Les relations Croatie - Serbie à la veille de l'adhésion croate : de la normalisation vers la réconciliation

Par Luce Carević | 28 juin 2013

Pour citer cet article : Luce Carević, “Les relations Croatie - Serbie à la veille de l'adhésion croate : de la normalisation vers la réconciliation”, Nouvelle Europe [en ligne], Vendredi 28 juin 2013, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1718, consulté le 02 avril 2023

Le 13 juin, lors du 18ème Sommet des Présidents des pays d'Europe centrale et orientale à Bratislava, le Président serbe Tomislav Nikolić a annoncé qu'il serait présent à Zagreb le 30 juin pour fêter l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne (UE) ; signe que la réconciliation entre les deux États - essentielle pour la pacification et la stabilité de la région - est plus que jamais à l'ordre du jour. Un long chemin, semé d'embûches, a été parcouru depuis le 9 septembre 1996, date à laquelle débute le processus de normalisation des relations entre la Croatie et la Serbie. À la veille de l'adhésion croate à l'Union européenne, il nous a semblé indispensable de faire un point sur la tumultueuse et complexe relation serbo-croate.

Un passé encore source de tensions : le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et la Cour internationale de Justice (CIJ)

Le TPIY est, depuis ses débuts, l'un des terrains d'affrontement privilégié de la Croatie et de la Serbie. Les jugements du TPIY sont loin d'avoir éclairci les événements qui se sont déroulés lors du conflit ou d'avoir permis aux deux camps d'effectuer un travail de mémoire ; au contraire, aveuglés par leur rivalité, les deux camps ont souvent paru plus enclins à absoudre les grandes figures nationales impliquées dans de graves crimes de guerre en tant que hauts responsables et à critiquer les décisions du tribunal lorsque celles-ci n'allaient pas en leur faveur. L'enjeu ici est bien l'image du pays aux yeux de l'Histoire et non la recherche de la vérité.

Ainsi en novembre 2012, l'acquittement des généraux croates, Ante Gotovina et Mladen Markać, condamnés, en première instance, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis lors de l'opération militaire "Oluja", provoque l'indignation du côté serbe. Le Vice-premier ministre serbe Aleksandar Vucić qualifie l'acquittement de "honteux" et le premier ministre serbe Ivica Dačić affirme que le verdict compromettrait « sérieusement » la réconciliation serbo-croate. Du côté croate, les généraux sont accueillis triomphalement à Zagreb par une foule en liesse. Le président croate Ivo Josipović, ainsi que toute la classe politique croate, exprime sa joie devant cette « victoire » et se déclare satisfait que « la guerre engagée pour libérer notre territoire et retrouver la liberté et la paix [soit] enfin reconnue comme juste et légitime », ravivant les tensions entre Zagreb et Belgrade.

Plus récemment, fin mai 2013, le TPIY a condamné l’ancien dirigeant des Croates de Bosnie-Herzégovine, Jadranko Prlić, à 25 ans de prison. Six anciens chefs croates ont été condamnés pour avoir créé et participé à une entreprise criminelle commune de nettoyage ethnique en Herzégovine, entre 1991 et 1994. Le lendemain, Jovica Stanisić et Franco Stimatović, responsables serbes de l'unité Scorpions, tristement célèbre pour les massacres perpétrés à Srebrenica, sont acquittés, alors même que quatre anciens membres de cette unité ont été lourdement condamnés par le tribunal spécial serbe chargé des crimes de guerre.

Triomphalisme du côté serbe cette fois, Ivica Dačić qualifie la décision du TPIY d' « historique ». L'exultation serbe se comprend aisément, il s'agit d'une double victoire. Pour l'instant, en effet, seule la Croatie est jugée responsable des massacres qui se sont déroulés en Bosnie-Herzégovine. À Zagreb et à Sarajevo, le goût laissé par la décision du TPIY est amer. Le journal croate Novi List critique avec virulence une décision jugée « scandaleuse » et remet en cause, comme le gouvernement serbe pour le cas Gotovina, la crédibilité du Tribunal pénal. 

Outre le TPIY, en 1999, la Croatie a choisi de porter plainte contre la Serbie pour génocide devant la CIJ qui se déclare compétente le 18 novembre 2008, après examen et rejet des requêtes préliminaires serbes.

Il s'agit pour l'État croate de faire reconnaître la responsabilité internationale de l'État serbe, et non seulement celle de certains individus, et surtout de faire pression sur la Serbie. Belgrade riposte en janvier 2010, après la décision de la CIJ, et porte plainte pour génocide contre Zagreb.

Néanmoins, les deux gouvernements reconnaissent la nécessité de ne plus regarder vers le passé, mais de se tourner résolument vers l'avenir, qui se trouve, pour les deux pays, au sein de l'UE, et n'excluent pas de retirer mutuellement leur plainte après des négociations bilatérales. Le sujet est d'ailleurs régulièrement revenu lors des discussions récentes entre les responsables croates et serbes. Il est fort probable que les deux États choisissent de régler leurs différends sans l'aide de la CIJ et abandonnent leur plainte, ce qui constituerait un symbole fort et une étape décisive vers la réconciliation de la Croatie et de la Serbie.

Largement médiatisées, les décisions du TPIY et les réactions des deux camps créent l'impression fausse que la Croatie et la Serbie demeurent des ennemis jurés et occultent les progrès décisifs qui ont eu lieu en matière de coopération régionale et les importants efforts diplomatiques serbo-croates pour renouer le dialogue après une fin d'année 2012 mouvementée. L'issue vraisemblable de la bataille juridique qui se déroule dans le cadre de la CIJ témoigne d'un certain pragmatisme et d'une ouverture d'esprit de la part des dirigeants et responsables politiques croates et serbes.

Coopérer malgré les différends : entre pragmatisme et influence européenne

L'Union européenne a joué un rôle non négligeable dans l'amélioration des relations dans la région à travers la place accordée à la coopération régionale et transfrontalière dans les Balkans dans la politique européenne d'adhésion. Avant d'espérer adhérer, les États balkaniques doivent en effet impérativement coopérer entre eux et régler leurs différends. La Croatie et la Serbie sont ainsi amenées à coopérer dans divers domaines au sein de comités et d'institutions régionales par exemple, dans le cadre du programme transfrontalier du programme d'aide à la pré-adhésion (IPA). L'objectif du programme transfrontalier entre la Croatie et la Serbie est double : il s'agit à la fois d'assurer le développement économique et social de la région, tout en contribuant à l'amélioration des relations entre les deux États à l'échelle locale et régionale.

Depuis 2010, notons tout particulièrement la coopération efficace dans le domaine policier et judiciaire dans le cadre de l'intensification de la lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé, rendue possible grâce à la volonté des responsables politiques serbes et croates de mettre de côté leurs différends et de coopérer, quel que soit l'état de leurs relations bilatérales, l'enjeu étant trop important pour être balayé par des querelles politiques. Ainsi le 29 juin 2010, les deux pays signent un accord d'extradition qui concerne leurs ressortissants accusés ou condamnés en matière de crime organisé ou corruption. Cet accord a notamment permis à la Serbie d'arrêter un des meurtriers de Zoran Djindjić, Sretko Kalinić, qui s'était réfugié en Croatie et d'accroître l'efficacité des procédures judiciaires dans les deux pays. Preuve que la Croatie et la Serbie ont tout intérêt à coopérer.

De même, sous pression de l'Union européenne, la politique croate en ce qui concerne la situation et le retour des réfugiés serbes en Croatie s'est améliorée depuis 2011. Le gouvernement croate a démontré une réelle volonté de régler le problème même si les conditions de retour restent difficiles, comme en témoignent les divers portraits de réfugiés.

La crise économique a également accéléré la prise de conscience croate et serbe au sujet de leur dépendance mutuelle en matière économique. Le poids de la Serbie dans la région en fait un partenaire économique régional incontournable pour la Croatie. Il en va de même pour la Serbie. En 2009, le montant des échanges commerciaux bilatéraux se chiffrait à 530,4 millions d'euros, soit une hausse de 5% par rapport à 2008. Les dirigeants croates et serbes s'accordent sur le fait qu'il est nécessaire d'approfondir la coopération économique entre les deux États, ce qui leur impose d'améliorer leurs relations.

Il y a eu de réels efforts diplomatiques pour rétablir des relations diplomatiques cordiales après les tensions qui ont suivi les propos du président serbe Tomislav Nikolić, à propos de Grande Serbie, Vukovar et de Srebrenica et l'acquittement des généraux croates. Le premier ministre croate Zoran Milanović s'est rendu à Belgrade en janvier 2013, le Vice-premier ministre serbe Aleksandar Vucić est venu à Zagreb le 29 avril 2013. La ministre croate des Affaires étrangères et européennes, Vesna Pusić, a affirmé, lors de sa visite à Belgrade le 21 juin, que les diplomates et fonctionnaires croates et serbes, ensemble, travaillent ardemment à résoudre les problèmes liés au passé, mais également à trouver des moyens d'intensifier la collaboration économique entre les deux pays. Elle a insisté sur le fait que les questions abordées au sein de la commission conjointe créée par la Croatie et la Serbie concernent des problèmes de fond : enjeux liés à la guerre, coopération économique et conséquence de la sortie de la Croatie de l'accord de libre-échange centre-européen (ALECE ou CEFTA en anglais) en raison de son adhésion à l'UE.

Conclusion

Les dernières rencontres entre les différents responsables serbes et croates permettent aujourd'hui d'être optimiste quant à l'amélioration des relations entre la Croatie et la Serbie. Le Président serbe a félicité la Croatie pour son adhésion à l'Union européenne et remercié Vesna Pucić d'avoir soutenu la candidature serbe auprès de Catherine Ashton. Le Président croate, Ivo Josipović, a affirmé qu'il considère que la place de la Serbie est au sein de l'UE et que la Croatie fera de son mieux pour aider sa voisine sur son chemin vers l'adhésion. Pas de porte fermée derrière elle donc, mais au contraire, une main tendue à l'ennemi de jadis. Il semblerait donc - du moins, on l'espère vivement - qu'avec l'adhésion de la Croatie à l'UE le 1er juillet 2013, une page se tourne définitivement, et que l'on fête non seulement la venue de la Croatie dans l'UE, mais également la réconciliation serbo-croate, que certains qualifiaient, il n'y a encore pas si longtemps, d'impossible.

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Sources photo : Vukovar, 22 septembre 2009, Flickr, et HZ Freight train, 24 novembre 2007, Wikimédia Commons.