Repenser le 9 mai comme une date vraiment européenne

Par Philippe Perchoc | 10 mai 2010

Pour citer cet article : Philippe Perchoc, “Repenser le 9 mai comme une date vraiment européenne”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 10 mai 2010, http://www.nouvelle-europe.eu/node/876, consulté le 26 mars 2023

En ces temps de célébration européenne et de crise profonde, la question du 9 mai se pose à nous, 60 ans après la déclaration Schuman. Comment en faire une date vraiment européenne ?

Le 9 mai est une date aux multiples facettes, comme le 9 novembre. Si l'Union européenne célèbre le 9 mai la déclaration Schuman, dans le salon de l'Horloge au Quai d'Orsay, certains pays de l'Europe voient la célébration - officielle ou non - de la Grande Victoire patriotique de l'URSS sur les nazis. Cette fête nationale russe est en effet l'objet de toutes les attentions à Moscou, bien entendu, où pour la première fois les Polonais, les Français et les Britanniques ont défilé avec les Russes sur la Place rouge, mais aussi à Tallinn, Riga ou Kiev, où les vétérans défilent dans les rues à cette occasion. Ce qui fait grincer des dents dans les États baltes.

Une date, de multiples significations

À Vilnius, les gens s'étonnent que l'UE ait choisi cette date qui marque le début de 50 ans d'occupation inhumaine par un régime vainqueur des nazis, mais totalitaire lui-même. Le résultat ? On trouve assez peu de gens pour fêter l'Europe dans ce bout du continent, le 9 mai. 

En effet, comment ne pas comprendre que les Russes fêtent cette victoire titanesque qui selon la propagande leur aura coûté 23 millions de vies ? Chaque famille russe a perdu un père, un frère, un fils dans la lutte contre le fascisme. 

D'un autre côté, comment ne pas honorer ceux qui se sont battus bien après la fin de la guerre, enterrés dans les forêts baltes, pour leur liberté volée en vertu d'un accord entre Staline et Hitler en 1939 ? Et sur lequel l'Europe a largement fermé les yeux pendant 50 ans. Les Suédois avaient même reconnu l'occupation de jure !

Chaque poumon de l'Europe a la légitimité de célébrer joyeusement ou tristement cette date. Mais pour la fêter ensemble, il faudrait peut-être que les Européens de l'Ouest montrent enfin qu'ils connaissent et comprennent l'histoire de leurs compatriotes européens. 

Un pas de deux

Avec la claire condamnation du régime stalinien par le Président russe, et l'invitation des Polonais et des Européens aux manifestations du 9 mai, il semble que Moscou soit entré dans une nouvelle ère de réflexion sur son passé. Les archives du massacre de Katyn devraient enfin être ouvertes et cet acte barbare a déjà été condamné par le Kremlin.

D'ailleurs, la présence des Présidents estoniens et lettons aux manifestations semble ouvrir la voie à un appaisement des relations entre Europe post-soviétique et Russie. De son côté, la Présidente lituanienne dit aussi vouloir avancer beaucoup plus pragmatiquement avec Moscou.

Mais, à l'Ouest, avançons-nous ?

Il semble que non. Les manifestations du 9 mai semblent incroyablement ouesto-centrées. Pas un mot à Paris sur ce qui se passait le 9 mai 1950 de l'autre côté du Mur. Nous demandons à nos amis européens d'adopter notre mémoire comme une sorte de nouvel acquis communautaire. Mais est-ce ainsi que nous ferons l'Europe ?

Six ans après l'adhésion de dix nouveaux États membres et au moment où les Russes semblent faire un pas vers une nouvelle Europe de la mémoire, aucun signal ne semble venir des vieux États membres vers les nouveaux ... La députée européenne lettone Sandra Kalniete vient de créer un groupe parlementaire à Bruxelles sur l'histoire européenne et il semble qu'elle aura du travail à convaincre ses collègues de l'Ouest, bien peu enclins à remettre en cause le paradigme cinquantenaire de la victoire sur les Nazis et la réconciliation franco-allemande.

Rendre hommage à Robert Schuman tout en soulignant le "mouvement européen" qui va du 9 mai 1950 au 9 novembre 1989 et au 1er mai 2004, voilà ce qui permettrait à chacun de se sentir chez soi dans l'histoire européenne. Enfin.

Pour aller plus loin

Sur Nouvelle Europe

Source photo : Katyn Memorial, par PaulSteinJC, sur flickr