
Alors que les populations du monde entier viennent de passer à l'année 2014, la Syrie entame sa troisième année de guerre civile avec déjà un lourd bilan : 100 000 morts, deux millions de personnes réfugiées dans les pays voisins, et six millions de déplacés internes. Une crise humanitaire grave, s'alarment les dirigeants européens. Pourtant, il ne semble pas y avoir de signal d'alarme assez fort pour générer la cohérence et l'efficacité tant recherchées dans l'action extérieure de l'Union Européenne. Retour sur des aspects clés de l'action européenne récente au Moyen-Orient.
Pas d'impact sans crédibilité
La levée de l'embargo européen sur les armes envers la Syrie, une mesure datant du mois de mai 2013, constitue une victoire pour le Royaume-Uni et la France. En effet, ces deux gouvernements étaient en faveur d'un soutien militaire aux rebelles, une position logique suite à la reconnaissance par ces deux mêmes Etats-membres de la Coalition Nationale d'opposition comme représentant légitime du peuple syrien. Cependant, nombre d'autres Etats-membres avaient des préférences divergentes quant à la marche à suivre face à la situation syrienne. Certains commentateurs parlent même d'un clivage opposant le couple franco-britannique, moteur traditionnel de la défense et de la politique étrangère européennes, aux 25 autres Etats-membres (à l'époque, la Croatie ne faisait pas encore partie de l'UE). Pendant les négociations internes au sujet de la prolongation ou non dudit embargo, les acteurs européens se montraient en effet sceptiques quant à la probabilité de dégager une ligne commune. Finalement, l'apparente victoire franco-britannique doit être vue comme un succès en demi-teinte tant l'embarras et l'incrédulité ont transparu après coup.
Depuis le lancement de la Politique Européenne de Sécurité Commune (PESC), la cohérence n'a cessé d'être le mot d'ordre pour garantir une action effective sur la scène internationale. Il va sans dire que cet impératif s'applique d'autant plus à l'UE du fait de sa nature intergouvernementale. Il ne faudrait cependant pas oublier l'importance de la crédibilité pour tout acteur international, et l'Union n'échappe pas à cette règle fondamentale. La levée de l'embargo européen résulte principalement de la pression franco-britannique sur les autres Etats-membres. Difficile donc de parler d'un « signal fort envoyé au régime syrien », comme l'a fait William Hague, ministre des affaires étrangères britannique, car un tel signal présuppose une volonté commune des Etats-membres. Il est vrai que la France et le Royaume-Uni peuvent, de par leur tradition diplomatique, orienter la politique étrangère européenne. Mais la levée de l'embargo ne peut faire illusion dans ce domaine. Il s'agit d'un véritable tour de force, or la raison du plus fort n'est pas toujours la meilleure.
Vénus au Moyen-Orient ?
Cette attitude franco-britannique va à l'encontre de l'image traditionnellement véhiculée par l'UE sur la scène internationale. De puissance 'civile' à puissance 'normative', le dernier sobriquet en date parle de l'Union comme d'une Vénus, une puissance naïve qui serait opposée à la force armée. Ainsi, alors qu'il est devenu clair que toute intervention internationale en Syrie ne pourra aboutir en raison des blocages chinois et russe au Conseil de Sécurité de l'ONU, l'UE ne s'est pas décontenancée et s'est concentrée sur son vieux réflexe humanitaire. Se targuant d'être le premier bailleur de fonds international, tant sur le plan du développement que de l'action humanitaire, l'UE est parvenue à débloquer un montant considérable (environ 1.3 milliards d'euros) pour venir en aide à la population syrienne. On a donc pu entendre Kristalina Georgieva, Commissaire européenne pour la coopération internationale, l'aide humanitaire et la réponse aux crises, s'enorgueillir du rôle primordial joué par l'UE dans le conflit syrien.
Pour autant, est-ce à croire que l'Union représente un acteur sui generis sur la scène internationale ? Loin s'en faut ! Si les politiques communautarisées autorisent une position véritablement 'européenne', tel n'est pas le cas de la PESC qui demeure le fait des préférences nationales. Parler d'action extérieure basée sur les valeurs européennes est, sinon illusoire, tout au moins trompeur. L'action humanitaire européenne envers la Syrie en est un exemple probant. De la poudre aux yeux, il s'agit en effet de détourner l'attention des dissensions internes relatives à la levée de l'embargo sur les armes. En termes académiques, ces dernières seraient appréhendées au travers de dites « cultures stratégiques » nationales divergentes. Mais nul besoin d'utiliser des termes savants pour comprendre les complications entravant l'identification d'une ligne européenne commune.
Des positions nationales difficilement conciliables
Trois grandes conceptions, relatives à des préférences de politique étrangère spécifiques, étaient ainsi en compétition lors des négociations intra-européennes. La première, caractérisée par le couple franco-britannique, était en faveur d'une action importante. Il s'agissait de lever l'embargo pour ajouter une pression supplémentaire sur le régime syrien, cette mesure pouvant potentiellement aboutir à un soutien en armements aux rebelles.
La deuxième conception fortement ancrée dans certaines traditions nationales était basée sur le fondement éthique selon lequel l'Union n'a pas vocation à agir unilatéralement, si ce n'est dans une perspective humanitaire. L'Autriche, Les Pays-Bas ainsi que la Suède étaient les trois défenseurs de cette conception, arguant que les civils Syriens n'ont pas besoin d'armes mais d'aide, et que le maintien d'un régime de sanction à l'encontre du régime syrien est plus légitime qu'une aide militaire aux rebelles. D'où les propos quelque peu idéalistes de Michael Spindelegger, ministre autrichien des affaires étrangères, soulignant la nature de l'Union en tant que communauté de paix.
La troisième conception, plus diffuse car caractéristique de l'indécision, se réclamait de la prudence. Ainsi, certains étaient sceptiques quant à la levée de l'embargo du fait du manque de garantie que les armes seraient effectivement utilisées par les rebelles désireux de se battre contre le régime. La crainte reposait sur un éventuel armement des factions islamistes et d'un embrasement généralisé de la région. Par ailleurs, l'impact d'une telle mesure n'était pas avéré selon certains. Alors qu'un soutien armé aurait fait la différence au début du conflit, les troupes de Bashar el-Assad sont à présent regroupées et organisées. Loin de nécessiter un approvisionnement en armes à petit calibre, c'est de l'artillerie lourde dont les rebelles auraient besoin.
Trois conceptions différentes, une ligne commune à dégager, une politique cohérente à mener. Malheureusement, de l'action, l'éthique, et la prudence, seuls l'hypocrisie et le consensus mou ont émergé. En témoignent les propos de Catherine Ashton, Haute Représentante pour la PESC, se voulant optimiste quant à la possibilité de mener une politique effective malgré certaines divergences entre Etats-membres. Là réside sûrement la différence entre une politique commune et une politique unique, mais comme précisé plus haut, l'action internationale requiert timing et crédibilité.
Conclusion
Que retenir de ces exemples ? Simplement que l'Union est toujours loin des objectifs fixés en matière de cohérence et d'efficacité de sa politique étrangère et de sécurité commune. L'abstention allemande face à la résolution 1973 de l'ONU autorisant l'intervention en Libye a été largement commentée et illustre bien les divergences nationales obstruant une politique étrangère européenne unifiée. Dans ce cas précis, le couple franco-britannique a été capable d'agir sous l'égide de l'ONU et d'apporter une contribution européenne à l'intervention militaire. Mais dans le cas syrien, le blocage du Conseil de Sécurité par la Chine et la Russie ne permet pas l'utilisation du canal onusien. Une bien mauvaise situation pour la PESC qui semble osciller entre la paralysie et la fuite en avant.
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Sur Nouvelle Europe
Source photo: Catherine Ashton with Lithuania Defence Minister Juozas Olekas, flickr