Plusieurs hommes ont pensé l’Europe, et ce depuis les débuts de l’histoire. Ces idées se sont traduites dans la mythologie pour expliquer notre monde, mais surtout, depuis le 18e siècle, ils l’ont pensé autrement : organisée, politique, unie. Divers essais ont marqué l’histoire de l’idée d’Europe tel Kant en 1795 et son projet de paix perpétuelle, ou Saint-Simon qui pensa en 1814 la création d’un parlement européen placé au-dessus des parlements nationaux. Un siècle plus tard, en 1923, arrive un homme aux origines multiples, le comte Richard Nikolaus de Coudenhove-Kalergi qui propose dans cette période trouble de l’entre-deux-guerres, un projet de fédération paneuropéenne.
On peut se demander comment au cœur des années 1920, alors que des Etats se déchirent sur des questions de frontières et de réparations de guerre, comment l'on est européen, et surtout ce que signifie « se sentir européen ». La question se pose d’ailleurs encore aujourd’hui.
Un européen de sang et d’esprit.
Le cas de Coudenhove-Kalergi est ici très particulier : sa famille représente à elle seule toute l’Europe. Pour commencer, il est né en 1894 à Tokyo au Japon d’un père diplomate austro-hongrois et d’une mère japonaise. On retrouve dans sa famille des racines crétoises et brabançonnes, ce qui correspond aujourd'hui à une province de la Belgique. Mais c’est à Constantinople que l’on retrouve les premiers membres de sa famille, des descendants de l’empereur byzantin Phocas. Plus tard, un autre apparaît à la cour de Marie-Antoinette, d’autres choisirent Venise. Les parents de Coudenhove-Kalergi quant à eux viendront s’installer en Bohême, là aussi en zone frontalière entre la Bavière et l’Autriche.
Il y reçut une éducation européenne. Tout son entourage était Europe : un précepteur allemand, des gouvernantes anglaise et française, une dame de compagnie hongroise, un secrétaire bavarois, un administrateur tchèque, des professeurs russes et turcs, ce dernier étant un albanais musulman. Cependant son éducation européenne ne s’arrête pas là. A 14 ans, il rejoint le Thérésianum, une institution qui prépare les fils de la noblesse européenne et internationale aux carrières diplomatiques, de l’armée et du fonctionnariat. Il y côtoya toutes les nationalités, et pas seulement européennes : il y rencontra entre autres des hindous, des Egyptiens et des Chinois en plus des Européens provenant de tout le continent. Le huis clos dans lequel ces étudiants se sont retrouvés les a empêché de vivre l’évolution politique de leur pays et les crises internationales qui sévissaient. En effet, ils n’avaient pas accès à la presse. Ainsi, au sein de cette institution, la notion de nationalité était secondaire et celle de patriotisme inexistante.
La naissance de Pan-Europe.
Par la suite, passionné de philosophie, il intègre l’université de Vienne de laquelle il sort docteur en 1917. À la fin de la Première Guerre mondiale, il prend la nationalité tchèque et commence à réfléchir sur l’état de l’Europe, sur la question européenne et la nécessité de créer un nouvel ordre européen. Il est convaincu que la notion de paix est ici centrale, que c’est par elle que l’esprit européen pourra naître en chacun de ses habitants. Cependant, les plaies de 1914-1918 sont encore béantes et la notion d’Europe se résume à un continent meurtri et divisé.
En 1922, il lance un premier appel à la formation de l’unité du continent. Mais celui-ci est peu entendu. C’est en octobre 1923, par la publication de son essai Pan-Europe, qu’il présente son projet d’Europe unie. La Pan-Europe est le premier projet de l’époque moderne qui voit l’Europe politiquement et économiquement unie. Ce n’est pas seulement un cri d’alarme aux dirigeants européens de l’époque, il s’adresse également aux citoyens européens, tout le monde étant concerné par l’avenir du continent. Il ne propose pas seulement la paix, il propose l’organisation politique de l’Europe pour faire face aux nouvelles réalités résultant de la fin de la guerre : déchéance européenne, mondialisation, développement de nouvelles technologies… Face à ces nouvelles réalités, il est donc nécessaire de s’unir et au cœur de cette union doit se trouver la réconciliation franco-allemande, élément indispensable à tout projet d’unification européenne.
Pan-Europe commence par cette phrase : « tout grand évènement historique a commencé comme utopie pour finir comme réalité ». Cette phrase résume tout son engagement. Il pose aussi le problème européen de la façon suivante : « l’Europe dans son morcellement politique et économique, peut-elle assurer sa paix et son indépendance face aux puissances mondiales extra-européennes, qui sont en pleine croissance ? Ou bien, sera-t-elle contrainte, pour sauver son existence, de s’organiser en fédération d’Etats ? Poser la question, c’est y répondre ».
Au fil des chapitres, Coudenhove-Kalergi va nous exposer sa vision de l’Europe passée, présente et ce qu’elle devrait faire pour assurer son avenir. A travers ses analyses d’un réalisme saisissant quant aux évolutions probables des relations internationales mais aussi par ses propositions quasi-révolutionnaires au regard des événements en cours, nous verrons comment un homme va essayer de créer l’Europe moderne. Ecrit alors qu’il avait tout juste 29 ans, il appelle la jeunesse européenne à réaliser son œuvre, celle-ci représentant l’avenir du continent. Cependant il aura fallu attendre encore 25 ans et une seconde guerre mondiale pour voir ce projet d’unification du continent commencer et voir ainsi son utopie réalisée.
L’état de l’Europe après la Première Guerre mondiale.
A la fin de la Première Guerre mondiale, les rapports mondiaux se redessinent et l’Europe n’en est plus le centre. Coudenhove-Kalergi parle même d’émancipation du monde et de constitution de nouveaux empires : empire intercontinental britannique, empire eurasien russe, émancipation asiatique et enfin influence grandissante des Etats-Unis d’Amérique, devenus le médiateur du monde et qui demandent un traitement d’égal à égal avec l’Europe. L’Europe quant à elle se morcelle, se divise en Etats de plus en plus petits et perd ainsi de son poids et de son influence passés. A cause de ses trop nombreuses divisions internes, elle n’est plus considérée comme un interlocuteur privilégié.
De plus, les nouveaux progrès technologiques des transports et des télécommunications raccourcissent les distances et rapprochent encore plus des hommes et des femmes qui ont du mal à vivre côte à côte ; cependant que les nécessités politiques rendent indispensable un tel rapprochement. Les tensions résultant de la guerre ne sont toujours pas apaisées et déjà, selon Coudenhove-Kalergi, se dessinent les raisons d’une guerre prochaine, encore plus meurtrière, encore plus destructrice. Au sein de la Société des Nations (SDN), alors que l’Europe n’est pas représentée dans son ensemble, elle reste pourtant le premier sujet de débat. Le monde doit résoudre les problèmes européens.
Par conséquent, afin de pacifier ce continent, il est nécessaire pour celui-ci de réaliser son unité, et ici, Coudenhove-Kalergi propose la création d’une fédération européenne dont les contours sont déjà difficiles à définir. En effet, la question des frontières de l’Europe posait, et pose encore aujourd’hui, problème : si les délimitations au Nord, au Sud et à l’Ouest sont claires, dessinées par la mer et l’océan, celles de l’Est sont floues. Alors que les premières sont nettement géographiques, les secondes varient en fonction des changements politiques, en particulier ceux de la Russie. Pour constituer la Pan-Europe, Coudenhove-Kalergi va exclure la Turquie et la Russie à cause de leur situation géographique, mais aussi l’Angleterre à cause de son empire colonial présent sur tous les continents et de ses rapports particuliers avec les Etats-Unis. Selon Coudenhove-Kalergi, il faut s’unir pour faire face aux changements politiques mondiaux et ici les empires coloniaux de chacun ont une place importante car ils permettent l’indépendance économique du continent face aux autres puissances.
Les rapports de l’Europe avec ses voisins.
La formation de la Pan-Europe va amener des changements dans les rapports des Etats membres avec ses voisins immédiats : l’Angleterre et la Russie. En effet, puisque celles-ci ne peuvent en faire partie, il va falloir éviter qu’elles perçoivent la constitution de la Pan-Europe comme une menace pour à leur encontre.
D’une part, il est plus qu’important que la Pan-Europe ne se construise pas contre l’Angleterre. Celle-ci doit être au contraire un partenaire privilégié, un intermédiaire entre l’Europe et l’Amérique sans appartenir politiquement à l’une ou à l’autre de par ses possessions coloniales. De son côté, l’Europe doit garantir la sécurité de l’Angleterre car maintenant qu’elle n’est plus inaccessible grâce aux avancées technologiques en matière d’équipement militaire (avions, sous-marins, bombes…), elle doit veiller à la stabilité de l’Europe afin d’être le plus éloigné possible des menaces. Sur le long terme, l’Angleterre a sa place dans les projets de Coudenhove-Kalergi dans l’établissement d’une paix perpétuelle où les accords paneuropéens seraient étendus à l’Amérique, à la Russie et à l’Extrême-Orient, c’est-à-dire à l’Asie.
Le cas russe pose plus de problèmes car la Russie représente une menace réelle pour les pays européens depuis la révolution d’octobre 1917, notamment envers les Etats nouvellement indépendants situés à la frontière immédiate de celle-ci. Le but de tout Etat européen doit donc être à tout prix d’empêcher une invasion russe. Pour cela, Coudenhove-Kalergi propose un pacte de garantie européenne, pacte déjà évoqué lors de la conférence de Gênes sur la reconstruction économique de l’Europe en 1922. C’est un acte qui met en place l’équité des Etats européens, c’est-à-dire que l’Europe va elle-même protéger ses frontières et aider ainsi les pays militairement plus faibles. Comme mesure d’accompagnement, il propose la création d’une ligue défensive paneuropéenne. La paix et les frontières doivent donc être négociées globalement au niveau paneuropéen et non individuellement où chacun tentera d’obtenir des garanties personnelles. Vis-à-vis de la Russie, il n’est pas uniquement question de stabilité politique, il est aussi question de stabilité économique. Les Etats européens doivent pour sortir de la crise, réaliser l’unité économique européenne pour pouvoir se redresser économiquement l’un l’autre. En effet, par la création de nouveaux Etats, le commerce est devenu encore plus difficile à cause du morcellement douanier.
Enfin, la question franco-allemande est fondamentale afin de réussir la construction de la Pan-Europe. Ces deux Etats doivent parvenir à dépasser leur rivalité quasi ancestrale pour y parvenir. A l’heure de la publication de cet ouvrage, en 1923, France et Allemagne sont deux républiques, voisines, et qui partagent toutes deux les mêmes valeurs républicaines. Cependant leurs peuples se haïssent et se battent toujours sur la question des frontières alors que leur intérêt commun devrait les pousser vers la coopération et vers l’Europe. Coudenhove-Kalergi le dit très bien : « on rend l’ennemi inoffensif en l’anéantissant ou en se réconciliant avec lui ». Pour se faire, il va même jusqu’à proposer la création d’une union douanière entre les deux Etats afin de réunir le charbon allemand et le minerai français. Cela devrait aboutir selon lui à la constitution d’une industrie sidérurgique paneuropéenne. Ainsi, bien avant la déclaration Monnet-Schuman, qui posera la mise en commun des ressources minières européennes comme point de départ à la fin de la guerre et qui aboutira à la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), Coudenhove-Kalergi perçoit déjà la nécessité de faire disparaître la cause de la guerre pour obtenir la paix.
L’Europe et les organisations internationales.
Richard de Coudenhove-Kalergi a beaucoup étudié le cas de la Pan-Amérique avant de poser son projet de Pan-Europe. C’est un modèle politique à suivre mais il s’agit pour lui d’aller plus loin, de le compléter. Pour forger son projet de Pan-Europe, il fait donc référence à la doctrine de Monroe, président des Etats-Unis, du 2 décembre 1823, soit un siècle auparavant, qui dit que les Etats-Unis ne toléreront aucune immixtion de l’Europe dans les affaires politiques américaines. Cela permit de réunir le congrès de Panama en 1826 qui donna naissance à l’idée de la Pan-Amérique. Sous l’influence de Blaine, aujourd’hui considéré comme le père du panaméricanisme, la conférence panaméricaine se mit en place avec 16 commissions qui vont travailler en 4 langues : anglais, français, espagnol et portugais sous le maître principe de l’égalité de chacun.
Le mouvement panaméricain a véritablement été pionnier en matière de coopération régionale. Ainsi tout au long des conférences panaméricaines, qui eurent lieu en moyenne tous les cinq ans, on vit naître successivement : la création de la conférence panaméricaine, d’une Cour d’arbitrage, d’un chemin de fer intercontinental, d’un allègement des douanes et d’un bureau d’information (1889) ; d’une réflexion sur le sentiment panaméricain (1901) ; d’un droit panaméricain, d’un allègement des formalités de naturalisation (1906) ; d’un système de protection mutuel des biens, d’un projet de programme d’échanges panaméricain de professeurs et d’élèves, du changement de nom en Union Panaméricaine (1910) ; et enfin, la prise de conscience de l’opinion publique du sentiment panaméricain qui les emmènent donc vers l’unité américaine (1923). L’Europe doit donc suivre ce modèle sans oublier l’instauration de l’égalité des droits de chaque Etat membre.
La Société des Nations quant à elle doit servir de base à la constitution d’une union paneuropéenne. Même si Coudenhove-Kalergi considère la proposition du président Wilson comme un échec quant à sa réalisation, celle-ci ne possédant aucune force matérielle et ne suscitant aucun sentiment affectif envers elle. La SDN doit être au cœur des nouveaux rapports mondiaux, qui doivent permettre de réorganiser le système de manière régionale (Amérique, Europe, Russie, Asie…) et agir comme garant de la paix mondiale. Mais avant tout, l’Europe doit s’imposer et cesser de faire régler ses conflits politiques internes par des Etats extérieurs.
Le projet de Pan-Europe politique.
Avant toute chose, Coudenhove-Kalergi rappelle qu’il faut créer une Cour d’arbitrage obligatoire pour les Etats européens afin que ne naisse un conflit qui serait pire que le précédent. Pour cela, il faut aussi dépolitiser le problème des frontières, en ne les considérant que de manière administrative et ainsi finir par les abolir. L’Europe étant un véritable mélange de peuples et de populations de tous horizons et de toutes cultures, la notion de Nation devrait être réduite à une communauté d’esprit. En effet, nos cultures sont assez proches les unes des autres aussi bien au niveau religieux, scientifique qu’artistique, de même que nos modes de vie, qu’est-ce qui nous empêche donc de nous sentir européens ? Par conséquent Coudenhove-Kalergi préconise l’adoption d’un édit de tolérance sur le modèle de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en France en 1905, en séparant la culture de la notion de citoyenneté, qui devra donc devenir une affaire privée, comme l’est aujourd’hui la religion. De même, au niveau commercial, il s’agira de supprimer progressivement les barrières douanières.
Pour Richard de Coudenhove-Kalergi, la Pan-Europe doit donc se construire de la manière suivante, en quatre étapes. La première serait la mise en place d’une conférence paneuropéenne sur initiative d’un pays comme l’Italie ou la Suisse, qui ont tous deux des relations amicales avec les autres Etats du continent. La participation de l’Allemagne serait assurée. Il y serait proposé avant tout la mise en place d’une cour d’arbitrage obligatoire afin d’assurer une paix durable sur l’espace européen. Cependant, certaines questions, comme celles concernant les territoires, ne seraient pas abordées. Afin de centraliser toutes les actions de la conférence, un bureau paneuropéen serait créé. La deuxième étape consisterait en l’établissement de la cour d’arbitrage et de garantie obligatoire. La troisième verrait la création d’une union douanière pour la restructuration de l’économie européenne. Il y soulève également la question d’union monétaire et la notion de territoire économique paneuropéen. Enfin, la quatrième étape serait ainsi la constitution des Etats-Unis d’Europe, ou la Pan-Europe : une Chambre des peuples constituée de 300 députés, à savoir un par million d’habitant, et d’autre part la Chambre des Etats qui aurait elle 26 représentants, soit un par Etat-membre.
La Pan-Europe consacrerait le principe d’égalité des langues, mais Coudenhove-Kalergi pressent déjà les futurs problèmes liés à cette question. Alors que l’Angleterre ne participerait pas à l’union paneuropéenne, il conseille par souci technique d’utiliser l’anglais comme langue auxiliaire. Il préconise donc d’introduire l’enseignement obligatoire de celle-ci à l’école. Il faut noter ici que l’anglais serait une langue minoritaire au sein des Etats de la Pan-Europe. Selon lui, grâce à cette mesure, la rivalité linguistique disparaîtrait et l’anglais revêtirait le rôle « d’esperanto naturel » de l’Europe.
Ainsi constituée, la Pan-Europe se devra d’être neutre vis-à-vis des conflits mondiaux. Le principe de solidarité et de protection des Etats les plus menacés et les moins puissants devra être primordial. Les frontières ayant été abolies, les minorités ne devront plus être menacées et opprimées comme elles le sont. De plus, le patrimoine colonial devra être mis en valeur collectivement, mais aussi, les Etats-membres devront aider collectivement au développement de l’Afrique. Grâce à l’abolition progressive des barrières douanières, il sera institué une consommation à l’échelle européenne et les prix baisseront avec la mise en place du principe de libre concurrence, les entreprises et les industries seront alors libres de rechercher de nouveaux marchés.
Le but final de la Pan-Europe est bien entendu d’éveiller chez chaque Européen un sentiment d’appartenance à un objectif commun. Ce sentiment complétera le sentiment national. Pour cela, Coudenhove-Kalergi propose la création de l’Union paneuropéenne, qui sera effective la même année, afin de développer dans chaque pays l’idée paneuropéenne. Au cœur de ses ambitions et de ses rêves se trouve la jeunesse européenne, avenir certain et immédiat du continent. Il élabore même un drapeau paneuropéen sur lequel figure la croix solaire, c’est-à-dire un soleil d’or sur fond rouge, symboles de l’humanité et de la raison.
Après Pan-Europe.
Pan-Europe fut donc écrit en 1923 et à sa suite le mouvement paneuropéen commença. En 1926, le premier congrès paneuropéen se réunit à Vienne au Konzerthaus et rassembla plus de 2000 participants. De nombreux intellectuels lui témoignèrent leur soutien, tels Guillaume Apollinaire, Albert Einstein, Sigmund Freud, Thomas Mann, mais aussi des personnalités politiques comme Edouard Herriot, Aristide Briand, qui présenta en 1929 un projet d’association européenne à la SDN, et plus tard Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Robert Schuman, Winston Churchill, qui furent eux les pères fondateurs de l’Europe de l’après-guerre. En effet, Churchill s’est inspiré de Pan-Europe pour lancer son appel de septembre 1946 à l’unité du continent sous la bannière des Etats-Unis d’Europe. Il en est de même quant à la déclaration Monnet-Schuman.
En 1929, il propose l’adoption d’un hymne européen : le texte de l’Ode à la joie de Schiller sur la musique de la 9e symphonie de Beethoven, qui est aujourd’hui notre hymne. L’année suivante il soumet l’idée de célébrer chaque année une journée européenne, et ce en mai. Il faut rappeler que nous comptons aujourd’hui deux journées de l’Europe : le 5 mai pour le Conseil de l’Europe et le 9 mai pour l’Union Européenne, jour de la déclaration de Robert Schuman.
Suite à l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne, il part aux Etats-Unis et dirige à l’Université de New York un séminaire de recherches portant sur la création d’une fédération des Etats européens et forme ainsi l’union paneuropéenne en exil.
Après avoir obtenu la nationalité française en 1939, et être rentré en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il suggère en 1947 l’idée de créer un timbre-poste européen. La même année, à Gstaad, il fonde l’union parlementaire européenne qui débouchera sur le Congrès de La Haye de 1948, ou Congrès de l’Europe. Celui-ci vit l’année suivante la naissance de la première institution politique européenne : le Conseil de l’Europe. Les années d’après ont été très prolifiques pour la construction européenne car elles virent l’apparition de la CECA, de la CEE, mais Coudenhove-Kalergi a craint la naissance d’une « Europe des hommes d’affaires » et non de l’Europe politique qu’il appelait de ses vœux depuis plus de 25 ans.
La Pan-Europe aujourd’hui.
Ainsi nous pouvons voir que cet essai Pan-Europe est la base de notre Europe contemporaine et que cet homme, Richard de Coudenhove-Kalergi, serait finalement le premier véritable père fondateur de l’Europe. Les idées qu’il a transmises au cours de la première moitié du 20e siècle ont révolutionné l’Europe. Il a donné un espoir durant les années troubles d’avoir un avenir commun et de donner cet avenir aux européens qui en sont avant tout le premiers concernés. L’Europe n’était pas prête à cette époque, lors de la publication de Pan-Europe, à s’unir à cause des dissensions trop profondes entre les peuples européens mais elle a néanmoins réussi à se construire.
En cette période de célébration des 50 ans des traités de Rome, il ne faut donc pas oublier cet homme qui a en premier esquissé notre avenir et qui est aujourd’hui notre présent. Richard de Coudenhove-Kalergi est mort le 27 juillet 1972, en Autriche. Il n’aura pas vécu le premier élargissement de la CEE qui vit l’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark, alors que dans son projet il appelait le rapprochement de l’Angleterre au continent, mais sans ses colonies. Il ne vit pas non plus l’adhésion de son pays d’origine, l’Autriche, qui ne rejoint l’UE qu’en 1995. Enfin, il n’a pas pu célébrer en 2004 et 2007 la « réunification de l’Europe » avec l’élargissement vers l’est aux anciens pays communistes.
Il pourrait n’avoir aujourd’hui qu’un seul regret, que le sentiment d’appartenance à l’Europe ne soit que trop peu présent parmi les peuples qui la compose alors que la citoyenneté européenne a été instituée en 1992 dans le traité de Maastricht. Ce sentiment peine à naître encore aujourd’hui au moment où le débat sur l’avenir de l’Union Européenne revient avec la Présidence allemande de l’UE et Angela Merkel à l’occasion des 50 ans des traités de Rome.
Pour aller plus loin :
À lire
- Pan-Europe, Richard de Coudenhove-Kalergi, publication de l'Institut universitaire d'Etudes Européennes - Genêve, PUF, 1988
Sur Internet
- Le site du mouvement paneuropéen en France, Pan-Europe France