politiques de retour.
Le second, le Fonds Sécurité Intérieure (FSI), se divise en deux dimensions, une première consacrée aux frontières extérieures et aux visas, la seconde dédiée à la coopération policière, la prévention et la répression de la criminalité et la gestion des crises. Le FSI, dont le montant atteint presque les 4 milliards d’euros (3,8), privilégie la sécurité, la prévention contre l’immigration irrégulière et vise à consolider la lutte contre ces migrations illégales. Si les moyens financiers déployés pour cette nouvelle politique ont connu une réelle augmentation, ils sont également un moyen pour l’Union européenne d’affirmer ses consignes.
Des lignes conductrices qui s’articulent autour de quatre volets : l’asile (renforcement et développement du Système d’asile européen commun), la migration légale et l’intégration (soutenir ce type de migration en fonction des besoins et faciliter son adaptation), le retour (améliorer les politiques de retour afin de réduire les migrations illégales) et la solidarité. « La migration est une des dix priorités de cette Commission, et la consolidation du FAMI reflète l'objectif d'adopter une approche plus compréhensive vers la politique de l'immigration et de l'asile », rappelle Natasha Bertaud.
Une répartition dans la continuité
Parmi les pays recevant le plus d’aide pour 2014-2020, se placent en tête l’Espagne, l’Italie, la Grèce, l’Allemagne et la France. Une liste qui correspond à celle des pays qui possèdent le plus grand nombre de demandeurs d’asile en 2014. Les Etats membres touchant le moins de financements figurent parmi les derniers entrés dans l’Union européenne dont la Slovaquie, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Bulgarie et la Pologne et parmi ceux qui reçoivent le moins de demandes d’asile. Ces deux catégories de pays n’ont que peu évolué par rapport à la répartition des fonds pour 2007-2013. Un gage de la poursuite de la politique migratoire européenne. D’autres pays se distinguent en ne touchant pas tous les fonds. L’Irlande et le Royaume-Uni ne participent pas au financement Frontières et Visa alors que le Danemark, l’Islande, la Norvège et la Suisse ne sont inscrits qu’à celui-là.
La nouvelle distribution des fonds a cependant modifié les critères d’attribution. La Commission ne tient plus seulement compte du critère démographique et territorial (PIB, population, taille du territoire) mais se préoccupe désormais des « critères relatifs au nombre de passagers et au poids des marchandises qui transitent par les aéroports et les ports internationaux » selon les règlements qui régissent les fonds. Un autre critère, plus subtile, a été pris en compte. « Il y a lieu d’attribuer une grande partie des ressources disponibles au titre du Fonds proportionnellement à la responsabilité assumée par chaque État membre au regard des efforts qu’il déploie pour gérer les flux migratoires ».
Une attention particulière a également été accordée « aux régions insulaires qui sont confrontées à des difficultés disproportionnées en matière de migration ». En conséquence, les dotations de Malte et Chypre ont été revues à la hausse.
Des Etats très présents
Les Etats membres sont placés au cœur du processus décisionnel de la politique migratoire. L’ambition de cette politique est, depuis sa création, de les impliquer de manière forte. De ce fait, les distributions de financement aux Etats membres pour la gestion des migrations sont importantes. Preuve en est la répartition du budget : elle consacre 4,5 milliards aux programmes nationaux, soit environ 65 % du budget total. Ce volet implique la participation d’acteurs nationaux comme les autorités étatiques, les ONGs, les organismes publics locaux, les organisations humanitaires, les sociétés de droit privé et public ... Ces derniers via une délégation de services nationale envoient des appels d’offres et de propositions en rapport avec les thématiques des directives. Un projet français a déjà été présenté proposant la création d’un centre d’hébergement de jour d’urgence pour migrants en situation irrégulière à Calais. Outre la responsabilité des Etats pour la gestion de ces projets, ils fixent également les priorités de financements à travers des programmes pluriannuels. 22 ont déjà été approuvés et 36 le seront d’ici la fin de l’année. « Les États membres ne peuvent agir seuls. C’est pourquoi la Commission européenne a toujours soutenu, et continuera de soutenir, de manière concrète les États membres », précise Dimitris Avramopoulos, Commissaire pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté à travers la communication de la Commission européenne.
Dans ses directives, l’Union indique d’ailleurs cette volonté dans le volet solidarité qui implique l’entraide entre les Etats pour aider ceux qui sont les plus touchés par les flux migratoires. Une ambition qui se traduit également par la mise en commun exigée des informations concernant les migrations et l’harmonisation des politiques. A plusieurs reprises, il est mentionné dans les textes l’importance d’agir de manière cohérente et soudée face aux flux migratoires afin de mieux les gérer et d’être plus efficace.
Un souhait de l’Union qui se heurte néanmoins à la réticence palpable des Etats membres à se plier totalement à ses exigences. « Beaucoup ne veulent pas aller au bout de l’harmonisation et multiplient les exceptions dans les lois européennes », explique Daphné Bouteillet-Paquet, agent de plaidoyer à Save the children. Et de nuancer « Cependant, on peut quand même observer une certaine dynamique. Des outils sont créés en favorisant la collaboration entre les pays. » Pour exemple, le Bureau d’appui européen qui permet de combler les lacunes de certains membres avec une information commune et des modules de formation. « C’est une dynamique qui est née il y a 20 ans, et qui aboutira peut-être dans 20 ans. C’est encore tôt pour tirer des conclusions. »
Une politique à la fois ouverte et sécuritaire
En parallèle de l’implication des Etats membres, l’Union européenne se débat entre désir d’ouverture, de séduction envers les étrangers et soucis de protection des frontières extérieures. A travers ses indications d’utilisation des fonds, elle prône une préoccupation de l’autre : du migrant légal par une meilleure gestion de l’arrivée et de l’intégration, des demandeurs d’asile avec une amélioration du traitement des dossiers et des migrants illégaux via une politique de retour approfondie. Mais face aux enjeux géopolitiques extérieurs et aux nouveaux flux migratoires pressants (le nombre de demandeurs d’asile ayant bondi de 44 % en 2014 dont 20 % de Syriens), l’Union européenne doit faire face à de nouveaux défis « en adoptant une action immédiate et coordonnée », précise la Haute représentante et vice-présidente de la Commission, Federica Mogherini (communiqué). De gros moyens sont ainsi maintenus à la protection des frontières extérieures et d’autres sont créés. Il est d’ailleurs envisagé d’intervenir directement dans les pays tiers touchés par les conflits qui influencent les flux migratoires aux portes de l’Union. Federica Mogherini ajoute : « nous intensifions notre coopération avec les pays d’origine et de transit, en vue d’offrir une protection dans des régions en proie à des conflits, de faciliter la réinstallation et de lutter contre le trafic d'êtres humains en remontant les itinéraires qu'il emprunte ».
Vers une politique plus globale
A travers les montants alloués à la politique migratoire européenne pour la période 2014-2020, l’Union européenne souhaite non seulement poursuivre les efforts qu’elle entreprend depuis une vingtaine d’années, mais en plus tendre vers une politique plus globale. En mars, la Commission a débuté une série de débats et de travaux en ce sens. Frans Timmermans, premier vice-président, justifie à cette occasion : « Le temps est venu d'adopter une approche nouvelle de la manière de travailler ensemble, en ce sens qu'il nous faut mieux tirer parti, et de façon plus cohérente, de tous les instruments dont nous disposons, définir ensemble les priorités communes et augmenter la mise en commun des ressources ». Si la mise en application concrète des nouveaux fonds de financement a déjà débuté et se répartit sur les six prochaines années, la réflexion d’une nouvelle politique migratoire est déjà en chemin. Prochain rendez-vous : mai 2015 pour la présentation d’un nouveau programme, plus global. Une avancée qui dépend selon Yves Pascouau, directeur de la section Politiques de mobilité et de Migrations à l’European Policy Center, de trois éléments : prévoir les futures migrations mondiales, déterminer les objectifs à atteindre et définir les moyens nécessaires pour leurs exécutions. Mais au-delà, « il faut déjà mettre en application la politique déjà définie », conclut-il.
Aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Dossier des mois de mars/avril 2015 : Union européenne et migrations
Sur internet :
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(FR) règlements établissant les Fonds 2014-2020 :
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32014R0516&from=FR
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32014R0513&from=FR
Crédit photo : Migrants arriving in Lampedusa in 2007 on flickr