Un parlement clandestin : le Conseil suprême de libération de l’Ukraine (UHVR)

Par Bogdan Mytrowytch | 20 novembre 2014

Pour citer cet article : Bogdan Mytrowytch, “Un parlement clandestin : le Conseil suprême de libération de l’Ukraine (UHVR)”, Nouvelle Europe [en ligne], Jeudi 20 novembre 2014, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1860, consulté le 24 mars 2023

Il y a soixante-dix ans fut créé en Ukraine par la résistance ukrainienne, l’« Ukraijinska Holovna Vyzvolna Rada » (UHVR) ou Conseil suprême de libération de l’Ukraine, regroupant différents courants politiques qui luttaient pour l’indépendance de l’Ukraine. L’UHVR est largement méconnu à la fois en Ukraine et auprès de la diaspora ukrainienne…D’autres connaissent seulement ce sigle, mais sait-on que c’est à la suite du troisième congrès extraordinaire de l’organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), qui s’est tenu en 1944 dans la région de Ternopil, que fut décidée la création de l’UHVR ?

L'objectif du troisième congrès extraordinaire était de réformer l’organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et de lui donner de nouvelles orientations politiques. D’une organisation monolithique dotée d’une structure hiérarchique quasi-militaire, l’OUN devint pluraliste, en se fixant comme objectif de rassembler dans un cadre démocratique et laïc toutes les sensibilités politiques qui se battaient pour l’indépendance de l’Ukraine. Alors que l’armée rouge entrait en Ukraine, l’OUN décida de constituer un Conseil suprême de libération de l’Ukraine. La conférence fondatrice eut lieu du 11 au 15 juillet 1944 dans la région du Sambir près des Carpathes et rassembla un certain nombre de personnes, d’opinions politiques variées, de gauche comme de droite.

Kyrylo Osmakh fut choisi comme premier président du conseil. Socialiste révolutionnaire originaire de Kiev, il avait travaillé à la Rada centrale lors de la proclamation de l’indépendance de l’Ukraine le 21 janvier 1918. La direction du conseil était également assurée par trois vices-présidents, un responsable pour le secrétariat et quatre membres du bureau.

L’UHVR s’apparentait à un parlement clandestin. Elle fut également voulue par l’UPA (Ukrajinska Povtanska Armija), le bras armé de l’OUN. Créée en octobre 1942, l’UPA était née du combat contre les occupants nazis et staliniens. Reprochant à l’OUN la proclamation de l’indépendance du 30 juin 1941, les nazis emprisonnèrent Stepan Bandera et d’autres dirigeants de l’OUN et les envoyèrent dans des camps de concentration… Suite à ces emprisonnements, l’UPA fut créée. Initialement composée par des personnes originaires d’Ukraine occidentale, elle fut rejointe au cours de la Seconde Guerre mondiale par un grand nombre de personnes provenant d’Ukraine centrale et orientale. Plus de 50% de ces maquisards n’étaient toutefois pas membres de l’OUN. 

Le statut clandestin de ces organisations joua un rôle important. On peut notamment revenir sur celui de l’OUN en Ukraine occidentale. De 1920 à 1939, l’Ukraine occidentale appartenait à la Pologne. Des organisations ukrainiennes politiques légalistes y avaient vu le jour et avaient choisi de se battre pour l’indépendance par la voie parlementaire. A l’inverse, l’OUN avait fait le choix de la voie militaire. C’est cette approche qui lui permit de perdurer un temps. Des transferts eurent toutefois lieu, puisque Vassyl Mudrij, ancien représentant d’un parti légaliste et ancien vice-président au parlement polonais d’avant-guerre, décida de rejoindre l’OUN et devint par la suite vice-président de l’UHVR. Quant aux membres de l’OUN en Ukraine orientale, il s’agissait surtout d’anciens socialistes, révolutionnaires et communistes réprimés par Staline.

Plusieurs membres de l’OUN jouèrent alors un rôle important dans la création de l’UHVR, notamment le président de l’OUN Roman Shukhevytch qui remplaça Mykola Lebid à partir de mars 1943.

A partir de 1944, l’UHVR fut l’écho clandestin de différentes options politiques qui existaient au sein de l’UPA. Bien qu’il n’ait pas pu siéger comme les autres parlements pour des raisons d’occupation et de guerre, il fonctionna pendant dix ans. Puis l’UPA fut démantelée suite à l’arrestation ou à la mort de ses dirigeants. D’éminents publicistes tels que Petro Poltava, Osyp Hornovy ou encore Dmytro Kujil continuèrent d’animer les publications clandestines relatives au devenir du futur Etat indépendant.

Plusieurs dirigeants de l’UHVR se retrouvèrent dans la diaspora. Tel était le cas de Mykola Lebyd, qui fut nommé président de la représentation extérieure (Zakordone Prystavnytstvo) de l’UHVR afin d’entrer en contact avec les occidentaux. D’autres, comme Daria Rebet, Roman Prokop ou encore Vassyl Okhymovitch, furent chargés de revitaliser l’OUN à travers la diaspora. A cette fin, ils rencontrèrent les dirigeants de l’organisation qui venaient d’être libérés des camps de concentrations allemands. Après la guerre, la représentation extérieure fonda la maison d’édition Prolog et la revue Sutchasnist, qui jouèrent un grand rôle d’information sur l’Ukraine.

Si l’on peut s’interroger sur la viabilité de ces aspirations démocratiques dans un contexte de guerre mondiale, ce « parlement clandestin » constitua néanmoins un témoignage remarquable de l’aspiration des Ukrainiens à être maîtres de leur destin.

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Source photo: "Ukrainian flag at an old house of Halych, Western Ukraine" par Roman Zacharij sur Wikimedia Commons