Dans son grand bureau du Parlement européen, Pierre Moscovici a bien voulu répondre à quelques questions sur l'adhésion le 1er janvier 2007 de la Roumanie à l'Union européenne. P. Moscovici, député européen socialiste français et vice-président du Parlement européen, ancien ministre des affaires européennes, a en effet été le rapporteur du Parlement européen sur le degré de préparation à l'adhésion à l'UE de la Roumanie, pays où il s'est à cette occasion très favorablement fait connaître.
Pierre Moscovici nous parle ici avec une grande clarté et pertinence de l'entrée de la Roumanie dans l'UE, de ce que cet Etat peut apporter à la vieille et la nouvelle Europe. Il donne également son avis sur l'importance de plus et mieux parler d'Europe et de son élargissement en France, avant enfin d'insister sur la nécessité d'une réforme institutionnelle de l'UE et des nouvelles politiques à développer au niveau communautaire.
1. Le doute quant à l'adhésion de la Roumanie a été maintenu très longtemps est-ce que vous pensez que cette pression ait été utile ? Et fallait-il selon vous repousser l'adhésion d'une année ?
Non, je crois cela aurait été nuisible de repousser l'adhésion d'une année. Cela aurait d'abord été inutile parce que la Roumanie remplit aujourd'hui l'essentiel des critères pour adhérer. Et puis cela aurait ouvert un no mans land juridique. Que se serait-il passé si au bout d'un an, on avait encore été dans la situation de ne pouvoir conclure ? - rien n'est dit dans les traités. Enfin, cela aurait donné un signal très négatif, sur l'élargissement en général et en particulier par rapport à ces deux pays. Donc la stratégie que le Parlement européen a adoptée n'a pas été celle-là, jamais. Les rapports ont toujours été des rapports à la fois amicaux et exigeants. Amicaux parce que je considère qu'il ne s'agit pas d'un nouvel élargissement mais de la fin du précédent. La Roumanie et Bulgarie ont ouvert les négociations en même temps que d'autres en 1999. Ils n'ont pas adhérés en 2004 car ils n'étaient pas prêts, mais c'était la même vague d'élargissement, la cinquième vague de l'élargissement. Et je pense que nous avions un devoir historique de tendre la main aux pays qui ont appartenu jadis au pacte de Varsovie, qui se sont libérés de la tutelle soviétique et donc il fallait faire preuve d'ouverture et de générosité. Ca c'était pour l'amitié. En même temps, sur l'exigence, avec la Commission, la démarche du Parlement européen a toujours été partagée. Et elle a consisté à dire à la Roumanie qu'il fallait pour être prêt le 1er janvier 2007 faire de très sérieux efforts. Nous estimons aujourd'hui que pour l'essentiel ces efforts ont été accomplis et donc que la Roumanie et la Bulgarie sont suffisamment prêts pour adhérer le 1er janvier 2007, même si la Commission rappelle qu'il est possible d'invoquer des clauses de sauvegarde sur un certain nombre de sujets. La pression a été menée avant et la pression doit continuer après, parce que ce qui importe c'est que cette adhésion soit réussie. |
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mais de la fin du précédent
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Je pense que pour tout ce qui concerne la lutte contre la corruption, l'indépendance de la justice, il reste encore des efforts à faire ; sur les aides régionales et leur consommation en Roumanie, il reste des efforts à faire ; sur la gestion des frontières. Donc sur ces plans là il faut que la Roumanie continue à travailler.
Le processus de rattrapage est rapide |
La Roumanie est un pays moyen par sa taille, qui apporte 22 millions de citoyens supplémentaires. C'est un pays qui a une position tournée vers la mer Noire, donc stratégiquement bien placé pour nous aider encore à développer le dialogue avec les pays de cette région là.
Je pense qu'elle a un fort potentiel économique dès lors qu'elle poursuit la voie des réformes. C'est un pays qui a quand même aujourd'hui 9 à 10% de taux de croissance annuel. C'est dire que le processus de rattrapage est rapide et les Roumains sont des gens ingénieux et entreprenants. S'ils ne se laissent pas aller aux délices de la bureaucratie, et donc cela peut être un apport économique important. Enfin, une dernière chose qui d'un point de vue français ne peut pas laisser insensible, c'est que la Roumanie est un pays largement francophone et cela peut renforcer le poids de la francophonie dans l'Union européenne. J'avoue ne pas avoir été insensible à cette question.
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![]() d'idéal dans cette affaire |
Il ne faut pas cacher les doutes, les réticences qui existent. C'est vrai qu'il y a eu dans le référendum des remarques scandaleuses sur le plombier polonais ou sur l'immigration lettone qui montrent une bêtise crasse de ceux qui les ont invoquées. En même temps maintenant il faut expliquer les bénéfices concrets de l'élargissement autant que les bénéfices historiques.
[Il faut] arriver à démontrer que [l'élargissement] c'est plus d'emploi - c'est déjà le cas aujourd'hui, 250 000 emplois de plus dans l'UE à 15 qui ont été créés - , que se sont des débouchés économiques importants, que c'est une demande adressée aux entreprises de pays plus rapides dans leur croissance et leur développement que les nôtres. Dans le cas de la Roumanie on le sait c'est l'automobile française qui est tirée par la croissance roumaine. Donc se ne sont pas seulement et pas d'abord des délocalisations mais d'abord des marchés supplémentaires.
Et puis, enfin, j'aimerais qu'on retrouve un peu d'idéal dans cette affaire, que l'on soit capable de souligner que l'unification de l'Europe est un grand projet historique, que par rapport à la division précédente de l'Europe, nous sommes en train d'effacer des années de douleur pour l'Europe et aussi que cette Europe soit capable de reprendre sa marche en avant pour devenir une puissance dans la mondialisation, qui puisse s'affirmer davantage et s'exprimer d'une seule voix sur la scène internationale. Donc il faut à la fois mener un débat sur l'élargissement mais en même temps être capable de relancer le débat sur l'Europe politique.
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Je pense que le terme de pause est un mot maladroit. Ce que tout le monde dit, c'est qu'il ne peut pas y avoir de nouvel élargissement avec les institutions actuelles du traité de Nice. C'est matériellement vrai puisque celles-ci sont prévues pour 27 membres et par définition un élargissement supplémentaire en ferait 28. Et donc il faut absolument réformer les institutions avant d'élargir davantage. Mais le mot pause est maladroit parce qu'il ne répond pas à la réalité. Il y a des pays qui sont en cours de négociation - la Turquie d'abord, la Croatie, la Macédoine - et les négociations avec ces pays ne sauraient être gelées, elles doivent se poursuivre. Mais dans le même temps il est important de relancer le processus institutionnel. C'est ce qui doit être fait avant les élections européennes de 2009, c'est très important. Il faut aller vite. Se sera notamment le rôle de la présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre 2008 et puis d'abord de la présidence allemande de l'Union européenne au premier semestre 2007. Et puis il faut revoir tout ce qui concerne les politiques de croissance, d'emploi, le budget européen. Il y a donc un très grand chantier européen qui nous attend maintenant, c'est consolider l'Europe pour lui permettre de continuer à s'ouvrir, ce qui je crois est une nécessité. Donc je n'aime pas parler de pause, je préfère parler d'approfondissement préalable que de pause de l'élargissement, l'élargissement reste un grand projet pour l'Europe.
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le processus institutionnel
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C'est vrai que le Danube nous fait tout de suite penser à la Mitteleuropa. Et c'est vrai que c'est une longue et belle histoire, qui fut celle de l'Empire austro-hongrois, qu'il ne s'agit pas de reconstituer, mais je pense que le Danube peut être un trait d'union entre l'Europe au sens de l'Europe des 15 et la nouvelle Europe, et un axe particulièrement dynamique d'un point de vue économique et fort sur le plan culturel. Je crois que votre projet est assez bien choisi et vous ne traverserez pas les capitales les plus désagréables.