Le Conseil de l’UE a adopté, le 14 février 2011, le règlement voté mi-décembre par le Parlement européen, régissant la mise en œuvre de l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE).Ce nouvel outil de démocratie participative, introduite par le traité de Lisbonne, entrera en vigueur en 2012 et devrait permettre, si tant est qu’un minimum de critères soient mis en place, une participation accrue des citoyens aux affaires européennes, une politisation des enjeux européens et pourquoi pas, dans la même voie, une identification plus forte des citoyens à l’UE.
Quel modèle démocratique pour l’UE ?
Avant d’entrer dans les détails de ce règlement, un petit détour théorique s’impose, car on ne peut pas aborder le thème de l’initiative citoyenne européenne, sans toucher du doigt celui, assez bien enterré et sur lequel elle a germé, du modèle démocratique européen. On ne peut pas, parce que c’est précisément à ce problème-là que l’ICE tente d’apporter une réponse.
La question d’un modèle démocratique novateur et pertinent pour l’Union européenne est à la fois un casse tête philosophique, sociologique et politique. Pourtant, à mesure que l’intégration politique se poursuit, la nécessité d’en penser les contours s’accentue. Alors, qu’y a-t-il donc de si problématique ?
L’UE est majoritairement composée d’États-Nations. Jusque là, pas trop de difficulté.
Dans le modèle de l’État-Nation, l’État et la Nation entretiennent une relation consubstantielle, qui fait de ces deux concepts des entités essentiellement liées, inséparables, qui ne peuvent que coexister. Premier problème donc, pour peu que l’on essaie, un tant soit peu, de penser à les séparer pour imaginer un système réellement politique et multinational.
De la même manière, le lien entre Nation et Démocratie peut être considéré, amenant certain à répondre par la négative à la question de savoir si une démocratie multinationale est possible. La Nation serait l’entité abstraite par laquelle la communauté des citoyens exerce ses droits et ses devoirs, entité de fait indispensable à l’exercice de la démocratie.
Nous voilà donc doublement embêtés.
Pourquoi ?
Parce que de telles affirmations, qui restent du ressort de postulats théoriques, ne peuvent amener que deux sortes de réponses. La première est très simple, faisons de l’UE un État-Nation. La deuxième est encore très simple, pourquoi chercher à penser une démocratie européenne, puisque fondamentalement chimérique ? Laissons donc aux nations leurs démocraties et aux institutions européennes leurs compétences de régulateur technique.
Pourtant, que ce soit par euro-militantisme ou simplement par objectivité scientifique, il n’est pas si difficile d’admettre une démocratie dans un cadre différent de celui de l’État-Nation. C’est d’autant plus facile qu’il y a, dans l’Union européenne et ailleurs, des États qui répondent déjà à un modèle différent. Mais c’est aussi possible en considérant que la relation entre l’État, la Nation et la Démocratie n’en fait pas une relation essentielle mais simplement historique.
Mais au fait, y a-t-il un vrai problème démocratique ?
Globalement, on reproche souvent à l’UE un « déficit démocratique », concept repris par le champ journalistique et qui a fini par être utilisé sans vraiment savoir ce qu’il recoupait.
Le terme a été employé pour décrire une série de caractéristiques du système politique et institutionnel de l’UE inaptes à garantir la démocratie. L’idée est globalement que la culture et le système institutionnels au niveau de l’UE sont de type consensuel, rendant difficile une politisation des enjeux et une proximité réelle avec les préférences de la majorité des électeurs, que le Parlement européen a trop peu de pouvoir, que les citoyens ne peuvent pas décrypter les responsables des décisions prises, que les élections européennes sont des élections de deuxième ordre, etc.
La dilution de la responsabilité politique est un aspect avéré, et les institutions européennes ne sont pas toujours les bénéficiaires de cette dilution. L’adoption de textes qui n’auraient peut-être pas reçu la faveur du législateur s’ils avaient été décidés au niveau national, sous le contrôle d’une opinion publique mieux formée et d’une opposition plus conséquente, est fréquente.
Tout ceci est difficile à contredire, et les seuls contre-arguments qui ont été avancés consistaient à affirmer que le problème n’existait pas car l’UE n’avait pas vocation à être une démocratie. Soit.
Pour autant, on ne peut pas accuser ces institutions de n’être qu’une poignée d’autruches, la tête enfouie à Bruxelles, qui n’entendent rien des revendications diverses et variées des différents acteurs concernés. Du moins, on ne peut leur reprocher de le faire intentionnellement. Pourquoi ? Parce que tout texte proposé à l’échelle européenne a vocation à être adopté. On ne fait pas tout ce travail pour rien. Et pour être adopté, tout texte doit trouver une majorité pour lui, au sein du Conseil et du Parlement.
De fait, face à ces nombreuses critiques, l’UE a répondu par un certain nombre de mécanismes sur lesquels un doute trop important plane. Les consultations publiques, le dialogue civil, les relations avec la société civile européenne sont autant de processus doublement légitimant (pour les institutions européennes et pour les organisations en question) qui n’avancent pas vraiment les choses. Ces diverses initiatives ont contribué à la création d’un très petit « espace public européen », fragmenté et élitiste.
L’ICE, qu’est-ce que c’est ?
Le traité de Lisbonne reflète en tous cas l’idée que le problème persiste, et propose une solution : introduire un peu de démocratie participative dans cette peut-être démocratie peut-être représentative qu’est l’Union européenne.
L’idée est donc de donner la possibilité à un million de citoyens de demander à la Commission de proposer un texte sur une thématique de leur choix et selon des objectifs qu’ils auront définis. D’autres outils sont imaginables (referendum d’initiative populaire, jurys citoyens, etc.), et le choix de l’ICE est celui d’un outil modéré qui contient néanmoins les germes d’une politisation de l’UE. Mais les germes doivent pousser…
Après une petite bataille, résolue en première lecture, le règlement portant sur l’application de l’article 11.4 du traité a été adopté.
Décryptons en les principaux points :
Les organisateurs
Les organisateurs devront constituer un comité composé de 7 citoyens en âge de voter au Parlement européen, provenant de 7 État membres. Cette mesure, qui contraste avec la proposition initiale de la Commission, peut garantir dès le départ le caractère européen de la démarche. En même temps, cela nécessite un exercice plus lourd avant l’enregistrement, et risque de laisser la voix à ceux qui sont déjà en mesure de mobiliser des individus dans sept pays.
L’enregistrement
Avant de commencer à collecter les signatures, les organisateurs, qui auront désigné des représentants, doivent enregistrer l’ICE auprès de la Commission. Pour ce faire, ils doivent remplir un formulaire relativement succin où ils précisent entre autre l’objet de l’ICE et ses objectifs. Là aussi, le texte est à double tranchant. Demander aux organisateurs de rédiger une directive entière serait un filtre inacceptable à la participation, et dans le même temps, donner trop de marge de manœuvre à la Commission peut diluer l’effet des ICE. Au moment de l’enregistrement, la Commission pourra décider de ne pas enregistrer l’ICE si celle-ci n’entre pas dans son domaine de compétence, est manifestement en contradiction avec les valeurs de l’UE ou si elle injurieuse. La Commission a deux mois pour procéder à l’enregistrement. Ceci contraste avec la proposition de départ qui prévoyait que la Commission pourrait se prononcer sur la recevabilité d’une ICE une fois que 300 000 signatures auraient été atteintes (et tout le travail de mobilisation qui va avec).
La collecte de signatures
À partir de l’enregistrement, les organisateurs ont 12 mois pour collecter un million de signatures, par papier ou par voie électronique. Le million de signataires devra provenir d’au moins ¼ des États membres et, dans au moins ¼ des États membres, un nombre minimum de signataires sera requis (le nombre de députés national x 750). La validité des signatures sera vérifiée par les États-membres où se situent les signataires ou qui ont délivré la pièce d’identité au signataire, selon les modalités qu’ils ont déterminé, ceci afin de garantir le nombre de signatures par État.
Et après ?
Une fois les signatures collectées, si les conditions sont respectées, la Commission aura trois mois pour publier un rapport mentionnant notamment comment elle prévoit d’agir. Le règlement prévoit par ailleurs la possibilité pour les organisateurs de présenter leur ICE lors d’une audition publique au Parlement européen. Si la Commission prévoit de proposer effectivement un texte sur la base d’une ICE, ce texte suivra ensuite la route classique d’un texte législatif, et rien ne garantira donc qu’il sera adopté.
Que peut-on en conclure ?
D’un point de vue strictement législatif, l’ICE peut donc modifier la donne. L’outil n’a pas de problème intrinsèque de fabrication, il peut être utilisé. On peut, sans doute, espérer que des initiatives seront proposées, et on peut, sans doute, espérer que la Commission aura bien du mal à ne pas en tenir compte. Que le contenu de ces initiatives change fondamentalement le sens de décisions prises, cela reste à voir, mais si les caractéristiques que nous avons évoquées du déficit démocratiques sont exactes, alors on peut espérer que le contenu des initiatives fera bouger les lignes. Et en le voyant, nous pourrons par la même occasion nous faire une petite idée de la représentativité des décisions prises aujourd’hui.
On peut en tous cas penser que des initiatives pourront bousculer les lignes d’un Conseil dont la responsabilité individuelle des gouvernements se dilue dans l’institution. On peut aussi espérer que s’il y a un relai médiatique assez fort, la machinerie institutionnelle de l’UE deviendra un peu moins lointaine.
Bien sûr, un texte comme celui-ci ne fait pas et ne fera pas vivre seul une démocratie, surtout quand cette démocratie demande à être inventée, et que pour ce faire, il faut opérer un changement relativement important de paradigme, empruntant à l’État sa nation pour que cette dernière puisse s’exprimer, aux côtés d’autres nations, sur des politiques de type supranational.
De fait et heureusement, l’espoir central que l’on peut porter à l’ICE ne repose pas seulement sur l’enrichissement du processus législatif, mais aussi sur la création (d’autres diront le renforcement) d’un espace public européen proprement public. Une transnationalisation des problèmes politiques européens, un engagement actif des médias qui se retiendraient par la même occasion de renationaliser les enjeux, une implication d’organisations citoyennes implantées au niveau local, qui ne font pas nécessairement partie des différentes organisations composant le déjà petit et élitiste réseau de l’ « espace public européen » dont on connait la déconnexion avec leurs membres, la mise en place de formations, voici quelques uns des pré-requis inévitables si l’on veut que cette ICE serve à quelque chose, change quelque chose, crée quelque chose.
Si ces critères sont respectés, on pourra alors imaginer qu’en dehors des retombées législatives, l’ICE, par le processus mis en place de délibération politique transnationale, sera un des instruments à la disposition d’une identification politique des citoyens à l’Union européenne.
Le texte adopté nous permet-il d’espérer ça ? Oui. Est-ce qu’il nous le garantit ? Pas le moins du monde. Pouvons-nous agir pour que l’ICE produise des effets ? Oui, bien sûr. Le règlement entrera en vigueur début 2012…