Anti-populisme et démocratie

Par Anaïs Delbarre | 9 janvier 2012

Pour citer cet article : Anaïs Delbarre, “Anti-populisme et démocratie”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 9 janvier 2012, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1385, consulté le 02 avril 2023

Hervé Morin, président du Nouveau Centre et candidat aux élections présidentielles de 2012, a expliqué le 21 décembre lors de la première réunion des représentants de ses quelques 200 comités de soutien dans 76 départements vouloir être « le candidat de l’anti-populisme ». Il accuse ses adversaires d’user de démagogie et de populisme pour séduire les Français. Le sens même du terme « antipopuliste » indique que le populisme serait mauvais pour la démocratie. Comment s’articulent donc les concepts d’anti-populisme et de démocratie ?

Comment peut-on qualifier le populisme ? La notion de populisme date du XIXème siècle, mais est fortement reprise dans les discours politiques depuis les années 1980 en France. Elle est synonyme de démagogie ou d’opportunisme politique. De nos jours, elle est donc péjorative. Le populisme ne représente pas une théorie fortement constituée, ni un projet économique et social stable. C’est une technique de mobilisation qui vise à critiquer ouvertement les institutions, le gouvernement en place, et des groupes d’intérêt particuliers qui seraient sources des maux de la société. Les populistes ont recours à des discours simples et à des images populaires. Ils exacerbent les frustrations, les déceptions et les défiances du peuple vis-à-vis du pouvoir, réveillent les préjugés populaires comme la xénophobie ou l’antisémitisme. Le populisme va dans les deux sens : les hommes politiques au pouvoir accusent de populistes les adversaires qui leur reprochent de ne pas se servir du pouvoir dans l’intérêt du peuple et donc d’être eux-mêmes populistes.

L’anti-populisme est, à l’inverse, une technique de mobilisation récente qui vise à ouvrir les yeux du peuple quant aux discours jugés trop simples des populistes. Nous nous intéressons ici à l’anti-populisme des hommes politiques. Ces « antipopulistes » défendent le système représentatif et admettent ses dérives, mais jugent inefficaces et non-démocratiques les méthodes des populistes pour atteindre le pouvoir. Le sens même du terme « antipopuliste » indique que le populisme serait mauvais pour la démocratie. Comment s’articulent donc les concepts d’anti-populisme et de démocratie ? À quoi sert réellement l’anti-populisme ? Quand, par qui et dans quel objectif l’anti-populisme est-il utilisé ?

Le populisme, danger pour la démocratie, inclut la nécessité d’un anti-populisme

La naissance des démocraties a souvent été préparée, à l’instar de l’Amérique latine, par des populismes dits « libérateurs ». Le populisme n’a pas toujours été considéré comme un élément mauvais, dévastateur. Dans le mot populisme, il y a la notion de « peuple » : être populiste reviendrait donc à montrer de l’intérêt pour le peuple, le « prolétariat ». En atteste l’ouvrage Populisme d’un certain Léon Lemmonier en 1931. Pour ce bourgeois, le prolétaire est un sujet d’étude auquel il montre à cette époque un fort intérêt. L’œuvre littéraire d’Honoré de Balzac ou de Victor Hugo, quelques décennies plus tôt, démontre qu’écrire au XIXème siècle sur la vie quotidienne des « gens du peuple » est à la mode. Dans un sens plus politique que littéraire, le sens premier du populisme est de recourir au peuple pour prendre des décisions.

Le populisme ne peut être qualifié de «  maladie infantile de la démocratie » (Alain Touraine) que dans une seconde partie de l’histoire, lorsque le peuple est en mal de représentativité, lorsque la démocratie représentative est en panne. Ce type de conflit de légitimité de la démocratie est plus que fréquent dans nos démocraties représentatives modernes. On accuse alors les populistes de prendre le pouvoir par des discours axés sur le peuple en « réveillant leurs plus bas instincts ». Ce type de populisme comprendrait un danger pour les démocraties, comme l’illustre l’arrivée d’Hitler au pouvoir. En quelques mois, la démocratie allemande s’effondre, laissant place au régime national-socialiste, autoritaire et raciste.

En ce sens, le populisme n’est que transitoire, mais il est utilisé à des fins électoralistes et opportunistes par les hommes politiques. Il acquiert donc un sens plus péjoratif. Depuis les années 1980, c’est de cette sorte de populisme dont les hommes politiques se méfient et s’accusent tour à tour. Le mot populisme est plutôt de nos jours utilisé pour qualifier des mouvements d’extrême droite tels que le Front National de Jean-Marie le Pen. Il peut qualifier des mouvements très hétérogènes, mais il s’est focalisé dès le début sur les partis ayant comme point commun la lutte contre l’immigration.

L’anti-populisme se présenterait alors comme un remède à la « maladie populiste », un antidote nécessaire à la dérive des démocraties. Pourtant, l’anti-populisme en lui-même ne porte-il pas la marque du populisme ?

Les accusations des antipopulistes

Chaque politicien se revendique antipopuliste car le terme de populisme, connoté péjorativement, fait peur aux électeurs.

Dans un contexte récent, Hervé Morin accuse tous ses concurrents d’être populistes, y compris Eva Joly qui veut réduire le temps de travail à 32 heures, François Bayrou qui prône un « consommer français » ou Marine le Pen qui met l‘accent sur le retour au Franc. Seul François Hollande semble bénéficier d’une plus grande clémence  puisqu’il ne « verse ni dans le populisme ni dans la démagogie », personne n’ayant encore, selon Monsieur Morin, compris son programme. L’accusation antipopuliste se traduit ici par l’action de promettre des choses intenables mais alléchantes dans l’objectif de gagner plus de voix. Or, n’est-ce pas ce que fait tout politicien lors d’une campagne électorale ? L’anti-populisme n’apparait-il pas comme une  démarche elle-même hypocrite ? Qu’auraient les antipopulistes à proposer de plus « réaliste»  que leurs accusés ? Quelle est leur défense de la démocratie ? Ne sommes-nous pas aptes à réfléchir par nous-mêmes et à juger des potentiels dangers des discours politiques que nous entendons ? L’anti-populisme n’est pas non plus une démarche politique purement désintéressée des suffrages. En outre, cette notion d’anti-populisme ne refait surface que lors d’élections imminentes.

Dans ce sens-là, le politicien qui se veut antipopuliste et qui traite ses homologues de populistes n’a qu’un seul but : distraire le peuple du fait qu’il est lui-même populiste. Tous les moyens sont bons et l’accusation est variable : le Front National est accusé de populisme par la droite et la gauche à cause de son discours sur la sécurité. Nicolas Sarkozy le reprend à sa charge dès le début de son mandat. La gauche reprend la même accusation, mais cette fois-ci à l’égard de la droite établie. Les accusations antipopulistes des politiciens changent de camps, de partis, d’accusateurs, d’accusés. On peut en conclure que ce sont des manœuvres plus électoralistes que proprement antipopulistes.

L’anti-populisme et les enjeux de la démocratie

Il y a toujours une touche de populisme dans la démocratie. Celle-ci axe le discours sur le pouvoir au peuple. Plus spécifiquement, dans la démocratie représentative, le peuple détient le pouvoir mais le délègue à des représentants chargés de mettre en place la politique souhaitée par ce même peuple. Au premier sens du terme populisme, on met l’accent sur le peuple et sur son intérêt politique. Populisme et démocratie ne s’opposent au départ absolument pas. Accuser les populistes d’abuser de la démocratie en flattant le peuple serait dans ce sens-là aussi antidémocratique que d’être populiste soi-même.

Une autre question fait surface. Puisque le populisme comporte un aspect moral (un électeur osera-t-il avouer à un sondage qu’il vote Le Pen?), on peut se demander si les candidats antipopulistes, en dénonçant leurs homologues soi-disant populistes, ne dénoncent pas dans le même temps le comportement « honteux » des électeurs concernés. En effet, dans nos démocraties, voter pour des candidats jugés populistes peut créer des sentiments de culpabilité ou de honte. Or cela reviendrait à dire que les antipopulistes porteraient un jugement sur une partie de leurs potentiels électeurs. Et n’est-ce pas dans une démocratie que chacun doit respecter le vote des autres ? Les électeurs touchés par les discours populistes peuvent se sentir injuriés.

La démocratie suppose l’égalité de chaque opinion et suppose également que l’opinion d’un marchand de chaussures équivaut à celle d’un homme politique sortant de l’ENA. Or l’accusation de populisme suppose que les opinions politiques sont inégales, que certains citoyens ne seraient pas aptes à produire une telle opinion et qu’il faudrait remettre en cause certains votes, nuisibles à la démocratie. L’anti-populisme n’est-il donc pas lui aussi nuisible pour la notion même de démocratie ?

D’autre part, l’anti-populisme n’est pas seulement une initiative d’hommes politiques. Face par exemple à une nouvelle Constitution dite « populiste », les Hongrois sortent dans la rue pour manifester. Les masses populaires peuvent donc elles aussi se dire antipopulistes et manifester leur mécontentement vis-à-vis d’hommes politiques et de leurs actions. L’anti-populisme est donc dans ce cas-là une manière de défendre la démocratie et le droit des individus.

Conclusion

Utilisées à tort et à travers, les dénonciations du populisme peuvent avoir plusieurs définitions, toucher une panoplie d’acteurs différents qui n’ont parfois rien en commun et provenir de n’importe quel parti. L’anti-populisme apparaît de nos jours comme une notion politique floue et superficielle. Jetant leur dévolu sur un populisme qu’ils dénoncent, les antipopulistes accusent leurs adversaires de séduire le peuple par des discours irréalistes mais font de même lorsque l’occasion se présente. Ce sont souvent lors d’élections que se manifeste ce type d’accusations. Parfois erronés, destinés à reprendre le plus de voix possibles à des adversaires, les jugements des antipopulistes sont des jugements de valeur subjectifs.

L’anti-populisme n’a pas de définition propre. Il sert les intérêts de la classe politique à un moment donné lors d’une situation donnée. Le fait que les masses ne soient pas non plus capables de donner une définition précise du populisme donne une grande force politique à ces accusations.

Depuis les années 1930 et le national-socialisme, le populisme a acquis une définition péjorative dans toute l’Europe et ce mot, autrefois synonyme d’un intérêt croissant de la classe politique pour le peuple, a été éloigné contre sa volonté de son sens premier. Il fait peur, et les hommes politiques de tout bord s’en servent pour  atteindre des objectifs uniquement opportunistes et électoralistes.

Pour aller plus loin

Sur Nouvelle Europe

À lire

Ouvrages généraux 

  • RIOUX, Jean-Pierre ( dir.), Les populismes, éditions Perrin, Collection Tempus, Paris, 2007.

  • TAGUIEFF, Pierre-André, L'illusion populiste, de l'archaïque au méditiatique, Berg international Editeurs, Paris, 2002.

Sites internet 

  • "Populisme et démocratie", article de Pascal Mgonbo (professeur de droit constitutionnel à l'université de Poitiers, directeur du groupement d'études juridiques franco-américaines) paru dans le journal Le Monde du 04.10.11

  • article sur le populisme de Liberpedia, l'encyclopédie libérale : www.liberpedia.org

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