

Un désarmement au cœur de la paix.
Nous sommes donc dans les années 1920, et précisément le 10 décembre 1926. Deux évènements radicalement différents font l’actualité. D’une part, à Genève, en Suisse, la conférence des ambassadeurs de la Société des Nations débat sur la difficile question du désarmement de l’Allemagne. Le maréchal Foch reproche en effet à son homologue allemand le général von Pawels le non-respect des clauses de désarmement du traité de Versailles, notamment en ce qui concerne le matériel de guerre et les fortifications militaires de l’est de l’Allemagne, en premier lieu Königsberg.
Tandis qu’au nord de l’Europe, à Oslo, d’autre part, on célèbre les lauréats des Prix Nobel de la Paix de l'année 1925, l’américain Charles Dawes pour le plan qui porte son nom et qui organise le règlement des réparations allemandes, et l’anglais Sir Austen Chamberlain qui participa à la préparation des accords de Locarno ; mais aussi de l’année 1926 qui récompensa le français Aristide Briand et l’allemand Gustav Stresemann pour les accords de Locarno et les débuts du rapprochement franco-allemand, qui est certes contesté dans leurs propres pays.
Bien qu’ayant tous les deux des ambitions politiques aux antipodes l’une de l’autre, ces deux hommes sont aujourd’hui tous deux considérés comme de grands européens, qui ont contribué au rétablissement de la paix en Europe avant l’entrée dans les années 1930 qui ont vu quant à elles l’apogée des nationalismes européens.
Mais revenons quelques temps avant ce prix Nobel, qui n’est que l’aboutissement de plusieurs années de travail et de coopération entre ces quatre lauréats. En 1923, Gustav Stresemann est obligé de démissionner de son poste de chancelier après la perte du soutien des socialistes allemands à son gouvernement. Il reste néanmoins ministre des affaires étrangères jusqu’à sa mort en 1929. C’est avec Poincaré qu’il négocia le plan Dawes qui entra en vigueur le 1er septembre 1924. Ce plan a pour ambition de trouver une solution à l’épineuse question du règlement des réparations allemandes en veillant au maintien de l’équilibre financier par deux moyens : d'une part en prélevant les sommes dues par l’impôt ; d'autre part en créant une banque d’état afin de prévenir l’inflation et de stabiliser la monnaie. Ce plan permit aussi l’évacuation de la Ruhr, alors encore occupée par les troupes françaises. En plus de sortir temporairement l’Allemagne et l’Europe de la crise économique, ce plan ouvrit la voie à la négociation des accords de Locarno.
Aristide Briand entra quant à lui sur la scène internationale après la 1ère Guerre mondiale. Il fut l’artisan du rapprochement franco-allemand aussi bien sur la question des réparations, ce qui lui a valu d’être démis de ses fonctions de Président du Conseil en 1922, que sur les accords de Locarno. Après avoir quitté la Présidence du Conseil, il resta néanmoins ministre des affaires étrangères, fonction qui lui permit de négocier les accords de Locarno. Ces accords sont le résultats d’une conférence réunissant les dirigeants français (Briand), allemand (Stresemann), anglais (Chamberlain), belge (Vandervelde), tchécoslovaque et polonais.
Ceux-ci étaient chargés de régler les litiges concernant les frontières de l’Allemagne avec ses voisins. Le statu quo fut maintenu à l’ouest sous la garantie de l’Angleterre et de l’Italie. De plus, une convention d’arbitrage entre les adversaires d’hier fut établie en cas de conflit entre l’Allemagne et ses voisins. Par contre, la frontière orientale de l’Allemagne posait toujours problème, celle-ci ne reconnaissant pas Dantzig et son couloir. Ce refus poussa ainsi la France à signer des traités d’alliance avec la Tchécoslovaquie d’une part et la Pologne d’autre part, en cas d’agression allemande.
Les accords de Locarno ont aussi permis à l’Allemagne d’être à nouveau considérée comme un Etat plein et souverain. En effet, par ces accords, elle a obtenu un siège permanent à la Société de Nations grâce à l’appui franc d’Aristide Briand. Locarno marqua ainsi une époque où les dirigeants européens croyaient à la paix et acceptaient de nouvelles idées dont la sécurité collective. Ce que l’on appela l’esprit de Locarno est donc l’acceptation de la conciliation et du rapprochement franco-allemand. Grâce à ces accords, on peut considérer aujourd’hui qu’Aristide Briand et Gustav Stresemann ont formé le premier couple franco-allemand, ceux-ci n’ayant pas hésité à contrer les opinions nationales de leurs pays respectifs pour mener à bien leur projet.
La portée inattendue d’un Prix Nobel…
La signature en 1928 du pacte Briand-Kellog à Paris, des noms des ministres des affaires étrangères français et américain mais auquel est aussi associé Stresemann, marque une véritable volonté politique. Les quinze Etats signataires s’engagent ainsi à « procéder à une franche renonciation à la guerre, comme instrument de politique nationale afin que les relations pacifiques et amicales existant actuellement entre leurs peuples puissent être perpétuées ».
Un an après est révisé le plan Dawes qui aboutit au plan Young, du nom de l’économiste américain qui présida à la révision des réparations allemandes. Le montant fut abaissé, la surveillance économique abolie, et la Rhénanie définitivement évacuée. Cependant, 1929 est aussi l’année du décès de Gustav Stresemann qui ne vécut donc pas la montée des nationalismes exacerbés dans son pays, nationalismes qui menèrent Hitler au pouvoir.
Du rapprochement franco-allemand à l’idée de construction européenne.
En effet, le couple franco-allemand Briand – Stresemann permit au premier de développer l’idée, à Genève, d’une union européenne construite sur le mode fédéral. Il fut ici directement inspiré des idées de Richard de Coudenhove-Kalergi et du mouvement paneuropéen, qui offrit à Aristide Briand dans le courant des années 1920 la présidence d’honneur de l’association « Pan-Europe ». Il déclara ainsi devant l’Assemblée de la Société des Nations, le 5 septembre 1929, qu’entre « des peuples qui sont géographiquement groupés comme les peuples d'Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral ; ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d'entrer en contact, de discuter leurs intérêts, de prendre des résolutions communes, d'établir entre eux un lien de solidarité, qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves, si elles venaient à naître ». Devant les représentants des 27 états européens présents, il leur explique les compétences d’une telle association : en premier lieu économique mais aussi dans le domaine de la politique sociale. Il précise également son attachement à la souveraineté l’Etat membre au sein de cette association. Il les invita sérieusement à considérer ce projet dans le cadre de l’avenir du continent.
Aristide Briand fut soutenu ici par Gustav Stresemann quelques jours plus tard, le 9 septembre, devant cette même Assemblée de la Société des Nations, qui rappela aux ambassadeurs les parcours d’unification italien et allemand, dont chacun doutait à l’époque de la réussite. Il demanda alors en quoi cela serait impossible à réaliser au niveau européen. Il soutient Aristide Briand dans son projet d’intégration économique européenne au regard du nombre d’Etats nouveaux créés à la suite des traités de paix de la première guerre mondiale. Il va d’ailleurs plus loin en proposant la création d’une monnaie européenne et d’un timbre-poste européen afin d’alléger toutes les procédures douanières, qui selon lui affaiblit la puissance économique européenne et la réussite des entreprises du continent à un niveau régional.
Le projet d’Association européenne d’Aristide Briand.
Suite à la déclaration d’Aristide Briand, un mémorandum fut rédigé afin de préciser la nature de cette association européenne au nom de la solidarité de fait qui devrait exister entre les peuples européens pour leur sécurité et leur bien-être. Ce mémorandum fut écrit par Alexis Léger le 1er mai 1930, soit moins d’un an après la soumission de l’idée auprès de la Société des Nations ; Alexis Léger, qui n’est autre que le poète Saint John Perse et reçut quant à lui un autre prix Nobel, en 1960, celui de Littérature, pour l’ensemble de son œuvre.
Cette association suivrait avant tout le principe d’union morale, instaurant une solidarité entre les Etats y participant. En outre, afin d’éviter d’affaiblir la Société des Nations, l’association serait placée sous sa direction.
En ce qui concerne son fonctionnement, elle serait dotée de trois organes principaux : la conférence européenne, composée des représentants des gouvernements, est un organe intergouvernemental qui aurait une présidence annuelle et tournante ; le comité politique permanent, l’organe exécutif de l’association, se consacre aux travaux d’études et d’élaboration des politiques, dont le nombre de membres est inférieur au nombre de pays membres ; et enfin le service de secrétariat en charge de l’administration générale de l’association, s’occuperait aussi de la préparation des travaux. L’Association européenne élaborerait des politiques communes par l’intermédiaire de l’adoption de directives générales.
La particularité de ce projet est de placer dès le commencement le politique avant l’économie afin de lui donner une structure institutionnelle stable. En effet, ainsi qu’il est écrit dans le texte du mémorandum, « un ordre inverse ne serait pas seulement vain, il apparaîtrait aux nations les plus faibles comme susceptible de les exposer, sans garanties ni compensation, aux risques de domination politique pouvant résulter d’une domination industrielle des Etats les plus fortement organisés ». Ceci peut nous paraître paradoxal aujourd’hui au regard de la construction européenne que nous connaissons depuis l’après-guerre, qui pose, elle, l’union économique avant la réalisation de l’union politique. Par la suite, les économies européennes seraient rapprochées tout en respectant l’indépendance et la souveraineté des gouvernements.
Le texte du mémorandum se termine sur la question de la coopération européenne et de ses champs d’intervention. Ainsi, on retrouve entre autres les hypothèses suivantes : le transit européen, l’hygiène, la coopération intellectuelle et les rapports interparlementaires, compétences dont s’est dotée l’Union européenne avec plus ou moins d’envergure.
« S’unir pour vivre et prospérer : telle est la stricte nécessité devant laquelle se trouvent désormais les nations d’Europe. Il semble que le sentiment des peuples se soit déjà clairement manifesté à ce sujet ».
Comme le montra l’histoire, cette proposition ne resta qu’au stade de l’idée utopique. Il aura fallu cependant attendre jusqu’en 1949 pour que cette idée ait été reprise par les Pères fondateurs de l’Europe de l’après-guerre : Jean Monnet et Robert Schuman, accompagnés de Paul-Henri Spaak, d’Alcide de Gasperi sans oublier Konrad Adenauer. On retrouve en effet plusieurs de ces propositions institutionnelles et champs de compétences dans le fonctionnement de notre Europe actuelle.
De même il aura aussi fallu attendre l'après-guerre pour qu'à nouveau France et Allemagne retravaillent ensemble dans un souci de coopération et de compréhension. En effet, à la suite de la mort de Gustav Stresemann en 1929, la montée des extrêmes s'accrut en Allemagne, en particulier celle du nazisme, et la méfiance grandit du côté français envers son voisin allemand qui était en train de redevenir une menace. Bien que fondamentalement différent, Aristide Briand et Gustav Stresemann ont su montrer que la coopération franco-allemande était possible et pouvait aussi conduire à des résulats. Ils ont formé le premier couple franco-allemand, qui fut aussi le seul et unique couple de l'entre-deux guerre avant ceux constitués après la Seconde Guerre mondiale, qui ont permis, eux, la construction européenne.
Pour aller plus loin:
![]() |
Sur Nouvelle Europe |
![]() |
Les articles concernant les couples franco-allemands depuis 1950 et celui sur les Pères fondateurs de l'Europe communautaire |
![]() |
Sur internet |
![]() |
Les discours d'Aristide Briand et de Gustav Stresemann de Septembre 1929 ainsi que le texte du mémorandum écrit par Alexis Légerle 1er mai 1930. |
![]() |
A lire |
![]() |
Les articles de la presse de l'époque sont disponible à la Bibliothèque Nationale de France : le Gaulois du samedi 11 décembre 1926, le Petit Marseillais du samedi 11 décembre 1926, l'Eclair de l'Est du samedi 11 décembre 1926, le Figaro du samedi 11 décembre, le Journal des Débats des 11 et 12 décembre 1926 et l'Humanité du lundi 13 décembre 1926. |