Les différentes crises gazières opposant l’Ukraine et la Russie en janvier 2006 et 2009 ont fait prendre conscience des risques liés à la sécurité gazière de l’Union européenne (UE) du fait de la double dépendance vis-à-vis du gaz russe et de l’Ukraine comme pays incontournable de transit. Récemment, sous la pression politique de l‘UE, l’Ukraine s’est engagée à réformer son secteur gazier et à moderniser son système de gazoducs.
La dépendance gazière vis-à-vis la Russie: quels défis pour la sécurité gazière de l’Ukraine et de l’UE?
Étant le berceau de l’industrie gazière soviétique de l’époque, l’Ukraine demeure un producteur significatif de gaz (21,2 m3 en 2010). En même temps, la consommation totale ukrainienne dépend à 80% des importations en provenance de Russie ou contrôlées par la Russie et originaires d'Asie centrale. Cette forte dépendance se trouve au cœur des défis internes auxquels est confrontée l'Ukraine. Premièrement, les importations de gaz sont très élevées et ne sont pas diversifiées, ensuite le prix du gaz payé par l’Ukraine représente un coût financier, et social considérable qui dégradent la balance des paiements et le taux de change, pesant ainsi sur la stabilité monétaire du pays. De plus, l’augmentation du prix de gaz freine la compétitivité et le développement d’une économie ukrainienne qui reste fortement dépendante du gaz. Le prix élevé du gaz bouleverse ainsi la politique sociale de subvention du gaz à la population ukrainienne.
En étant le plus grand réseau de gazoducs au monde, l’Ukraine reste aussi un pays de transit incontournable pour l’exportation du gaz de la Russie et l’approvisionnement en gaz de l’UE. L’Ukraine achemine près de 80% des flux gaziers provenant de Russie vers l'UE. Dans le futur, l’Ukraine conservera ce rôle de pays de transit incontournable dans le transport de gaz vers l'Europe même après la construction des deux nouveaux projets de gazoduc, North Stream et South Stream, contournant le territoire ukrainien. Dans ces conditions, la modernisation du système gazier ukrainien constitue un défi supplémentaire qui pèse sur la sécurité énergétique de l'Ukraine, mais aussi de l'UE dont 50% du gaz passe par l’Ukraine.
Modernisation du système gazier de l’Ukraine: une partie de la réponse
L’UE a développé une nouvelle coopération avec l’Ukraine pour moderniser le système gazier ukrainien. Dans le cadre du programme d'assistance technique INOGATE, la Commission européenne s’est notamment engagé à investir un montant de 2,5 milliards € entre 2009 et 2015 pour moderniser le réseau ukrainien afin qu'il puisse continuer à acheminer les volumes actuels. La conférence internationale conjointe UE-Ukraine sur l'investissement du réseau ukrainien de transit de gaz du 20 mars 2009 a relancé la discussion sur les réformes nécessaires afin d’assurer la durabilité, la fiabilité, l'efficacité et la transparence des infrastructures gazières ukrainiennes. De plus, une enveloppe de 2 milliards de dollars financés par la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement, la Banque Européenne d’Investissements et la Banque mondiale est octroyée pour soutenir la modernisation du réseau ukrainien de gazoducs. Les travaux de modernisation du système gazier ukrainien seront lancés en juin, avec la reconstruction du gazoduc Urengoi-Pomary-Uzhgorod comme première étape de cette modernisation. Après la modernisation, le système ukrainien pourrait augmenter sa capacité d'approvisionnement en gaz d'au moins 20 milliards de mètres cubes de gaz par an.
Parallèlement, la Banque européenne de reconstruction et de développement, la Banque mondiale, le FMI et l’UE se sont mis d’accord le 17 juillet 2009 pour émettre des prêts afin d'aider Kiev à payer le gaz russe afin de prévenir l’émergence d’une nouvelle crise susceptible de menacer l’approvisionnement de l’EU. Le Fonds monétaire international a conditionné l’octroi de ces crédits à l’augmentation progressive des prix subventionnés du gaz au secteur public. Ce soutien financier a été également conditionné à la conduite par Kiev de réformes du cadre réglementaire régissant le secteur gazier en Ukraine.
Quel bilan pour la reforme du marché gazier en Ukraine, entre les belles promesses et l’impact réel ?
Pour remplir ces obligations, l’Ukraine a effectivement entamé des réformes du marché gazier visant à améliorer la transparence ainsi que la capacité à « européaniser » sa régulation et son organisation en adoptant une législation européenne sur l'énergie. La réforme du marché gazier ukrainien s’inscrit dans le cadre de la libéralisation du marché gazier de l’UE entamée dans les années 90 pour créer un marché intégré de l’énergie. L'objectif de cette libéralisation était d'ouvrir progressivement à la concurrence les marchés du gaz en renforçant ainsi l'efficacité et la compétitivité du secteur énergétique. La libéralisation du secteur gazier a permis d’éliminer la corruption et l'opacité de ce marché, et servi de base pour la croissance des revenus en Ukraine. Cette réforme sera un pas vers l'intégration pratique de l'Ukraine dans le secteur énergétique du marché intérieur de l'UE et renforcera en même temps la sécurité énergétique de l'Ukraine et les 27.
Dans cette direction, l’Ukraine a accéléré les négociations, menées depuis 2006, pour l’adhésion à la Communauté de l'énergie européenne en adoptant une législation conforme aux règles de l'UE en la matière. Entré en vigueur en 2006, le traité instituant la Communauté de l'énergie engageait précisément les parties à libéraliser leurs marchés de l'énergie et à appliquer des mesures juridiques essentielles de l'UE dans les domaines de l'électricité, du gaz, de l'environnement et des énergies renouvelables. Après l'adoption de la nouvelle loi ukrainienne sur le gaz en juillet 2010, le protocole d'adhésion de l’Ukraine à la Communauté de l’énergie a pu être signé en étendant ainsi le marché intérieur de l'énergie de l'UE encore plus loin au sud-est de l'Europe et renforçant ainsi sa sécurité d'approvisionnement.
Source carte : Energy Community
Dans le cadre de cette nouvelle législation adoptée en Ukraine, Naftogaz procède à la séparation patrimoniale (unbundling) de son activité de transit de gaz vis-à-vis de ses autres activités de transport du gaz, de distribution et de vente à partir de 2012. En Ukraine, cette entreprise nationale Naftogaz possède précisément tout le système des pipelines par le biais desquels le gaz naturel transite chaque année de la Russie vers l’Europe. Par conséquent, une filiale de Naftogaz Ukraine, Ukrtransgaz, devenait un opérateur indépendant qui pourra accéder aux réseaux de tous les fournisseurs de gaz sur la base de conditions commerciales transparentes.
En outre, le texte de la nouvelle loi sur le gaz prévoyait également l’augmentation des prix du gaz pour éliminer graduellement les subventions publiques. En effet, Naftogaz achète annuellement 30 à 40 milliards de tonnes de mètres cubes à la Russie pour la population, à un prix fortement subventionné. Les ménages ukrainiens paient ainsi moins pour le gaz qu’ils consomment que ce que Naftogaz paie à la Russie. Ce prix subventionné s’ajoute aux pertes régulières de la société (2,7 milliards de dollars en 2010) qui sont ensuite couvertes par des revenus du gouvernement ukrainien. Pour remédier à cette subvention croisée, l’Ukraine relevait les prix du gaz à usage domestique en faisant respecter le paiement des factures, afin de renforcer les finances de sa compagnie gazière nationale Naftogaz. Dans le futur, les consommateurs ukrainiens pourraient être obligés de payer leur gaz à l’avance. Les ménages pourraient faire face à des tarifs plus élevés et les entreprises qui ne paieraient pas leurs factures pourraient en être privées.
Malgré toutes ces réformes entamées récemment, l’impact réel de la nouvelle législation est mitigé. Les raisons sont imputables principalement aux groupes financiers, industriels et politiques qui restent en partie opposés à cette réforme. La séparation des activités de Naftogaz n’aura peut-être pas d’impact puisque Naftogaz mène déjà différentes activités à travers des filiales qui sont légalement des entités distinctes. Enfin, les institutions ukrainiennes ne fonctionnent pas efficacement et ne suggèrent, en ce moment, aucune initiative supplémentaire pour mettre en œuvre la nouvelle loi sur le gaz.
Conclusion
Les réponses politiques pour la sécurité des approvisionnements gaziers européens et ukrainiennes mises en œuvre récemment en Ukraine sont considérables. Avec l’assistance des institutions financières internationales, la coopération entre l’UE et l’Ukraine pour moderniser le système gazier ukrainien s’est récemment concrétisée, à travers des prêts accordés à l’Ukraine. D’autre part, la libéralisation du marché gazier en Ukraine avec le nouveau cadre légal a établi des règles du jeu qui libèrent en partie le secteur gazier ukrainien des intérêts individuels et claniques en le conformant aux actes législatifs-clés de l’UE dans le domaine du gaz. Cependant, avant le début de l’année 2012 il est encore tôt pour se prononcer sur la mise en oeuvre efficace de ces avancées législatives sur le terrain. En particulier, reste à savoir si la séparation patrimoniale de Naftogaz sera effectivement mise en place et si la société gazière Naftogaz pourrait être radicalement restructurée dans un contexte d’une économie qui reste gravement touchée par la crise économique.
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- La politique énergétique russe : reste d’empire ?
- Les pays et régions du nouvel « Entre-deux »
- Où va la Communauté des États Indépendants (CEI) ?
À lire
- L’Ukraine en route vers une réforme gazière, Euractiv, 21 juillet 2009
- EYL-MAZZEGA M.-A., Ukraine: la vulnérabilité gazière à la merci des réformes, Revue Regard sur l’Est, 1 octobre 2009
- POP V., EU cautiously backs Ukraine's gas reform, EUobserver, 28 juillet 2010
- NIES S., Ukraine: un pays de transit dans l'impasse ?, Paris, les études, Ifri, décembre 2009
Source photo : Pipeline - Dnepropetrovsk, Ukraine, par gTarded, sur Flickr