Réduire les inégalités hommes-femmes: choix de politiques publiques en Europe

Par Aurélie Champag... | 25 avril 2012

Pour citer cet article : Aurélie Champag..., “Réduire les inégalités hommes-femmes: choix de politiques publiques en Europe”, Nouvelle Europe [en ligne], Mercredi 25 avril 2012, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1479, consulté le 26 mars 2023

Lors de notre série sur les inégalités hommes-femmes publiée à l’occasion du 8 mars dernier, nous avons étudié comment celles-ci se construisent dans la sphère familiale et professionnelle. Il reste maintenant à trouver les leviers qui permettraient de réduire cet état de fait. A la lumière des pratiques de différents pays européens, trois principaux champs d'action se dégagent : l'égalité professionnelle, les modes de garde de la petite enfance et la prise en charge des personnes âgées et dépendantes.

Il ne s'agit donc pas tant d'expliquer les différences objectives de situation dans les différents pays européens par des attributs culturels que de chercher à comprendre ce qui structure l'articulation du temps de travail et du temps consacré à la famille. Il n'est bien sûr pas question de discuter de l'opportunité d'une transposition (pour autant qu'elle fût possible) de tel ou tel modèle national dans un autre pays, mais de connaître les choix de politique publique qui aboutissent à des différences objectives de situation.

Enfin, il faut noter que les pratiques sociales, quels que soient les choix de politique empruntés, ne sont heureusement pas homogènes : il existe de nombreuses contradictions et contre-exemples au sein de chaque pays, et il arrive bien souvent qu'une décision particulière ait un effet inverse à celui escompté.

Emploi des femmes et inégalités professionnelles

L'inégalité entre hommes et femmes dans la sphère domestique résulte d'une forte imbrication de cette sphère avec celle du monde professionnel. Il n'est donc pas étonnant de constater que cette inégalité se réduise dès lors qu'on constate une égalité salariale. Cette réduction est toutefois très limitée : « Dans les couples où la femme gagne moins que son conjoint, le salaire des femmes représente en moyenne 63% de celui de leur conjoint, et les hommes assurent en moyenne 31% des tâches domestiques. Dans les couples où la femme gagne au moins autant que son conjoint, le salaire des femmes représente en moyenne 128% de celui de leur conjoint, et les hommes assurent en moyenne 37% des tâches domestiques », selon une étude pour l'INSEE datée de 2006.

Il faut donc prendre en compte un autre élément : l'inégalité dans les tâches ménagères se réduit également lorsque hommes et femmes travaillent un nombre d'heures similaire. C'est notamment le cas en Suède, où 66% des couples travaillent à plein temps, ce qui entraîne une répartition plus équitable des tâches ménagères (les hommes effectuant 42% des tâches domestiques). Il en résulte que le développement du temps partiel, tel qu'il a notamment été beaucoup encouragé aux Pays-Bas, n'est pas un choix de politique publique neutre. Les Néerlandais ont un très fort taux d'emploi des femmes, celui-ci dépassant déjà les objectifs fixés par la Commission européenne (75% à l'horizon 2020). Ce taux d'emploi est largement alimenté par une politique publique très favorable au développement du temps partiel, puisque les trois quarts des femmes employées, et un quart des hommes, travaillent à temps partiel.

Le choix du temps partiel, s'il peut refléter un goût personnel, n'est pas sans incidence sur l'évolution professionnelle des femmes, sur l'égalité salariale et l'accumulation des droits de retraite. Et, en maintenant la femme à la maison, il entretient un modèle masculin de chef de famille, où l'homme n'a que peu de temps à consacrer à ses enfants, et encore moins aux travaux ménagers. C'était d'ailleurs l'objet d'une campagne de sensibilisation menée en 2002-2004 aux Pays-Bas, autour du slogan « Qui fait quoi ? » et dont l'objet principal était de faire comprendre que si les hommes participaient davantage aux tâches domestiques, alors les femmes seraient en mesure de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. Cette campagne de sensibilisation, financée par le programme EQUAL de la Commission européenne, n'a pas été la seule mesure mise en place par le ministère néerlandais des affaires sociales, puisqu'une task force a été créée afin de trouver des moyens de remettre les femmes au travail, notamment via un rallongement des temps partiels.

Garde d'enfants

Les choix de politique publique en termes de garde d'enfant ont une influence sur le maintien dans l'emploi des femmes, un maintien dont on a vu qu'il était déterminant pour l'égalité domestique. Il faut rappeler que le taux d'emploi des femmes (UE25) diminue de 12,4 points lorsque celles-ci ont des enfants de moins de 12 ans à charge, alors que celui des hommes dans la même situation augmente de 7,3 points. C'est parce que l'existence d'une offre de service de garde d'enfants est déterminante afin de parvenir à l'égalité hommes / femmes en Europe qu'ont été fixés des objectifs en 2002 au cours du Conseil européen de Barcelone. Il s'agissait de mettre en place d'ici à 2010 des structures d'accueil pour au moins 33 % des enfants de moins de trois ans et pour au moins 90% des enfants âgés de trois à l'âge de la scolarité obligatoire.

Seuls quatre pays (Suède, Belgique, Espagne, Danemark) ont réussi à atteindre les deux objectifs, cinq autres ayant partiellement atteint le résultat attendu (France, Italie, Allemagne, Pays-Bas, Irlande). Le reste des pays de l'Union s'approche du taux de couverture requis (Royaume-Uni, Luxembourg, Portugal, Chypre, Slovénie). Le reste des États demeure encore à un stade intermédiaire, ou sont franchement en retard (le taux d'accueil des enfants de moins de 3 ans en Pologne s'élevait à 2% en 2009). La particularité des structures d'accueil destinées aux enfants de trois à l'âge de scolarisation obligatoire est qu'elles fonctionnent bien souvent à temps partiel, comme au Royaume-Uni. Si l'on considère le taux de couverture à temps plein, alors plus de la moitié des États membres tombe en dessous de la barre des 50%. C'est ainsi qu'il est possible d'expliquer le taux très faible d'emploi (28,6% en 2009) des mères allemandes d'enfants de moins de trois ans : la dualité entre travail et vie de famille se fait particulièrement tranchée, et le manque de place dissuade les Allemandes d'avoir un second enfant, et même dans certains cas un premier.

 

Afin de combler cette pénurie de places, diverses réponses ont été mises en place dans les pays européens. En Allemagne, l’État fédéral a mis en place un programme d'action intitulé « La famille, facteur de réussite », qui cherche à inciter les employeurs à mettre en place des politiques favorables à la famille. Une des mesures les plus innovantes est l'organisation d'un concours permettant de décerner un prix aux entreprises les plus favorables à la conciliation entre emploi et vie familiale. En Autriche, c'est par un système d'audit « familial et professionnel » subventionné par l’État que l'on a introduit la question de l'égalité dans les entreprises : un auditeur vient évaluer les besoins de l'entreprise et former un plan d'action, qui sera réévalué par un autre auditeur externe. Le dispositif existe également à destination des universités. Parmi les initiatives plus classiques, on peut citer l'exemple de la Pologne, qui cherche à rénover l'ensemble de ses écoles maternelles et qui a amendé la loi sur le système éducatif pour permettre le développement des structures de type privé.

S'occuper des aînés

Si l'on a déjà étudié la question des modes de garde de la petite enfance, demeure celle de la prise en charge des personnes âgées, une question dont l'importance est grandissante du fait du vieillissement démographique. L'année 2012 marque bien cette préoccupation puisqu'elle est l'année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle. Ceux qu'on appelle les « proches soignants » sont bien souvent des conjointes, des filles, ou des belles-filles qui prennent soin de leur aînés : en 2006, plus de six millions de femmes s'estimaient contraintes de demeurer inactives en raison de leurs responsabilités familiales. En Suisse, 78% des proches soignants sont des femmes et seules les femmes soignent leurs beaux-parents. Or, la prise en charge d'une personne dépendante et âgée est aussi un facteur de décrochage professionnel. Dans un contexte général d'allongement de l'âge du départ en retraite, cet effet de décrochage se fait croissant. L'accent mis aujourd'hui sur le maintien des personnes âgées à domicile montre bien l'importance du rôle de la famille dans l'accompagnement de la vieillesse.

Quelques initiatives pilotes ont été créées afin de soulager les femmes et de leur permettre de se (re)mettre au travail. En Grèce, un programme d'aide a été mis en place en 1992, basé sur un système d'unité de soignants mobiles chargés de rendre visite à domicile aux personnes âgées et de leur prodiguer des soins. Ce programme, financé par le FSE, a bénéficié en 2011 à 21 000 personnes, éligibles en fonction de critères tels que les revenus du ménage, le statut familial ou l'état de santé, et demeurait très bien accueilli par les personnes âgées. Ce type d'aide à domicile existe dans de nombreux pays, mais n'est pas toujours connu, en particulier dans les milieux défavorisés. C'est ainsi que la Croix rouge autrichienne mène en Autriche, en Pologne et en Lituanie des campagnes d'information à destination des personnes âgées défavorisées. Le but est de leur faire connaître l'offre de soins existante et les aides dont ils pourraient bénéficier, à la fois en s'appuyant sur des médiateurs locaux (médecins généralistes) et en organisant des séances gratuites d'information (sur les aspects légaux et financiers en particulier). Enfin, le Luxembourg a créé une assurance dépendance, destinées aux personnes âgées saines qui nécessitent une aide journalière pour se laver, s'habiller ou se nourrir, des gestes quotidiens et essentiels. L'intervention d'une aide à domicile permet de décharger la famille de ces soins et aux femmes de conserver leur emploi. La prise en charge peut s'élever jusqu'à 26 000 euros et elle est financée pour partie par des cotisations sociales, par une part de l'impôt sur le revenu et enfin par une taxe sur l'énergie.

 

Ainsi, le facteur essentiel de l'inégalité entre les hommes et les femmes reste l'inégalité professionnelle. Cette inégalité a parfois été renforcée par les pouvoirs publics, par la mise en avant du temps partiel ou encore par la mise en place d'allocations familiales favorables au décrochage professionnel des femmes. De nombreux leviers permettent d'accroître l'égalité professionnelle, notamment en imposant l'égalité salariale à diplôme égal, mais aussi en créant des structures de prise en charge des personnes dépendantes, enfants comme parents.

 

Aller plus loin

A lire

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