
La Russie et le Canada sont deux immenses pays auxquels on associe spontanément le Nord, leur Nord. L'Europe est, elle, un continent auquel on associe rarement les grandes plaines enneigées de ses deux voisines. Est-ce à dire qu'il n'y a pas de Grand Nord européen ?
Comme l'a rappelé récemment un dossier de la revue Regard sur l'Est, le Grand Nord est une région mythique de la Russie. Elle forme une part intégrante de l'épopée nationale, que ce soit par l'ouverture du "passage du Nord-Est" permettant de longer le Pôle au large de la Sibérie, immortalisée par la tragique traversée du Tchelyuskin, ou par la construction du "système des cinq mers" permettant de relier l'océan Arctique à la mer Baltique.
Rien de tel pour l'Europe. Du moins en apparence.
Une définition géographique
L'Arctique est une région qui ne se laisse pas facilement définir. Plusieurs approches peuvent être adoptées.

On peut tout d'abord s'arrêter au critère climatique, celui qui paraît le plus évident. Si l'on s'en tient à la "ligne de Köppen" (où il fait moins de 10° C de température en moyenne lors du mois le plus chaud - juillet), alors on considèrera qu'une toute petite partie du territoire de l'Union européenne s'y trouve. On peut sinon prendre pour repère le cercle polaire, au-delà duquel au moins une nuit par an le soleil ne se couche pas ou ne se lève pas. En effet, le Groenland, qui lui s'y trouve totalement, ne fait plus partie de l'Union européenne depuis 1984, bien qu'étant sous suzeraineté danoise. La Suède et la Finlande ont aussi une part de leur territoire au nord du Cercle polaire.
Par ailleurs, la Suède et la Finlande connaissent aussi une part de la végétation typiquement polaire, la forêt boréale qui couvre 1/3 des forêts de la planète. On ne trouve presque pas dans l'UE l'autre paysage typiquement polaire, la toundra (taïga en russe) et qui couvre 10% des terres émergées de la planète.
Si l'on ajoute à ces critères bio-climatiques ceux de la population, on peut considérer qu'il y a un Grand Nord européen. En effet, les Sâmes, populations polaires autochtones que l'on retrouve en Norvège (30 000), Suède (17 000), Finlande (6000) et Russie (2000) forment la part européenne des populations boréales, dont les Inuits (au Groenland et au Canada) sont probablement les plus connus.
Pourtant, un doute est permis qui vient brouiller ce tableau. L'Arctique est avant tout un espace liquide, c'est ce qui le différencie de l'Antarctique. Deux tiers de la surface de l'Arctique sont composés d'eaux, si l'on considère cette région dans sa définition la plus large, 21 millions de km2. Or, la Suède et la Finlande n'ont pas accès à cette mer qui leur est bloquée par la Norvège et la Russie. Et si l'on définit l'Arctique comme une mer, alors seuls ses riverains (États-Unis, Canada, Groenland, Islande, Norvège et Russie) ont la légitimité de s'en préoccuper. Comme le faisait remarquer un diplomate norvégien au Sénat en janvier 2010, "nous n'avons rien à dire sur la gouvernance de la Méditerranée".
L'Europe écartée de l'Arctique ?
Les enjeux de l'Arctique sont immenses. Tout d'abord parce que le réchauffement climatique va bouleverser cette région et la rendre plus petite, plus accessible. Ensuite, puisqu'elle fait l'objet d'un intense mouvement d'appropriation et de démarcation. Elle illustre parfaitement le phénomène de traçage continuel de nouvelles frontières montré par Michel Foucher : les États riverains négocient le partage de la région, de ses ressources et de ses potentialités, notamment dans le domaine du transport.
Contrairement à ce qui est souvent montré dans les médias, ils le font de manière relativement pacifique : de multiples instances (Conseil arctique, Conseil de la Mer de Barents, etc.) forment le germe de la gouvernance de cette nouvelle région. Périphérie par excellence pendant des siècles, l'Arctique devient un centre.
N'étant pas riverains, les Européens sont pour l'instant exclus de ce mouvement, même si la Suède, le Danemark et la Finlande poussent l'Union européenne à investir cette région. L'entrée de l'Islande dans l'UE devrait d'ailleurs accélérer le développement d'une politique européenne, en lui offrant un accès géographique à la région.
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Dossier de juin 2010 : Y a-t-il encore une place pour les Européens dans le Grand Nord ?
- Les pôles : nouveaux eldorados pour le trafic maritime ?
- L’Union européenne dans la course à l’Arctique ?
- L’Arctique : le nouveau chaud-froid climatique et géopolitique
- L’Europe est-elle un animal marin ? Explications géographiques de la nature européenne
- Quitter l'Europe : le cas du Groenland
- À la découverte des Sâmes, peuple autochtone d'Europe du Nord
Sur Internet
- Le Cercle Polaire - Association de promotion de la culture des pôles
- L'Arctique, une autre Mare Nostrum (sur le Taurillon.org)
À lire
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CANOBBIO, E., et A. BOISSIERE. Atlas des pôles : régions polaires : questions sur un avenir incertain. Collection Atlas-monde. Paris: Éd. Autrement, 2007.
Illustration : Heupel, Eric. Hello Inuk!, Mai 8, 2005. http://www.flickr.com/photos/eclectic-echoes/23648529/.