Tallinn et Helsinki : la bataille pour le leadership régional ?

Par Philippe Perchoc | 3 janvier 2010

Pour citer cet article : Philippe Perchoc, “Tallinn et Helsinki : la bataille pour le leadership régional ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Dimanche 3 janvier 2010, http://www.nouvelle-europe.eu/node/753, consulté le 26 mars 2023

Tallinn (Estonie) et Helsinki (Finlande) ont été longtemps coupées l'une de l'autre par la Guerre froide, au bénéfice de la seconde qui a pu ainsi prendre son essor et devenir l'une des plus riches capitales d'Europe. 20 ans après l'indépendance estonienne, où en sont les relations entre les deux capitales ?

Une rivalité ancienne

Les deux capitales que séparent les 80 kilomètres du Golfe de Finlande connaissent une rivalité ancienne. Tallinn a été fondée en 1216 sous le nom de Reval par les Danois en raison de sa position commerciale intéressante. La ville dominée par les Allemands s'est peu à peu développée pour devenir un des cœurs du réseau hanséatique, notamment dans les échanges avec Narva et Novgorod.

Cette centralité de Tallinn attira la convoitise des rois de Suède. C'est pourquoi Gustave Ier décida de fonder Helsinki en face de Tallinn en 1550 pour tenter de concurrencer cette dernière et de détourner une partie de son trafic. Cette stratégie ne fut pas très fructueuse, d'autant que l'entrée de la Suède dans les guerres de Livonie (1558-1582) lui permit de prendre pied en Estlandie (la partie nord de l'Estonie contemporaine) et de mettre la main sur Tallinn. Dès lors, Stockholm se désintéressa d'Helsinki. Ce n'est qu'après la défaite suédoise de 1721 et l'occupation de l'Estlandie et de la Livlandie (sud de l'Estonie et nord de la Lettonie) que la ville est fortifiée. En 1809, elle passa sous contrôle de la Russie comme le reste de la Finlande et fut choisie par Saint-Pétersbourg comme capitale du Duché. Le transfert de la capitale de Turku (sur la mer Baltique) à Helsinki (sur le golfe de Finlande) fut décidé par la Russie parce que la seconde était à la fois moins suédisée et plus proche de la capitale russe.

La relative autonomie du Duché de Finlande permit alors à Helsinki de se développer plus facilement que sa voisine estonienne. La comparaison du centre-ville d'Helsinki et de Tallinn montre d'ailleurs assez bien l'essor plus tardif de la seconde : à Tallinn la vieille ville médiévale, à Helsinki le triomphe de l'Art Nouveau.

La Finlande et l'Estonie conquirent leur indépendance à la même période, à l'issue de la Première Guerre mondiale. Dans l'Entre-deux-guerres, les deux capitales jumelles ont beaucoup en commun. Polarisant toutes les deux leurs États respectifs maintenant coupés de l'arrière-pays qui avait fait leur richesse, elles deviennent deux des quatre capitales baltes. Symboliquement les deux pays partagent le même air dans leurs hymnes nationaux, la rivalité portuaire entre Tallinn et Helsinki n'en demeure pas moins forte.

La Guerre froide et le divorce finno-estonien

À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, le Rideau de Fer passe au milieu du Golfe de Finlande et sépare Tallinn et Helsinki pendant cinquante ans. Helsinki va profiter de cet isolement des autres États baltes pour mener une stratégie d'inclusion dans un espace nordique comprenant les États scandinaves et la Finlande.

L'Estonie est rapidement soviétisée par l'URSS et verrouillée. Son port stratégique est étroitement surveillé par Moscou et devient l'une des clefs de la façade maritime baltique (avec Riga, Ventspils, Liepaja et Kaliningrad). Comme le soulignait Pascal Orcier en 2005, « l'économie régionale se trouvait en bonne partie déterminée par la fonction défensive », ce qui a beaucoup handicapé Tallinn.

Les liaisons entre Helsinki et Tallinn sont interrompues ou exceptionnelles. Néanmoins, le nord de l'Estonie continue de recevoir les programmes télévisés et radiophoniques. L'occupation des États baltes va permettre à Helsinki de se développer et de jouer un rôle de plaque tournante entre l'URSS et le camp capitaliste (scandinave et européen). La ville est devenue très cosmopolite : 130 nationalités s'y côtoient aujourd'hui et 9% des habitants n'ont ni le finnois ni le suédois comme langue maternelle.

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De son côté, Tallinn est profondément marquée par l'occupation sur le plan économique, démographique (installation de nombreuses familles russes) et architectural. Pôle fort du couple Helsinki-Tallinn, la capitale estonienne est réduite à un rôle secondaire et en partie provincialisée.

L'indépendance et ses conséquences

L'indépendance de l'Estonie en 1991 va peu à peu transformer la donne. Tallinn garde un certain nombre de handicaps de son expérience soviétique : elle est mal équipée et peu ouverte aux échanges internationaux.

Pourtant, elle garde sa position stratégique sur la route entre Hambourg et Saint-Pétersbourg, les deux grands ports de la Baltique. La remise aux normes de ses quatre ports et ses coûts plus faibles l'ont rendue très attractive. Par ailleurs, l'accès de Tallinn est plus simple que celui d'Helsinki en hiver. Après Saint-Pétersbourg, Tallinn est devenue le second port de la Baltique orientale, mais elle doit composer avec le dynamisme de Primorsk, le nouveau terminal pétrolier russe. En effet, la Russie essaie de réorganiser son commerce pour contourner les ports baltes. Sur les 397 millions de tonnes de pétrole exportées en 2003, la quasi-totalité a transité par les ports de la Baltique rappelle Pascal Orcier.

Helsinki n'a pas tout perdu : ses liaisons terrestres avec Saint-Pétersbourg sont bien meilleures que celles de sa petite sœur estonienne et elle garde un rôle considérable dans la région. Les deux villes coopèrent d'ailleurs à grande échelle, si bien que l'idée d'un tunnel sous le golfe de Finlande est souvent mise en avant. Les échanges sont incessants entre travailleurs estoniens partant pour Helsinki ou Finlandais traversant le golfe pour le week-end ou pour accéder à des services à meilleur prix.

Un nouveau partage des fonctions entre Helsinki et Tallinn, mais aussi Saint-Pétersbourg est en train de s'opérer. La frontière de l'Union européenne dans cette région paraissant très durable, il est probable que cette recomposition sera durable entre Finlande, Estonie et une Russie qui tente de dynamiser ses accès à la Baltique.

Pour aller plus loin

Ailleurs sur le web

  • Site du Conseil des États de la Mer baltique
  • Portail de la ville de Tallinn
  • Portail de la ville de Helsinki

A lire

  • SERRY, A. “La réorganisation portuaire de la Baltique orientale : l'émergence d'une nouvelle région en Europe.” Thèse de doctorat, Université du Havre, 2006. 

Illustration : Trebukov, Pavel. Tallinn_09_001_m1_screen , Janvier 4, 2009. Flickr.