
Six mois après sa démission, l’ex-premier ministre bulgare Boyko Borissov semble prêt à revenir sur les devants de la scène politique. Depuis plus de 90 jours, les Bulgares sortent dans la rue afin de manifester leur raz-de-bol face à la corruption, l’oligarchie et les structures mafieuses qui occupent une grande place dans l’espace politique, économique et médiatique du pays. La Bulgarie, tristement célèbre comme le pays le plus pauvre de l’Union européenne, en est désormais le pays le plus instable politiquement.
De l’austérité économique à l’instabilité politique
La toute première vague de protestations se lève au mois de février 2013. La colère populaire est alors provoquée par une augmentation du prix de l’électricité, prix démesuré en comparaison des revenus extrêmement modestes de la plus grande partie de la population. La majorité des ménages se chauffe désormais individuellement à l’électricité, délaissant ainsi le chauffage central, installé à l’époque communiste, devenu exorbitant. En février 2013, la facture moyenne d’électricité à Sofia s’élève à 76 euros, alors que le gouvernement conservateur au pouvoir mène une politique d’austérité et maintient donc un salaire minimum de 158 euros brut par mois. Ces factures agissent comme un détonateur, si bien que les Bulgares sortent manifester contre la pauvreté mais aussi contre la concentration du secteur de l’énergie. Le marché est actuellement sous le joug du groupe autrichien EVN et de la société ČEZ, contrôlée par l’Etat Tchèque. Ces protestations sont marquées par une série d’immolations et un désespoir noir qui ternissent profondément la société bulgare. A la suite des manifestations, parfois violentes, le Premier Ministre Boyko Borissov démissionne, laissant ainsi le pays dans une crise politique et économique dévastatrice.
Des élections anticipées …voire trop ?
Le cabinet provisoire dirigé par l’ancien ambassadeur bulgare en France, Marin Raykov, organise les élections du 12 mai 2013. Un jour avant, la chaine de télévision TV7 diffuse un reportage exclusif annonçant la découverte de quelques 350 000 bulletins de vote illégaux. L'enquête pousse le directeur de la chaine, Nikolaï Barekov, à accuser l’ex Premier Ministre Borissov de fraude électorale.
Les élections ne mobiliseront que 51,33 % de participation et donneront quatre partis politiques gagnants. Le parti démocrate GERB de l’ancien Premier ministre Boryssov entre au Parlement avec 30,54% des résultats de vote, ainsi que les socialistes (26,61%), les nationalistes ATAKA (7,30%) et le Parti des Droits et des Libertés - DPC - aussi connu sous le nom du "parti turc" (11,31%). GERB refuse de former une coalition et bloque de facto la constitution d’un gouvernement. Les socialistes, pour se maintenir au pouvoir, se tournent vers leur allié historique, le Parti turc. Par ce biais, ils arrivent à obtenir 120 des 240 voix nécessaires pour accéder à la majorité parlementaire, possibilité seulement offerte grâce à l’abstention des nationalistes. Selon la rumeur publico-médiatique, le leader nationaliste Volen Siderov aurait reçu une somme conséquente en échange de l’absentéisme des membres de son parti à l’Assemblé Nationale lors du vote. Aussi, le gouvernement le plus contesté de la nouvelle histoire de l’Etat bulgare est-il né de calculs et d’arrangements politiques.
Les classes moyennes en fanfare contre l’oligarchie
Les manifestations estivales se déclenchent le 14 juin avec l’arrivée du très polémique Dilyan Peevski à la tête de l’Agence Nationale de Sécurité. Si ce jeune patron médiatique de 33 ans n’affiche qu’un diplôme en droit d’une petite université provinciale, il commence sa carrière à 21 ans comme membre du cabinet politique rattaché au Ministère des Transports. Il a aujourd’hui main mise sur une large partie des médias bulgares. En effet, il hérite des participations de sa mère, Irena Krasteva, ancienne directrice de la « Loterie nationale des paris sportifs », qui, grâce à ces relations politiques auprès du Parti Turc, rachète en 2007 les quotidiens Monitor et Télégraphe et l’hebdomadaire Politique. Si bien que Delyan Peevski est actuellement actionnaire majoritaire dans plusieurs journaux et chaines de télévision bulgares.
Sa nomination est donc la source des nouvelles protestations populaires que le gouvernement essaye d’enrayer par la destitution du magnat de la presse. En vain, le peuple bulgare reste déterminé et occupe la rue jusqu'à la démission tant attendue des socialistes. Les slogans « sales communistes », qui résonnaient dans les rues en novembre 1991, reviennent dans la bouche des manifestants. Ces derniers ne sont toutefois plus les mêmes que ceux descendus en hiver, lors des premiers rassemblements. Ils sont jeunes, intellectuels, pères et mères de famille accompagnés de leurs enfants. Le centre de Sofia, bloqué par les protestations, se transforme chaque soir entre 19 heures et minuit en espace piéton propice à l’échange et à l’avancée des discussions politiques. La manifestation évolue d’une position réactionnaire vers une marche de la liberté d’expression qui rassemble parfois plus de 10 000 personnes.
Une contre-attaque des sympathisants du gouvernement
Cette liberté ne serait tolérée que par le manque d’organisation politique. Au mois d’août dernier, les départs en vacances sont l’occasion d’organiser des « contre-manifestations». De l’autre côté du centre de la capitale bulgare, au pied du bâtiment social-réaliste de l’immense Centre National de la Culture (NDK), se réunissent, en petits groupes, les sympathisants du gouvernement. Ils sont rassemblés par des militants politiques qui les conduisent en bus jusqu’à l’endroit dit. Cependant, la cacophonie règne également auprès des socialistes. Pour preuve, les vidéos amateurs laissant entendre les propos contradictoires de protestants favorables au gouvernement en place. Dans l’une d’entre elles, l'on aperçoit un homme âgé d’environ 40 ans croyant manifester pour la démission de l’ex-Premier ministre Borissov : au moment où cette scène est filmée, ce dernier n’est plus au pouvoir depuis plus de 5 mois... Une schizophrénie politico-sociale est en plein essor.
Sans parti, tous partis
Les manifestations cristallisent au départ un cri de colère contre tous les partis politiques confondus. Les rues dénoncent la corruption de tous les gouvernements depuis la chute du communisme. D’une part, les socialistes sont accusés d’avoir essayé de garder le statu quo entre 1991 et 1997; d’autre part, les démocrates leur succédant se voient accusés d’avoir privatisé les grandes entreprises nationales au profit de leurs bienfaiteurs et associés. L’opinion publique s’attaque également au dernier roi bulgare Simeon de Saxe-Cobourg-Gotha, qui a régné de 1943 à 1946, d’être revenu sur la scène politique en tant que Premier ministre en 2001 afin de récupérer les anciennes propriétés de la monarchie, telle la somptueuse Résidence Boyana dans les alentours de Sofia. Le peuple n’oublie pas non plus Boyko Borissov: l’ancien Premier ministre est une figure très polémique, à la fois aimé pour sa simplicité et son franc-parler, il est aussi détesté pour ses présumés liens obscurs avec les milieux mafieux. Globalement, les manifestants ne veulent plus de partis politiques, mais une démocratie directe. Ils refusent toute organisation autour d’un nouveau groupement. Toutefois, cette position anarchiste semble commencer à leur jouer des tours...
Une manifestation apolitique malmenée par les militants
Le 4 septembre est organisée la première manifestation depuis le retour de vacances. Contrairement à la population, les partis politiques, eux, semblent avoir bien préparé la rentrée avec d’un côté, les socialistes au pouvoir, de l’autre, le parti d’opposition de Boyko Borissov. Chaque camp est bien décidé à reprendre le souffle populaire à son avantage ; mais à ce jeu-là, Borissov a une longueur d’avance. N’oublions pas qu’il cumule plusieurs vies: ex-gardes du corps de l’ancien chef communiste, ex-Premier Secrétaire de la police bulgare, proche présumé des structures mafieuses, ex-maire de la capitale Sofia, ex-Premier ministre, et, à 54 ans, le footballeur professionnel le plus âgé de la ligue bulgare. Borissov est l’archétype même de la transition démocratique bulgare et ses tirades n’en sont pas moins stéréotypées. En 2008, dans un entretien devant le magazine MAX, il n’a pas peur d’affirmer : « Pour leur époque, Hitler et Staline sont les numéros un. Ou Mao, pour diriger un empire aussi longtemps, on doit avoir des qualités.» ou encore : « Je suis fière de ne pas être gay et de bien me débrouiller avec les femmes. Je pense que j’ai choisi un bon chemin. » Les pronostiques populaires annoncent son retour en politique.
Comme quoi, la Bulgarie n’est pas prête de sortir de son état de schizophrénie...
Sources photo : Ancien Prremier Ministre Boyko Borissov avec une sympathisante, de Ina Mihaylova
: Manifestation de mars dernier en Bulgarie, de Ina Mihaylova