
La Présidente du Parlement serbe Slavica Djukic-Dejanovic a annoncé le 8 février 2010 que l'adoption de la résolution sur Srebrenica serait reportée pour le mois de mars. La résolution en question a divisé la société serbe et montré que le passé récent est encore difficile à assumer.
Un enjeu politique serbe
En 2007, dans le différend qui opposait la Bosnie-Herzégovine à la Serbie, la Cour internationale de Justice a condamné la Serbie pour la non-prévention du génocide à Srebrenica et pour la non-coopération avec le Tribunal pénal international pour l'Ex-Yougoslavie (TPIY). En fait, les autorités serbes n'ont pas encore arrêté et extradé le général Ratko Mladic, responsable du génocide sur 7000 musulmans à Srebrenica en 1995. La non-coopération de la Serbie avec le TPIY a eu des conséquences lourdes pour la Serbie : elle a freiné ses négociations avec l'Union européenne. Les Pays-Bas ont refusé de ratifier l'Accord de Stabilisation et d'Association tant que la Serbie ne coopérait pas pleinement avec le TPIY. Le refus néerlandais a été motivé par l'échec du contingent néerlandais de l'ONU d'assurer la protection des musulmans de l'enclave de Srebrenica. En 2007, les familles des victimes de Srebrenica ont déposé une requête devant les juridictions néerlandaises contre les Pays-Bas et l'ONU pour la non-prévention du génocide. Bien qu'ils n'aient pas été jugés coupables, cet épisode est resté un grand traumatisme pour les Pays-Bas et a mené à la chute du gouvernement néerlandais en 2002, suite à la publication du rapport qui avait mis en évidence les omissions du gouvernement et du contingent néerlandais.
À ce jour, le général Mladic n'a pas été trouvé et arrêté. Le 9 janvier 2010, le Président serbe Boris Tadic, élu en 2008 sur la base d'un programme électoral ayant pour objectif principal l'intégration européenne de la Serbie, a déclaré à Banja Luka, capitale de la République serbe de Bosnie, qu'il serait souhaitable que le Parlement serbe adopte une résolution dont l'objectif serait de condamner le génocide de Srebrenica. Il a déclaré que cette résolution était une obligation envers le TPIY. Ce projet suivait la recommandation du Parlement européen du 15 janvier 2009 de faire du 11 juillet jour de commémoration du génocide.
La Serbie a été encouragée à plusieurs reprises à adopter une telle résolution. La député allemande du Parlement européen Doris Pack a exprimé son espoir que le Parlement serbe adopterait une telle résolution : « L'adoption de la résolution sur Srebrenica est importante pour la Serbie parce que les citoyens serbes doivent comprendre que les crimes avaient été commis par les gens comme Milosevic, Mladic et Karadzic, que c'est néfaste pour l'image de la Serbie dans le monde et qu'il est injuste que tous les Serbes en tirent les conséquences ».
Malgré les encouragements internationaux, la résolution a divisé profondément la société serbe. Les partisans de la résolution, à savoir le Parti libéral démocrate de Cedomir Jovanovic et plusieurs ONG, estiment qu'il s'agit d'une obligation morale pour la Serbie. Elle est nécessaire pour l'amélioration de l'image de la Serbie après son implication dans la guerre en Bosnie et en Croatie dans les années 1990.
Cette position ouverte et sans équivoque est cependant minoritaire. La plupart des hommes politiques de la coalition au pouvoir s'accordent sur le fait qu'il s'agit d'un crime qui nécessite la condamnation, mais sont hésitants sur la qualification du crime par le terme de génocide. Les socialistes déclarent qu'ils doivent d'abord voir le texte de la résolution pour pouvoir prendre une décision. Certains, comme Dragan Markovic du parti « Serbie unique » vont plus loin en refusant même de voter pour la résolution si le terme « génocide » est retenu. Le terme « génocide » est inacceptable pour eux à cause de sa connotation trop forte qui risque de mettre la Serbie au même rang de l'Allemagne nazie. Ils refusent une telle qualification des événements qui ont eu lieu lors de la guerre en ex-Yougoslavie. La résolution représente donc un sujet qui menace de diviser la coalition au pouvoir. Il en va de même pour l'opposition. Aleksandar Vucic, un des leaders du Parti progressiste serbe, autrefois leader du Parti radical serbe (dont le chef Vojislav Seselj se trouve actuellement au TPIY) a déclaré que ce qui s'était passé à Srebrenica était un crime odieux. Pourtant, il a évité d'employer le terme de « génocide ».
La résolution suscite de nombreuses questions sur la forme et sur le fond. L'emploi du terme « génocide » constitue le plus grand enjeu. Les opposants de la résolution estiment qu'en adoptant la résolution qui qualifierait les événements à Srebrenica par « génocide », la Serbie reconnaîtrait sa responsabilité unique pour la guerre en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. À la fin de la semaine du 15 février, une pétition initiée par Ana Milosevic, directeur de l'ONG « Le centre de développement européen » de Venise et signée par une centaine d'intellectuels étrangers, a été envoyée au Président Tadic et aux leaders des partis politiques serbes pour qu'ils renoncent à l'adoption de la résolution. Initiatrice de cette pétition, Ana Milosevic a déclaré avoir commencé cette action parce qu'elle était consciente, en tant que citoyenne serbe, de toutes les conséquences sur le long terme que l'emploi du terme « génocide » pourrait avoir pour le peuple serbe. D'après elle, si les citoyens serbes qualifient eux-mêmes le massacre de Srebrenica de génocide, ils seront probablement condamnés à une réparation envers la Bosnie-Herzégovine. Pour aller plus loin, elle évoque les conséquences dramatiques que cette résolution aurait sur la vérité et la réalité de la guerre en ex-Yougoslavie. L'association des familles des personnes disparues dans les guerres en ex-Yougoslavie demande de ne pas faire de distinction parmi les crimes et les victimes.
Une affaire européenne
Toujours sur le fond, une des revendications est que le texte de la résolution contienne la condamnation de tous les crimes commis dans les guerres des années 1990 et contre les victimes de toutes les nationalités. Il s'agit donc d'égaliser les crimes et de relativiser la notion du génocide. Sur la forme, la question est de savoir s'il y aurait une seule résolution ou deux : une sur Srebrenica et une autre sur le reste des crimes commis en Croatie et en Bosnie-Herzégovine.
Le projet de la résolution a suscité des réactions très négatives en République serbe de Bosnie. Une des craintes est que l'adoption de telle résolution par le Parlement serbe qualifierait la République serbe de Bosnie d'entité génocidaire. Le Premier ministre de la République serbe de Bosnie Milorad Dodik a déclaré qu'il ne faudrait pas faire la distinction parmi les crimes qui avaient lieu et que l'utilisation du terme « génocide » n'était pas nécessaire.
Il est difficile de connaître l'opinion des citoyens serbes. Certains quotidiens, comme le Blic, écrivent que le Conseil national pour la coopération avec le TPIY a commandé un sondage sur l'opinion des citoyens serbes. D'après cette source, le sondage a montré que 46.2 % des citoyens étaient en faveur de l'adoption d'une résolution commune qui condamnerait tous les crimes commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, alors que 20.3% des citoyens étaient en faveur de l'adoption des deux résolutions distinctes : une sur Srebrenica et une autre sur le reste des crimes commis pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine et en Croatie.
Pourtant, la Présidente du Parlement serbe Slavica Djukic-Dejanovic a déclaré que les sondages ont montré que 67% des citoyens serbes condamnaient les crimes à Srebrenica. Pourtant, elle n'a pas précisé qui a effectué le sondage cité.
Le sort de la résolution reste pour l'instant incertain. Une initiative d'au moins 84 députés est nécessaire pour la convocation d'une session extraordinaire du Parlement. La presse serbe annonçait la date du 2 février pour la tenue de la session, mais, faute de nombre nécessaire de députés, elle a été reportée pour le début du mois de mars.
Le climat tendu que le projet de la résolution a créé en Serbie montre que les cicatrices de la guerre sont encore très fraîches et que l'affrontement avec le passé n'est pas facile. Attendons le mois de mars pour voir la suite du débat.
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Les Serbes, la Serbie, les Balkans occidentaux et le discours des grandes puissances
- Bosnie-Herzégovine : un Etat théorique ?
Source photo : “A woman visiting a grave in Srebrenica". sur Flickr