
En 2015 la thématique des migrations vers l'Europe revient au premier plan des agendas médiatiques, suite aux drames en Méditerranée, où des centaines de migrants ont fait naufrage. D'où ces migrants proviennent-ils et quelles routes sont empruntées pour parvenir en Europe ? Quelle politique européenne depuis janvier 2015 dans la gestion de ces migrations ?
La Méditerranée est un lieu de transit migratoire important; c’est la route la plus empruntée à destination de l’Europe. L’origine des migrants y est double. D’une part, les réfugiés de la guerre civile en Syrie, qui viennent de l’est de la Méditerranée et passent par le Liban et la Turquie pour rejoindre l’Europe, souvent par la Grèce. Ce phénomène est relativement récent, encouragé par le contexte de crise. D’autre part, il existe une voie migratoire plus ancienne au sud et à l’ouest de la Méditerranée impliquant des populations provenant d’Afrique du Nord et surtout d’Afrique sub-saharienne.
Bien que ces phénomènes migratoires aient pris une ampleur dramatique au cours des derniers mois, notamment du fait de la crise syrienne, les mécanismes ne sont en revanche pas récents. Les réponses européennes à apporter à cette problématique doivent donc tenir compte du cadre général des relations entre l’Europe et l’Afrique, et des problèmes inhérents à cette dernière, ainsi que de la configuration actuelle des équilibres et déséquilibres géopolitiques régionaux.
Routes migratoires en Afrique sub-saharienne
Il est possible de distinguer plusieurs étapes du voyage des migrants provenant d’Afrique sub-saharienne. Ces migrants africains ont des origines diverses et migrent pour des motifs hétéroclites, souvent liés à leur pays d’origine. Un premier constat à observer serait que les populations migratoires des Etats ayant un passé colonial ont tendance à se diriger vers les anciennes métropoles européennes (principalement les pays d’Afrique de l’Ouest vers la France), du fait de liens bilatéraux souvent encore prégnants et des facilités qu’engendre une langue commune. C’est le cas de deux pays d’Afrique de l’Ouest francophone, le Sénégal et le Mali. Pour sa part, l’émigration de population malienne est directement liée au conflit dans le nord du pays depuis 2012 qui a conduit à une instabilité accrue. En ce qui concerne le Sénégal, ce sont plutôt le manque d’opportunités économiques et la proximité géographique (Îles Canaries) qui incitent à faire le voyage. Le Nigéria est également un pays d’Afrique de l’Ouest connaissant une forte émigration vers l’Europe : en effet, le conflit qui oppose le mouvement djihadiste de Boko Haram à l’Etat nigérian dans le nord-est du pays provoque une instabilité et une insécurité sources d’émigration. Enfin l’Erythrée, petit Etat de la corne de l’Afrique, connaît une émigration massive de sa jeunesse due à une situation domestique catastrophique : l’ONG Amnesty International a notamment rapporté des emprisonnements abusifs, accompagnés de torture.
Cette émigration sub-saharienne prend trois routes principales. Une première, à l’ouest, passe par le Sénégal, la Mauritanie, le Sahara occidental et enfin le Maroc pour rejoindre les Îles Canaries (appartenant à l’Espagne) ou les enclaves espagnoles en territoire marocain de Ceuta et Melilla. Cette route, assez ancienne, est de plus en plus surveillée et connaît ainsi un trafic en diminution. Une deuxième route voit des flots de migrants des différents pays d’Afrique occidentale se rejoindre au « carrefour d’Agadez », ville saharienne du centre du Niger. La troisième route de migrants, provenant essentiellement de la corne de l’Afrique (Erythrée, Somalie, Soudan), passant par le Soudan et le Tchad, rejoint également Agadez ou se dirige directement vers la Libye.
Le rôle central de la Libye dans le développement des routes migratoires sahéliennes
La Libye est, en effet, le carrefour majeur des migrations africaines de ces dernières années. C’est le couloir le plus simple pour se diriger vers l’Europe. La chute du régime de Mouammar Kadhafi, consécutive à l’intervention militaire de l’OTAN en 2011, a eu un effet décisif sur l’ensemble de la région et donc sur les routes migratoires.
Premièrement, cette chute a eu pour conséquence l’effondrement de l’Etat libyen et une guerre civile toujours en cours entre milices révolutionnaires et islamistes. Le sud du pays, et donc ses frontières, n’est plus sujet à un contrôle strict. L’Union a lancé une mission pour aider à résoudre ce problème. Nommée EUBAM Libye (EUBAM = European Union Border Assistance Mission), cette mission civile consiste essentiellement à conseiller les autorités libyennes dans la gestion de leurs frontières. Malgré cette initiative, la frontière libyenne avec le Niger, le Soudan et le Tchad, longue de 1790 km, en plein désert du Sahara, reste poreuse.
Deuxièmement, la chute du régime a conduit des milliers de soldats et de mercenaires à fuir la Libye vers le sud, emportant nombre d’armes avec eux. Cela a notamment eu pour conséquence le renforcement des mouvements djihadistes, à l’image d’AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique), au Sahel, provoquant d’autant plus d’instabilité. Le nord des pays sahéliens, comme le Mali et le Niger, a toujours été difficilement contrôlable, au regard des conditions géographiques et climatiques difficiles (immensité désertique ou montagneuse du Sahara). La résurgence des mouvements indépendantistes touaregs et l’émergence des mouvements islamistes armés a conduit à une réelle perte de souveraineté de ces Etats dans leur partie septentrionale. La faiblesse militaire de ces Etats ne leur permet pas de contrôler de manière effective ces immenses territoires et de lutter contre les groupes armés. Le Sahara dans les Etats sahéliens et en Libye est donc une zone de non-droit, sans Etats, cela favorise ainsi grandement les migrations et les trafics en tous genres.
Enfin, Mouammar Kadhafi jouait un rôle régulateur sur les migrations à destination de l’Europe, comme l’attestait l’accord signé en 2008 avec le Président du Conseil des ministres italien de l’époque, Silvio Berlusconi, qui prévoyait, outre des réparations pour l’occupation coloniale et un renforcement de la coopération économique et énergétique, des efforts de la Libye contre l’immigration clandestine. Pour ces différentes raisons, la Libye, et ses voisins du sud, constituent maintenant la route migratoire par excellence. Elle constitue la dernière étape vers l’Europe mais la situation peut y être catastrophique pour les migrants. Les témoignages de certains migrants ayant franchi la Méditerranée parlent de violences en tous genres (passages à tabac, viols, persécutions religieuses, etc.). Les passeurs ont en effet un pouvoir presque total sur les migrants, du fait de leur armement et de l’inexistence de l’Etat. Cette situation humanitaire pousse un grand nombre de migrants à tenter la traversée de la Méditerranée dans des embarcations totalement inadaptées, ayant souvent des conséquences dramatiques.
La dernière étape du périple des migrants est aussi la plus médiatisée. De l’arrivée à Lampedusa aux naufrages, les caméras européennes ne filment que la dernière partie d’un voyage de plusieurs milliers de kilomètres pour certains. Les incertitudes et le manque de possibilités d’observation des conditions des migrants durant les étapes précédentes (Libye, Sahara) ne permettent pas de tirer un bilan clair de ce que doivent affronter les migrants pour parvenir à la Méditerranée. Il apparaît, en revanche, que la situation humanitaire de ces migrants est désastreuse de leur point de départ à leur point d’arrivée.
Quelles décisions politiques de l’Union européenne depuis 2015 ?
L’Union européenne tente d’agir sur ces phénomènes. Le budget de la mission « Triton » de Frontex (l'agence européenne de contrôle des frontières extérieures) est passé de 2,9 millions à 9 millions d'euros en avril 2015 afin de mieux contrôler cette « frontière » méditerranéenne. Cette mission souffre cependant de carences humanitaires et d'un manque de personnel de santé, ne permettant pas de réagir efficacement aux naufrages. Ce sont les garde-côtes italiens qui prennent le relais sur ce point, la mission Triton reposant uniquement sur un contrôle de la frontière.
La deuxième réaction à ce phénomène de migration qui s’intensifie réside dans les « quotas de réfugiés ». En effet, les Etats qui « reçoivent » les migrants (Italie et Espagne essentiellement) souhaitent une solidarité des autres pays européens sur la répartition de ces migrants. La Commission a donc proposé un système de quotas en fonction de la population de chaque Etat. Il s’agit de répartir plus équitablement le poids des migrants entre les pays du sud de l’Europe en première ligne et pays du nord, et donc de faire appel à une solidarité entre les Etats-membres. Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, explique notamment sur Twitter lors de la proposition d’un système de quotas : « Nous devons être plus solidaires entre nous ». Les rejets du Royaume-Uni, de la France, de la Hongrie et de la Pologne ont enterré le projet. Le Conseil européen de juin 2015 a proposé un système de volontariat pour l’accueil des réfugiés, sans suites pour l’instant.
Les questions traitées au Conseil européen se penchaient sur le cas des « réfugiés » mais les migrations venant d’Afrique sont diverses. Il existe différentes routes migratoires, différentes origines et les raisons des migrations ne sont pas homogènes. Certains fuient une situation humanitaire catastrophique ou une guerre civile. Certains cherchent des opportunités économiques absentes dans leurs pays. L’image des migrants africains pauvres reste très prégnante en Europe, or nombre de migrants sont des personnes éduquées, ayant fait des études, parfois en Europe, et désirant accéder à un emploi décemment rémunéré.
Les causes de ces migrations et les moyens de parvenir en Europe sont diverses, les solutions doivent probablement l’être également. Le manque de solidarité entre les Etats du nord de l’Europe (à l’exception notable de la Suède, qui a proposé de recueillir des réfugiés syriens) et les Etats « receveurs » des migrants soulignent quelques failles de la cohésion entre Etats européens. Ce système de quotas ne résout, en revanche, rien au problème migratoire en lui-même. Certains proposent de fermer plus encore les frontières, ce qui ne constitue absolument pas un frein aux migrations en direction de l’Europe mais accentue plutôt les conditions catastrophiques des migrants en Méditerranée. Les milliers de morts depuis plusieurs années en Méditerranée rappellent constamment cette difficulté d’accès au continent. Pour tenter d’avancer sur cette question, il semble également qu’une approche plus large incluant une réflexion sur les problèmes structurels des foyers d’émigration soit nécessaire. Il conviendrait donc de se pencher sur des enjeux cruciaux situés en amont des migrations (guerre au Moyen-Orient, conditions humanitaires catastrophiques en Afrique sub-saharienne, manque d’opportunités économiques, etc.). Enjeux sur lesquels l’Union européenne gagnerait à se coordonner pour apporter une réponse plus adaptée à ces phénomènes de migrations.
Aller plus loin
Sur Nouvelle Europe :
- Dossier du mois de juillet 2015 : Union européenne et Afrique : tour d'horizon
Ouvrages :
- FALL, Papa Demba, BOCHACA, Jordi Garreta. Les migrations africaines vers l’Europe. Entre mutationset adaptations des acteurs sénégalais. 2012 : Avitech Impressions, Dakar
Sur internet :
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« Eritrea : Ending the Exodus ? » Rapport du International Crisis Group. 8 août 2014
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« Torture in Eritrea : « Every night you hear shouts and cries of people being beaten ». Amnesty International. 21 juin 2013
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« Le Niger : la croisée des routes migratoires entre l’Afrique et l’Europe ». EurActiv. 15 juin 2015
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« Libye : comment les migrants sont poussés à traverser la Méditerranée ». Jeune Afrique. 11 mai 2015
Crédit image : Rescue operation in the Mediterranen sea between Malta and Africa, 2008, flickr
et : "In 2012, more than 2000 migrants died in the Mediterranean sea", Denis Bocquet, Paris, 2014, flickr