Alors que l’Union européenne et les Etats-Unis font front commun pour accepter de reconnaître une future indépendance du Kosovo, la Russie entend s’y opposer. Signe d’une solidarité slave bien autant que d’une « nécessité » géopolitique pour la Russie.Avant d’aller plus loin dans l’observation de la position russe, nous devons nous intéresser à la manière dont la communauté internationale a appréhendé le cas kosovar au cours de ces dernières années.
La communauté internationale, de l’anti-indépendantisme à la résignation
L’indépendantisme des Albanais du Kosovo a une longue assise historique. Cependant, ce n’est que dans les toutes dernières années que la communauté internationale a pu envisager de manière sérieuse l’éventualité de l’indépendance de cette région. Et elle le fait bien plus par pragmatisme que par souhait réel de voir un nouveau micro-Etat sur la scène internationale.
Ainsi, lorsque la Commission Badinter a remis son avis sur la situation yougoslave en 1991, elle soulignait que seuls les territoires correspondant à des républiques fédérées yougoslaves étaient en droit de réclamer leur indépendance. C’était là une position qui rassemblait à peu près tous les Etats les plus importants sur la scène internationale.
Or le Kosovo n’a jamais eu ce statut. Il possédait certes une autonomie en tant que « province », mais restait attaché à la république fédérée de Serbie. Durant l’existence de la Yougoslavie communiste, le Kosovo a connu des degrés d’autonomie divers. La Constitution de 1974, largement fédérale, lui conférait une grande liberté de gestion de son territoire. Les années 1980 ont quant à elles vu une recentralisation du pouvoir au niveau de Belgrade.
Si les tensions n’ont cessé d’agiter l’actuel sud de la Serbie, elles sont apparues sur l’agenda international en 1999 avec l’éclatement d’un nouveau conflit qui a dès lors donné une autre place au Kosovo, celle d’un protectorat sous tutelle internationale, appartenant formellement à la Serbie, mais géré en pratique par la MINUK, des forces de paix extérieures au pays.
Une situation provisoire qui dure depuis huit ans, sans que les tensions profondes soient apaisées. La Serbie souhaite bien entendu conserver ce territoire, quitte à lui offrir une autonomie large, alors que la communauté albanaise revendique une indépendance, compte tenu notamment de sa supériorité démographique au Kosovo.
Les dissensions de la « Troïka »
Le 10 décembre prochain, l’émissaire de l’ONU Marti Ahtisaari remettra son rapport sur l’avenir souhaitable de la région. Il est escompté que les élites politiques du Kosovo déclarent son indépendance unilatéralement, sans bien sûr obtenir l’aval de la Serbie – les précédentes négociations ont en effet toutes échoué. Ce sera la première fois qu’une telle alternative sera envisagée par la communauté internationale dans le cadre de cette région.
C’est bien le terme « envisager » qui est actuellement au goût du jour. En effet, il est peu probable que l’indépendance soit si facilement entérinée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. La déclaration d’indépendance peut bien avoir lieu, s’il n’y a pas de reconnaissance de la part de la communauté internationale, elle reste un geste symbolique. Et qu’un conflit armé vienne s’y ajouter, le droit de non-ingérence ne vaudra que pour un Etat reconnu par l’ONU.
Les Etats-Unis et la plupart des membres de l’Union européenne ont infléchi leur position vers une acceptation sans enthousiasme de l’indépendance kosovare. Sans enthousiasme, car nul ne sait comment l’on va pouvoir faire un Etat de cette région qui semble davantage se conformer aux critères de définition d’un Etat échoué. Pourtant, ces deux acteurs de la troïka décisionnaire de l’avenir du Kosovo estiment que le statu quo n’est pas une solution envisageable à long terme et que le cheminement vers l’indépendance est désormais inéluctable.
Or, si les Etats-Unis et l’Union européenne ne devraient pas montrer de réticences fortes à la reconnaissance de l’indépendance kosovare, la Russie ne compte pas avaliser un tel choix. Elle a d’ores et déjà exprimé qu’en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, elle mettrait son veto à l’approbation de cette indépendance. Quelles sont les raisons qui motivent cette décision ?
Un appui de longue date aux nations slaves orthodoxes
Une première explication tient à l’alliance traditionnelle de la Russie aux nations slaves et plus précisément orthodoxes d’Europe, et notamment la Serbie. Bien que les Eglises orthodoxes soient autocéphales, il existe une certaine solidarité des Russes envers les membres des « Eglises filles ».
L’amitié particulière qui unit la Russie à la Serbie n’est pas une histoire récente. Lorsque les Serbes se révoltaient contre l’empire ottoman pour fonder leur propre royaume au XIXe siècle, les Russes soutenaient déjà cette démarche. L’alliance se poursuit quand en 1914 ils fondent une alliance avec la France et la Serbie.
De manière générale, la Russie a toujours soutenu les Serbes, même si le renfort n’est pas nécessairement à hauteur des résultats escomptés. Durant les conflits de dissolution yougoslave, Milošević avait tenté plusieurs ententes avec Moscou pour éventuellement recevoir un soutien armé de la part des Russes. Cependant, la voix diplomatique de Moscou sera peu entendue. Lorsque Belgrade est bombardée, les Russes ont beau claquer la porte du Conseil, les frappes ne seront pas empêchées.
Enfin, les deux pays partagent une communication entre leurs différents réseaux mafieux, ce qui n’est certes pas aussi romantique que l’amitié des peuples mais constitue néanmoins un lien incontestable.
La position russe va au-delà d’une simple solidarité slave
Bien plus qu’une question de solidarité, l’attitude de Moscou trouve un parallèle dans sa propre politique intérieure. La défense de l’intégrité territoriale serbe est similaire à la position russe, sur la Tchétchénie notamment, mais également sur d’autres cas voisins.
Ainsi, Vladimir Poutine s’oppose à la vision exprimée par les membres du G8, selon laquelle l’indépendance du Kosovo peut se justifier parce que cette région est un cas unique. M. Poutine a déclaré que le cas du Kosovo est en cela assimilable à l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et la Transnistrie qui demandent toutes leur indépendance depuis de nombreuses années.
Céder pour le Kosovo reviendrait implicitement à donner le feu vert à l’indépendance des peuples du Caucase, ce qui bien entendu va à l’encontre des intérêts de la Russie. Créer un précédent serait donc une menace potentielle pour la Russie.
L’argumentaire russe se fonde sur le principe du droit international de non-ingérence et d’intangibilité des frontières d’un Etat souverain pour faire certes œuvre de solidarité mais également pour ne pas s’engouffrer dans un engrenage de jurisprudence qui risquerait de se retourner contre elle.
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Kosovo: "dessiner, c'est gagner" ... un nouveau drapeau
- Le Kosovo reste dans les mains de la Serbie
- Des « Balkans occidentaux » aux confins européens : la dialectique Russie-Union européenne
Sur Internet
- AFP : Kosovo: L'UE veut négocier les conditions de la proclamation d'indépendance, article du 17 novembre 2007
- La Russie contre une indépendance unilatérale du Kosovo, article d'Info-Grèce du 14 novembre 2007
- Ria Novosti : Kosovo, la Russie toujours en faveur d'un règlement juridique de la question, article du 22 novembre 2007
- Euractiv : La Russie se montre intransigeante sur l'indépendance du Kosovo, article du 2 juillet 2007
- La nouvelle OTAN, alliée du pouvoir russe en Tchétchénie, Alain JOXE, pour CIRPES - Le débat stratégique, n°49, mars 2000
- Russi actu : Scrutin au Kosovo, article du 7 novembre 2007
- Amplitud de miras : Kosovo, état des lieux, article du 28 octobre 2007
- Courrier des Balkans : Milosevic chercherait un asile politique, archive du 29 septembre 2000