Sandra Kalniete a été le leader du Front Populaire de Lettonie (1988-1991), le mouvement indépendantiste et anti-soviétique. Fille de parents déportés en Sibérie, elle est ensuite devenue Ministre des Affaires étrangères et Commissaire européen. Elle est aujourd'hui députée européenne.
Comment avez vous décidé de vous engager contre le régime communiste ?
J'ai passé une grande partie de ma vie adulte, jusqu'à mes 35 ans, sans me poser de question. J'avais eu envie de faire des études d'histoire, mais j'avais finalement opté pour l'histoire de l'art car c'était un domaine moins contrôlé où je ne risquais pas de devoir transiger avec mes convictions. J'avais conscience que le régime était oppressif, mais il n'y avait pas de lumière au bout du tunnel, je voulais juste vivre selon ma conscience, comme me l'avaient enseigné mes parents.
Jusqu'en 1985, je ne me posais pas trop de questions. C'est avec le début de la Perestroïka que je me suis mise à réfléchir à tout ça. En 1988, quand nous avons fondé le Front Populaire, c'est vite devenu un mouvement de masse. Mon père, découvrant ce qui se passait, a conseillé à mon mari de me cloîtrer. En effet, mes parents avaient connu la Sibérie, et vécu l'expérience de la destruction de l'humanité par le régime. Ils avaient peur du système, alors que moi, je n'avais jamais été inquiétée ni invitée au KGB pour interrogatoire. Vous savez, un régime totalitaire est toujours fondé sur l'autocensure. Nous avons senti qu'il était possible de changer les choses par des non-dits, par une sorte de mécanisme invisible. J'ai toujours été frappée par cette pensée de Tocqueville, que les régimes autoritaires sont en danger quand ils commencent à se réformer. Alors le peuple n'est plus contrôlable. L'information devient accessible à tous, les gens se réveillent et arrêtent de s'autocontrôler.
Dans les pays Baltes, ce mouvement a été rapide parce que beaucoup voulaient l'indépendance, ça a été le ciment de la contestation. Pour les russophones, c'était un peu différent, le régime en tant que tel était l'ennemi principal, ils étaient par nature plus cosmopolites.
Finalement, comment pourrait-on définir la dissidence ? Vous sentez-vous dissidente ?
Selon moi, le dissident, c'est une personne qui dans un régime comme le régime communiste a le courage d'insister publiquement pour défendre ses principes. Je ne me considère pas comme une dissidente. Les grands dissidents sont plutôt à chercher à l'époque brejnévienne, ils risquaient leur vie.
Dans mon cas, c'était un peu différent. C'était dangereux, certes, mais je méprisais le danger puisque le Front Populaire a été un immense mouvement collectif. J'étais bien sûr parmi les pionniers de ce mouvement, mais nous étions nombreux. Là est la principale différence, nous avons été à l'origine d'un acte de solidarité. Nous ne risquions pas autant qu'eux la prison ou l'internement psychiatrique.
Aujourd'hui, quel message portent-il pour l'Europe ? Certains, comme Soljenitsyne ou Walesa semblent avoir été déçus par la démocratie.
Je me demande si leur combat n'a pas été trop courageux et créateur d'une pression trop extraordinaire. La majorité d'entre eux n'a jamais vraiment pensé la démocratie en action. Ils ont eu le courage exceptionnel d'hommes et de femmes seuls contre tous. Or, la démocratie repose sur le compromis. C'est ce qui leur a été peut-être difficile à accepter.
Leur message pour l'Europe est indispensable : il ne faut jamais renoncer à sa liberté et à sa conscience. Ne jamais abandonner ses principes.
Pour aller plus loin :
Sur Nouvelle Europe:
- Le dossier de novembre 2009 : La dissidence, quel passé pour quel avenir ?
- Sandra Kalniete revenait longuement pour Nouvelle Europe en mars 2007 sur son parcours et la place des femmes dans la vie politique lettone
A lire
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KALNIETE, S. En escarpins dans les neiges de Sibérie. Traduit par V. SKUJINA. Paris: Ed. des Syrtes, 2003.
L'histoire de la déportation de ses parents en Sibérie.