Ukraine et intégration européenne : les critères démocratiques avant l’heure

Par Tanguy Séné | 6 juin 2012

Pour citer cet article : Tanguy Séné, “Ukraine et intégration européenne : les critères démocratiques avant l’heure”, Nouvelle Europe [en ligne], Mercredi 6 juin 2012, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1498, consulté le 27 mars 2023

L’accord d’association relancé le 31 mars 2012 devait confirmer l’intégration européenne de l’Ukraine, mais il est devenu un test pour juger de l’envergure démocratique du pays. Cherchant l’équilibre entre « maintien de la dynamique » des liens avec Kiev et « valeurs essentielles de l’Union européenne », les États membres et le Parlement européen mènent une politique des droits de l’homme bien avant toute perspective d’élargissement.

L'accroc des droits de l'homme dans un accord technique : l'affaire Tymoshenko

Quelque soit leur bord politique, les gouvernements qu’a connu l’Ukraine depuis les années 1990 ont fait du rapprochement avec l’UE une priorité. Une série de politiques ont été réalisées en ce sens (comme la simplification de la procédure de délivrance de passeport Schengen ou l’ouverture d’un espace aérien commun). Le pays fait partie de la Politique européenne de voisinage, une relation privilégiée et axée sur une intégration européenne, reposant sur un engagement mutuel en faveur de valeurs communes (démocratie et droits de l'homme, règle de droit, bonne gouvernance, principes d'économie de marché et développement durable). Ce partenariat renforcé suffit-il à Kiev ? Il semble que l’objectif demeure, à long terme, une adhésion en bonne et due forme.

Au cours des négociations de l’Accord d’association, dont la date de signature officielle n'a pas encore été fixée, l’Ukraine a insisté pour que ses racines et perspectives européennes soient statuées dans le préambule de l’accord. Ce n’est pas seulement du volontarisme, c’est aussi une question de lettre juridique :  « Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l'article 2 et s'engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l'Union », dispose l’article 49 du Traité de l’Union européenne. Un État européen, certes, mais qu’en est-il de l’application des valeurs de l’article 2 (« les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme […]. ») ?

Depuis fin 2011, l’affaire du traitement de l’opposante Ioulia Timoshenko a provoqué des réticences européennes, alors même que l’accord d’association ne constitue pas une étape de candidature à l’adhésion : le 30 mars dernier, le texte final n’a pas été ratifié par les ministres des Affaires étrangères, mais seulement paraphé. Bien avant donc la possibilité d’une application des critères de Copenhague (les fameuses conditions, notamment démocratiques, imposées aux candidats à l’UE depuis 1993), l’UE parle de valeurs dans cette négociation d’un accord très technique. « S’assurer que la justice est rendue et est perçue comme telle est essentielle aux valeurs de l’Union européenne » a déclaré Lady Ashton, Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères. À quoi s’ajoute, par la voix du Président européen Herman Van Rompuy, la décision que la ratification de l’accord aura lieu après les élections ukrainiennes d’octobre prochain. En cause, les mauvais traitements dont souffrirait la leader de l’opposition ukrainienne, emprisonnée depuis octobre 2011. Ioulia Timoshenko est condamnée à 7 ans de prison pour abus de pouvoir : elle aurait négocié des accords gaziers avec la Russie défavorables à son pays en 2009, alors qu’elle était première ministre (le procès fut dénoncé comme instrumentalisé politiquement par le gouvernement en place selon l’Union européenne, les États-Unis et d’autres organisations internationales). Le gouvernement de Viktor Ianoukovytch, politique pro-russe parvenu au pouvoir en février 2010, nie toute atteinte à l’intégrité physique de Timoshenko, durcissant le bras de fer avec Bruxelles.

Maîtriser la trajectoire

Mais comment trouver l’équilibre entre la dénonciation et l’éloignement de Kiev en direction de Moscou (qui souhaite intégrer l’Ukraine dans une union douanière eurasiatique et renforcer le transit du gaz sur son territoire) ? Comment maintenir l’orbite européenne ? Comme le souligne le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois Jean Asselborn : « Nous avons un problème : l’Ukraine est un des pays les plus importants en termes de politique du voisinage ». Des fonctionnaires de la Commission ont vu dans l’accord d’association un moyen de « maintenir le dynamisme » des relations avec l’Ukraine, une approche géopolitique sensée. Refuser d’avancer sur la voie de l’intégration européenne conduirait en effet en même temps à un renforcement de la dépendance de l’Ukraine à l’égard du géant russe.

Ce n’est donc pas d’une approche catégorique de type critères de Copenhague que l’UE a besoin, mais d’un ensemble de sanctions graduées en réponse aux « infractions démocratiques ». Le boycott de l’Euro 2012 par les représentants politiques européens fait partie des bonnes mesures dans ce sens - l’évènement sportif suivra son cours, les équipes nationales seront présentes, mais le signe sera clair. La Commission a déjà annoncé que l’ensemble de ses commissaires n’y assisteraient pas, aucun ministre néerlandais ou français n’y sera présent non plus (en revanche, la Pologne, co-organisateur de l’évènement, souhaite préserver à la fois son image et ses bonnes relations avec Kiev). La même méthode a déjà eu des résultats : l’Allemagne, l’Autriche, la République Tchèque et d’autres ont déjà réussi à faire annuler un sommet des chefs d’État d’Europe centrale et orientale prévu initialement par le gouvernement Ianoukovytch le 11 mai à Yalta. L’Europe a alors été divisée, mais pour le mieux.  Des restrictions de visas aux représentants politiques ukrainiens (couplées à une ouverture pour les citoyens) pourraient s’ajouter à un effort de financement important des sondages et des missions de supervision des votes lors des prochaines élections d’octobre 2012.

Il est important pour l’UE d’intervenir dans ces moments de tensions internationales qui, si éloignés d’un possible élargissement qu’ils soient, préparent ce dernier de manière décisive. Ce n’est pas la moindre leçon des trajectoires des Balkans occidentaux ces dernières années.

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Source photo Prime minister Yulia Timoshenko, par European Parliament, sur flickr