
Entre 1979 et 2009, la population flottante chinoise, migrant des campagnes vers les villes, est passée de 6 à 211 millions, faisant des villes chinoises un des moteurs de l’urbanisation mondiale. A l’heure du développement durable et de la croissance verte, l’Europe cherche à se positionner en partenaire stratégique dans l’élaboration des nouvelles villes chinoises. Quel sera son rôle et à quels écueils doit-elle faire face ?
Entre 1979 et 2009, la population flottante chinoise, migrant des campagnes vers les villes, est passée de 6 à 211 millions (UN-Habitat), faisant des villes chinoises un des moteurs de l’urbanisation mondiale. Cette urbanisation galopante, sans commune mesure avec l’histoire des villes européennes, devient donc un enjeu mondial dans le contexte de la lutte contre le changement climatique. Les puissances européennes sont en première ligne, avec la création d’un partenariat sino-européen sur l’urbanisation durable, projet politique porté par l’Union Européenne en Chine. Il devient alors impératif de s’interroger sur les enjeux de ces nouveaux partenariats : quel sera le rôle de l’Europe dans la construction des futures villes chinoises ?
Le développement d'un cadre politique pour un partenariat sur l' « urbanisation durable »
Dès 2010, l'exposition universelle de Shanghai est transformée en une vitrine de l'urbanisation durable, au travers de l'installation de bâtiments européens « auto-suffisants », prototypes de la ville de demain. Ce contexte est propice au lancement d'un nouveau cadre de coopération sino-européen autour de l'urbanisation durable, partenariat stratégique annoncé par le Service Européen pour l’Action Extérieure dès 2010 dans un rapport remis au conseil européen. En parallèle d'un accent mis sur l'accès au marché chinois par la suppression des barrières d'entrée, axe favori de la politique commerciale européenne en Chine, ce partenariat doit permettre aux entreprises européennes de se placer en position stratégique dans la construction des futures villes chinoises, et particulièrement dans la construction de bâtiments « verts » permettant de réaliser des économies d'énergie.
Ce contexte politique va de pair avec les développements récents du concept de « ville durable » ou ‘ecocity’, ville popularisée par l’architecte Paul Downton, caractérisée par son autonomie en termes d’alimentation et d’énergie, et une empreinte carbone la plus faible possible. Elle est souvent associée à la ville intelligente, ‘smart city’ où les habitants pourraient contrôler leur consommation en énergie grâce aux nouvelles technologies. Ce concept a une résonance forte en Europe, tout spécialement aux Pays-Bas à Amsterdam, où depuis 2009 le partenariat public-privé mené par les groupes Liander et AIM est à l'origine de nombreuses initiatives pour l'intégration de nouvelles technologies dans la ville (The Global Urbanist, 2011). En Chine, la ville durable est vue comme un symptôme des enjeux de l'urbanisation chinoise. Au cours des vingt à trente prochaines années, UN-habitat prévoit que la population flottante chinoise se maintiendra au dessus de 200 millions de migrants. Les défis à relever ne sont pas seulement environnementaux : la planification urbaine doit trouver des réponses aux besoins en logement, en infrastructures et en services de ces nouveaux arrivants. Ainsi, les villes chinoises deviennent le catalyseur des questions relatives à l'urbanisation dans les pays en développement : comment intégrer une population croissante et développer des infrastructures et services appropriés tout en prenant en compte l'impact énergétique et environnemental des villes ?
Une implication européenne aux multiples facettes
A cet égard, l'implication européenne est de deux ordres : dans le cadre de la recherche tout d'abord, avec la création du programme URBACHINA visant à modéliser les grandes évolutions urbaines d'ici 2050, ou encore des partenariats comme celui réalisé à Shanghai entre le Scientific and Technical Centre for Building (CSTB), le Shanghai Building Sciences Research Institute, et l'Académie d'Architecture et d'Urbanisme de l'université Tongji, qui publient ensemble un recueil Cities and forms – on sustainable urbanism.
Dans un deuxième temps, l'implication européenne est avant tout commerciale, avec l'implantation en Chine de nombreux bureaux d'architectes comme les français AREP, auteurs de la gare de Xizhimen à Pékin. Cette présence est d'ailleurs sujette à des critiques croissantes de la part d'universitaires chinois qui reprochent aux municipalités de faire de leurs villes des « prototypes » terrain de jeux pour des projets architecturaux qui n'auraient pu voir le jour du fait des régulations européennes. Alors la Chine serait-elle le nouvel eldorado du développement vert pour les pays européens ? Les obstacles ne manquent pas…
Des partenariats qui font face à des écueils majeurs
Les entreprises européennes en Chine peuvent se retrouver prises au piège du jeu de la gouvernance urbaine chinoise. L'échec de la ville de Dongtan, projet d'écoville qui devait voir le jour près de Shanghai, est un exemple illustratif à ce titre. Le projet avait été lancé en 2005 par Tony Blair et Hu Jintao eux-mêmes, et Gordon Brown affirmait par la suite que « le Royaume-Uni et la Chine seraient à la pointe de la création des villes durables dans le monde » (The Telegraph, 2008). La ville, qui devait être construite par l'entreprise anglaise ARUP, n'a jamais vu le jour ; et différentes raisons potentielles sont présentées dans les média : la mise en cause de Chen Liangyu, à la tête de la section du parti communiste dans la ville de Shanghai pour fraude en septembre 2006 est une hypothèse. Dans un deuxième temps, le terrain sur lequel devait se dresser la ville de Dongtan serait en réalité une zone humide fragile, écosystème refuge pour des oiseaux migrateurs. Ce projet, qui devait être la vitrine de l'écoville chinoise, devient donc surtout le symbole de son échec, et par là même le symbole des difficultés de la coopération sino-européenne dans le domaine de l'urbanisation durable.
D'autre part, le contexte politique chinois avec le développement d'une politique d'innovation privilégiant les entreprises chinoises est une deuxième source de difficultés. Les promoteurs immobiliers européens font face à de nombreuses barrières à l'entrée sur le marché chinois, alors que les entreprises expertes en nouvelles technologie sont sollicitées, au risque parfois de devoir effectuer des transferts de technologie bénéficiant aux entreprises chinoises. Au final, le bilan est plus que mitigé si l'on regarde les perspectives de l'engagement européen en Chine : des difficultés d'ordre politique viennent s'ajouter aux critiques déjà fortes portant sur le concept de ville écologique. On reproche à ces villes d'avoir en réalité un impact écologique minime, et de ne pas prendre en compte les habitants dans le processus de décision.
La Chine et l'Europe font donc face à des interrogations convergentes en matière de développement durable. Avec une urbanisation galopante et des risques environnementaux à la hausse, la Chine semble avoir tout à gagner d'une coopération avec des entreprises européennes leaders sur le marché du « smart ». Reste à savoir si les acteurs européens sauront tracer leurs chemins au milieu des problèmes de gouvernance urbaine locale, et si ces projets, présentés comme le futur des villes asiatiques, sauront dépasser leur statut de vitrine pour avoir un impact écologique conséquent, tout en restant « démocratique » et accessible à différentes catégories de population. Elles pourraient alors donner corps à une coopération stratégique sino-européenne.
Pour Aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Dossier de février 2012 : Construire et déconstruire les relations Europe/Asie ?
Sur Internet
- GREEN, Zoe, « Through trial and error, ‘smart cities’ are slowly getting smarter », The Global Urbanist, 14 Décembre 2011
- MARTINE, George (2009) ‘Population Dynamics and Policies in the Context of Global Climate Change’, in José Miguel Guzmán, George Martine, Gordon McGranahan, Daniel Schensul and Cecilia Tacoli (eds) Population Dynamics and Climate Change (IIED/UNFPA: London/New York), 9-30
- MOORE, Malcolm, « China's pioneering eco-city of Dongtan stalls », The Telegraph, 18 Octobre 2008
- UN Habitat, The State of China’s Cities 2010/2011. Better City, Better Life, Foreign Language Press, 2010,
www.unhabitat.org/pmss/getElectronicVersion.aspx?nr=3012&alt=1
- YUJIE, Liu, « Bad boy architects and China's new face », China Daily, 16 Octobre 2011
À lire
- OBRINGER, Frédéric, « Les écovilles en Chine. Du rêve nécessaire à la réalité marchande », Mouvements 4/2009 (N°60), p.29-36
Source photo: Beijing's CBD showing both the CCTV towers and China World Tower 3 near completion par Bostonalejandro sur wikimedia