Danièle Nouy et Sabine Lautenschläger à la tête de la supervision bancaire européenne, un « couple franco-allemand » au féminin ?

Par Capucine Goyet | 10 juin 2014

Pour citer cet article : Capucine Goyet, “Danièle Nouy et Sabine Lautenschläger à la tête de la supervision bancaire européenne, un « couple franco-allemand » au féminin ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Mardi 10 juin 2014, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1838, consulté le 22 mars 2023

Les hautes sphères bancaires européennes sont traditionnellement masculines. Avec les nominations de la Française Danièle Nouy et de l’Allemande Sabine Lautenschläger aux postes respectifs de présidente du conseil de supervision auprès de la Banque centrale européenne (BCE) et membre du directoire de la BCE, comment interpréter cette nouvelle vague féminine ?

Un paradoxe initial

L'égalité entre les femmes et les hommes est l'un des principes fondamentaux de l’Union européenne (UE). L’article 8 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) énonce en effet: « Pour toutes ses actions, l'Union cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l'égalité, entre les hommes et les femmes. »  Cette approche du gender mainstreaming apparaît à multiples reprises. Ainsi, l’article 19 du TFUE prévoit la lutte contre toutes les formes de discrimination et les articles 153 et 157 du TFUE permettent à l’UE d’agir non seulement dans le domaine de l’égalité des rémunérations, mais également dans le domaine plus large de l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de travail. Enfin, l’article 141 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne autorise les discriminations positives en faveur des femmes.

Face à cette volonté d’égalité des sexes, un paradoxe demeure néanmoins : les femmes apparaissent sous-représentées dans les fonctions de direction, alors qu’elles constituent une part très importante, voire majoritaire, des diplômés universitaires. Appliqué au plan européen, un tel décalage persiste. Ainsi, si le Parlement européen apparaît comme une institution relativement exemplaire avec neuf présidentes de commissions parlementaires sur 22, c’est-à-dire 40 %, tel n’est pas le cas d’autres institutions, notamment la Commission européenne, qui ne compte qu’un peu moins d’un tiers de commissaires femmes (neuf sur 28). De même, deux femmes ont déjà été présidentes du Parlement européen – Simone Veil et Nicole Fontaine – alors que la Commission européenne n’a pas encore été présidée par une femme.

De même, les institutions bancaires européennes ont toujours été chasse-gardé des hommes. Certaines nominations à la tête de grandes institutions comme la Banque centrale européenne (BCE) ont davantage résulté de considérations politiques subjectives que d’une procédure objective qui serait fondée sur une publication de fiche de poste ou encore sur un envoi de CV.  

Un pas en avant

L’année 2014 marque néanmoins un grand changement, puisque pour la première fois de l’histoire de la construction européenne, deux femmes ont été nommées à des postes clefs au sein des grandes institutions bancaires européennes.

Dès la fin 2013, le Parlement européen et le Conseil approuvaient la nomination pour cinq ans de la Française Danièle Nouy à la tête du conseil de supervision du Mécanisme de surveillance unique (MSU) auprès de la BCE, nouvel organisme de surveillance chargé de contrôler directement les plus grandes banques de l'UE ainsi que le travail des superviseurs bancaires nationaux. La première tâche de Danièle Nouy sera donc celle de conduire l’exercice de test de résistance des banques au cours de l’année 2014.

Quant à Sabine Lautenschläger, elle est la toute première femme à rejoindre le directoire de la BCE pour un mandat de huit ans non renouvelable. Au moment où le Parlement européen se réunissait en plénière pour approuver cette première nomination (en janvier 2014), la présidente de la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen -Sharon Bowles (ADLE, Royaume-Uni)- faisait le commentaire suivant: " We still have a long way to go to achieve gender equality in the banking sector, but the Parliament's insistence on more female candidates is clearly delivering results.  It is not the case that there is a shortage of suitable women, as quite clearly demonstrated." En février 2014, la commission ECON a également approuvé sa nomination en tant que vice-présidente du conseil de supervision du mécanisme de surveillance unique - une fonction qui lui permet de seconder Danièle Nouy. Ainsi, il semble bien exister des candidates compétentes dans le secteur bancaire. On en revient alors à l’éternel débat de la méthode choisie pour mettre en œuvre le principe d’égalité des sexes lorsque cela est possible : méthode incitative ? Méthode prescriptive ? Dans le cas présent, il semble que les recommandations du Parlement aient été suivies d’effet.

Portrait de femmes

Les deux nouvelles recrues ont d’abord été choisies en raison de leurs compétences.

Diplômée de Sciences Po Paris et de l’université Panthéon Assas, Danièle Nouy a effectué la majorité de sa carrière auprès de la Banque de France. Avant d’être nommée au comité de supervision de la BCE, elle était secrétaire général de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (de 2010 à 2013). Mario Draghi a lui-même reconnu qu’elle apportait « quarante ans d’expériences dans le domaine de la supervision bancaire ».

Pour autant, son nouveau travail européen ne sera pas de tout repos, puisque certains points du mécanisme de supervision bancaire restent à débattre. En effet, bien qu’elle ait pris ses fonctions depuis le 1er janvier 2014, le mécanisme en tant que tel sera opérationnel seulement à partir du 1er novembre 2014. La période intermédiaire doit donc servir à finaliser le projet.  Dans ce cadre, Danièle Nouy a insisté sur plusieurs points essentiels. Tout d’abord, le mécanisme de résolution bancaire, financé par les banques, doit pouvoir emprunter de l'argent dès les premières années de sa mise en place. Il devrait devenir indépendant au plus tard cinq ans après sa création, et les contributions des banques n’auraient pas besoin d’être systématiquement augmentées. Enfin, lors d’un débat en mars 2014 avec la commission ECON, elle s’est positionnée du côté de l’intérêt général européen, et non de celui des Etats membres, en déclarant qu’il fallait « des décisions rapides et efficaces » en un week-end, et que : « lorsqu’il y a le feu, les pompiers ne demandent pas l’autorisation au conseil municipal avant d’intervenir » - une comparaison en référence au processus de décision complexe défendu par certains Etats membres.

Cette vision est également partagée par Sabine Lautenschläger. Lors d’une audition en commission ECON en février 2014, elle a en effet déclaré qu’elle n’était pas en faveur d’une méthode intergouvernementale pour créer le Fonds européen afférent au mécanisme de résolution bancaire unique, c’est-à-dire le fonds qui aidera les banques en difficulté. Si elle s’est dite prête à accepter certains compromis, elle a remis en cause les allégations présentées par certains pays de l'UE, qui affirment qu'une approche intergouvernementale est nécessaire en raison de problèmes constitutionnels. Selon elle, les seules raisons d'une telle approche ne sont pas juridiques mais plutôt politiques.

Outre-Rhin, Sabine Lautenschläger est également une personnalité reconnue dans le monde bancaire puisqu’elle était vice-présidente de la Deutsche Bundesbank. A l’instar de sa collègue française, elle a construit toute sa carrière autour de la supervision bancaire et financière, notamment auprès de l’autorité de surveillance financière fédérale allemande (BaFin).

Dans les traces du premier couple franco-allemand ?

Par-delà leurs compétences et leur statut féminin, Danièle Nouy et Sabine Lautenschläger incarnent un autre symbole, de nature politique: celui d’un nouveau duo franco-allemand.

Il est en effet intéressant de noter la continuité de ces binômes sur le plan financier au sens large. Le concept de couple franco-allemand a été forgé en référence à Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing, qui étaient alors Président de la République française et Chancelier allemand. Les deux hommes d’Etat s’étaient auparavant côtoyés alors qu’ils étaient ministres des Finances de leur pays respectif. Dans un contexte de crise économique et de refroidissement des relations germano-américaines, ils incarnaient une même vision de l’Europe et ont été à l’origine de trois initiatives européennes : l’institutionnalisation du Conseil européen, une « intergouvernementalisation » de l’équilibre institutionnel de la communauté européenne et la création du Système monétaire européen (SME).

Quelques années plus tard, c’était au tour de Helmut Kohl et François Mitterrand d’incarner un nouveau couple franco-allemand. Symboles de la dernière phase de réconciliation, les deux hommes ont contribué à la relance de la construction européenne en soumettant l’idée d’une Union économique et monétaire (UEM). Le nouveau conseil de supervision bancaire en est une conséquence indirecte.

Il s’agit désormais de s’attaquer à la mise en place de cette union bancaire européenne, à laquelle contribueront Danièle Nouy et Sabine Lautenschläger. En conséquence, les deux femmes s’inscrivent dans la continuité de cette fonction motrice du couple franco-allemand. Si elles sont reconnues par leurs pairs au niveau national, il ne leur reste plus qu’à faire leurs preuves au niveau européen et montrer qu’elles aussi, tout comme leur cousine américaine Rosie the Riveter, « [they] can do it ».

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