
La politique étrangère de la Lettonie a été très profondément modifiée par l’entrée du pays dans l’OTAN et dans l’Union européenne. Alors que ces deux adhésions ont été pendant presque 15 ans les moteurs parallèles de la diplomatie lettone, en devenir membres semble avoir déstabilisé quelque peu une diplomatie jeune, dynamique mais parfois trop idéaliste.
À travers cet aperçu de la diplomatie lettone, différente de celle de ses deux voisines, approchons les défis et les difficultés des nouveaux Etats membres.
Un ministère pas comme les autres
Pendant cinquante années d'occupation soviétique, la Lettonie n'avait aucun embryon de politique autonome. Les diplomates de la République indépendante de l'entre-deux-guerres en exil ne pouvaient qu'entretenir la flamme patriotique et tenter de rappeler aux puissances occidentales le malheur des Baltes. L’ambassadeur de Lettonie en France, son Excellence Rolands Lappuke, rapporte qu’au moment de l’indépendance au « ministère », « il y avait ce jeune Letton des Etats-Unis qui ouvrait la porte, c'était émouvant ». Et les premières recrues sont venues des facultés de sciences humaines de l'université, notamment du département de philosophie, mais pas seulement. C'est ainsi que des présentateurs de télévision, des étudiants, des scientifiques se sont trouvés au cœur de la définition d'une nouvelle politique pour une Lettonie de nouveau indépendante.
Aujourd'hui, ce sont plus de 600 diplomates qui travaillent au ministère des Affaires étrangères, souvent très jeunes (plus de 42,8% ont moins de 30 ans). Le ministère est aussi original parmi ses homologues européens par la place qu'il donne aux femmes qui forment plus de 68% du corps diplomatique. Mais ce ministère agrandi, doit aujourd'hui faire face à de nouveaux défis. Les premières années.
Les premières années furent surtout occupées par les questions bilatérales avec la Russie : l'enjeu de la minorité russophone, l'épineux problème de la frontière entre les deux pays et le départ des troupes russes.
Comme successeur international des droits et obligations de l'URSS, la Fédération de Russie avait obtenu le commandement des anciennes troupes et bases soviétiques sur le territoire des ex-républiques soviétiques et donc de la Lettonie. La plupart des spécialistes de la question s'accordent pour dire que Boris Eltsine était un partenaire de négociation fiable même si son aile nationaliste et une partie de l'armée russe étaient réticentes au départ des troupes. Dzintra Bungs, chercheuse à l'Institut Letton des Relations Internationales, souligne avec amusement que « c'était un homme particulier mais il comprenait notre besoin de liberté ».
Deux questions étaient directement liées au départ des troupes russes : le sort des officiers retraités de l'armée Rouge en Lettonie et l'utilisation de la station d'alerte rapide de Skrunda sur la côte. En effet, la Lettonie était une destination prisée des officiers soviétiques à la retraite et la Russie a demandé à ce que plus de 22 000 d'entre eux puissent rester après l'indépendance. Ceci, on s'en doute, n'a été accepté qu'après de rudes négociations. La présence des troupes russes, elle, pouvait parfois conduire à des situations complexes. Un haut fonctionnaire du ministère de la Défense explique que deux soldats, l'un Russe, l'autre Letton pouvaient parfois contrôler les papiers des bateaux arrivant dans les ports.
À ces deux problèmes épineux, la Russie a tenté de lier la question des droits des russophones habitant le pays.
Les Lettons ont donc mis en place une stratégie d'internationalisation de la question, sous l'égide des Etats-Unis. Ceux-ci ont permis le départ effectif des troupes en 1994, par la pression continue qu’ils ont exercé sur le règlement de la question, de l’aveu des Lettons.
Mais l'internationalisation a aussi amené l'OSCE (l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) à ouvrir une mission d'observation sur la question des minorités à Riga, mission qui, selon l'ambassadeur Lappuke, resta beaucoup plus longtemps que nécessaire et de l'avis d'un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères dégrada l'image du pays au niveau européen. Le bureau ne fut effectivement fermé qu’en janvier 2002.
De nombreux fonctionnaires estiment pourtant – sous couvert d'anonymat – que ces pressions étaient les bienvenues : « elles ont poussé la Lettonie à prendre ces questions à bras le corps, à susciter le dialogue et à prendre des décisions. Sans elles, nous serions dans la position de la Moldavie ou de l'Ukraine ». En effet, les diplomates lettons évoquent régulièrement la question de ces deux autres républiques ex-soviétiques qui ont les plus grandes difficultés à se couper réellement d’une ingérence russe qui est toujours justifiée par la présence de minorités russophones.
La géographie contraignante : sortir de l'obsession russe.
« Notre problème, c'est qu'on aurait voulu courir le plus loin possible de la Russie, mais malheureusement, nous n'avions aucun moyen d'échapper à la géographie ! » explique un fonctionnaire du ministère de la Défense. En poste à Washington au moment des négociations pour entrer dans l'OTAN, il estime aussi que le 11 septembre 2001, en redonnant un sens à l'Alliance atlantique a permis de décrocher le passeport pour Bruxelles en 2004. Selon lui, les Lettons en adoptant une stratégie toujours très fidèle aux Etats-Unis ont su les convaincre de leur utilité dans la guerre contre le terrorisme.
L'Union européenne a, elle aussi, été vue comme porteuse de sécurité chez de nombreux Lettons : sécurité économique, prospérité et stabilité. D'autant que les voix de ceux pour qui la politique européenne de sécurité et de défense (la PESD) gagne en crédibilité sont de plus en plus audibles au sein des administrations lettones.
Néanmoins, si le pays se sent maintenant plus confiant dans son avenir, il reste le petit voisin d'une Russie qui a repris de la vigueur. Regardant vers le passé, Dzintra Bungs, chercheuse à l'Institut letton des Relations Internationales estime que « rien n'aurait été possible sans la faiblesse momentanée de la Russie ».
L’idée que les Baltes doivent pour beaucoup leur indépendance à une faiblesse momentanée de la Russie est courante sur les rives de la Baltique, et celle d’un regain de puissance russe qui serait menaçante pour eux l’est tout autant. Or, les relations avec Moscou restent toujours tumultueuses, malgré la signature du traité de délimitation des frontières en mars 2007, et Riga – bien que discrète – reste sceptique devant ses partenaires ouest-européens qui auraient une politique trop favorable au géant énergétique.
Aujourd'hui, l'enjeu principal d'une Lettonie membre de l'Union européenne et de l'OTAN est de sortir de ce face à face perpétuel avec son voisin et d'élargir ses horizons. Or, ses moyens financiers et humains sont limités : il lui faut donc choisir des priorités qui puissent singulariser sa position et faire jouer ses atouts.
Quelles priorités pour la politique étrangère lettone ?
En analysant l'histoire et les priorités de la politique étrangère lettone depuis 1991, on peut voir émerger certaines spécificités qui pourraient être des atouts pour l'avenir. Dans une Union européenne à 27, chaque pays – et surtout les petits – essaient de trouver un créneau et des spécialités qui lui permettent de se distinguer de ses voisins, de mettre ses priorités à l'agenda en négociant ses intérêts. Or, la majorité des spécialistes et des diplomates interrogés estiment que « la Lettonie est à la recherche d'un nouvel agenda de politique étrangère depuis 2004 ».
Alors que l'Estonie a réussi à se donner une image européenne assez définie – on associe spontanément certaines images au pays – la Lettonie doit encore se forger une image originale.
L'Estonie a misé sur ses affinités culturelles avec la Finlande pour apparaître comme un pays « nordique », partisane des nouvelles technologies, libérale sur le plan économique et affichant une croissance insolente. A grand renfort de publicité et de « patriotisme économique », l'E-Estonie comme elle aime à se définir (l'Estonie numérique) a capitalisé le nom de grandes firmes mondiales qui y sont nées comme Skype. Surfant, sur la vague numérique, le pays multiplie les prouesses en organisant les premières élections législatives électroniques.
La Lituanie s'est choisie un autre registre : celui d'un petit qui veut devenir grand. Dans le domaine de la politique étrangère, elle a multiplié les initiatives vers les pays de la CEI et en particuliers vers la Biélorussie et l'Ukraine. Lors de la Révolution Orange, on a vu les présidents polonais et lituaniens apparaître en médiateurs de l'Union européenne tout entière. Par ailleurs, le pays entretient de meilleures relations avec la Russie que ses deux voisines du Nord et tente de se positionner comme un véritable acteur du dialogue russo-européen. Ce rôle est aussi renforcé par la géographie : la Lituanie est le « verrou » qui sépare Kaliningrad – terre russe enclavée en Europe – de la mère patrie.
L’Estonie et la Lituanie, en se faisant connaître au niveau européen pour certaines de leurs priorités, on réussit à rendre plus audibles leurs priorités de politique étrangères – l’Estonie vers le Caucase et la Lituanie vers l’Ukraine et la Biélorussie. Ainsi, leurs autres partenaires européens connaissent leurs priorités, leur associent une image. Les petits pays dans la construction européenne, et surtout dans la politique étrangère, doivent trouver leur créneau. Les Estoniens et les Lituaniens semblent plus avancés que la Lettonie dans ce domaine. Pourtant le pays possède de nombreux atouts et parmi ceux-là, trois pistes pourraient être explorées.
Le dialogue énergétique.
La Lettonie est particulièrement dépendante de la Russie pour ses importations énergétiques, elle a donc tout intérêt à voir se créer une véritable politique commune européenne. Le pays dispose d'arguments en sa faveur : le commissaire européen à l'énergie est letton – même si officiellement il ne représente pas son pays, il lui est associé en terme d’images - le pays est celui qui produit la plus grande part de sa consommation énergétique par les énergies renouvelables (36% alors que la moyenne européenne est de 6%) et les cavités naturelles permettraient de mettre en place de véritables « réservoirs européens » de gaz pour parer ensemble à une crise majeure. Alors que la question énergétique est au cœur des débats européens, la création d'une politique commune dans ce domaine est perçue par certains – comme Philippe Herzog – comme un projet mobilisateur susceptible de motiver assez les gouvernements, y compris les plus réticents, pour relancer la construction européenne.
La politique migratoire.
La Lettonie connaît une pyramide des âges mais aussi un flux d'émigration qui pourraient mettre en péril sa forte croissance. Mais au-delà de la Lettonie, c'est l'Europe tout entière qui est confrontée à la question migratoire à cause de son déficit démographique.
Pourtant, l'Europe a besoin d'une politique positive, constructive et anticipative pour ne pas avoir, dans quinze ans, à décider de ces questions fondamentales dans la précipitation. Or, la question migratoire a surtout été, aujourd'hui, abordée sous l'angle du contrôle des frontières alors que l'espace Schengen et son extension permet une libre circulation toujours plus intense.
Alors qu'il semble y avoir un terrain favorable à un questionnement de ce type dans les sociétés européennes, la Lettonie pourrait user de son influence, avec ses partenaires, pour mettre cette question sur l'agenda européen dans les mois et les années qui viennent.
La société multiculturelle.
On a beaucoup parlé à l'Ouest de la question des minorités russophones de Lettonie, souvent sous un jour négatif. Pourtant, la Lettonie n'a jamais eu à faire face aux conflits parfois violents qui ont secoué la France, l'Angleterre ou les Pays-Bas.
Cette proposition peut paraître audacieuse mais elle est l'un des défis de la société européenne de demain : la société lettone, par l'intermédiaire de son ministère de l'Intégration et de différents mécanismes de paix sociale, a pu faire face au défi du multiculturalisme, certes aussi sous la pression internationale. C'est pour cela qu'elle a été montrée en exemple en Croatie mais aussi dans le Caucase, mais cette seconde partie de « l'histoire des russophones de Lettonie » n'est pas connue à l'Ouest et elle mérite d'être promue pour lancer un véritable débat paneuropéen sur l'intégration, notamment dans les zones périphériques de l’Union européenne (Balkans, Caucase) où le défi de faire vivre ensemble des populations très différentes est un vrai challenge.
Un haut diplomate letton expliquait avec le sourire « on a appris beaucoup de choses, on a fait quelques erreurs et aussi inventé quelques solutions ». L’expérience des fenêtres de naturalisation finalement abandonnées, celle de la réforme du système scolaire ou de la mise en place d’un examen de citoyenneté sont autant d’atouts pour l’expertise lettone.
La définition d'un nouvel agenda pour la politique étrangère de la Lettonie, maintenant membre de l'Union européenne et de l'OTAN, est un défi important pour un pays qui doit tenter de passer de la périphérie du débat européen au centre de celui-ci.
Merci à Céline Bayou, de Regards sur l'Est , pour ses conseils et ses suggestions. Illustration : Jens-Olaf Walter, Hillary Rodham Clinton, mars 11, 2007.