Politique de voisinage : l'UE se donne-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Par Anne-Sophie Jameux | 6 février 2010

Pour citer cet article : Anne-Sophie Jameux, “Politique de voisinage : l'UE se donne-t-elle les moyens de ses ambitions ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Samedi 6 février 2010, http://www.nouvelle-europe.eu/node/788, consulté le 02 avril 2023

start_stop_130.jpgIl y va de l’intérêt de l’Union européenne de soutenir le développement et d’encourager la coopération chez ses pays voisins. C’est ainsi qu’en sept ans les fonds destinés à atteindre ces objectifs n’ont eu de cesse d’augmenter. La nature de ces fonds nous éclaire-t-elle sur les ambitions de l’UE dans son voisinage ?

Il y va de l’intérêt de l’Union européenne de soutenir le développement et d’encourager la coopération chez ses pays voisins. C’est ainsi qu’en sept ans les fonds destinés à atteindre ces objectifs n’ont eu de cesse d’augmenter. La nature de ces fonds nous éclaire-t-elle sur les ambitions de l’UE dans son voisinage ?

Une politique sur mesure pour un voisinage hétérogène

Lors de la création de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) en 2003, incluant les voisins de l’Est, ainsi que, par la suite, ceux du pourtour méditerranéen (partenaires du processus de Barcelone), nul ne doutait des intérêts en jeu : assurer la sécurité aux frontières mouvantes de l’Union, promouvoir la stabilité politique d’un continent, et encourager la prospérité économique. Dans un même temps, envisager d’une part la participation progressive de ces pays partenaires au marché intérieur, et d’autre part leur rapprochement avec les textes législatifs et réglementaires européens afin d’atteindre des normes élevées dans les domaines appropriés, était une ambition de taille. La question cependant était de savoir comment, dans ce cadre, aller au delà d’une simple politique étrangère, encore inexistante en Europe, en posant les jalons de mesures qui viendraient appuyer les réformes internes de ces pays, et les soutenir dans leur efforts d’harmonisation avec l’acquis communautaire.

Le défi? Etre capable d’agir de manière diversifiée, en prenant compte des priorités de développement de chaque pays, et de manière progressive, en permettant à ceux qui font le plus d’efforts de bénéficier de plus de moyens. La solution? Des plans d’actions à court et moyen termes, décidés selon des accords bilatéraux entre le pays partenaire et la Commission européenne pour une période de 3 à 5 ans, comprenant des planifications annuelles de résultats à atteindre et qui détermineront en partie les financements attribués. Les bénéficiaires ? Les pays partenaires de la politique bien sûr, mais aussi leurs régions, leurs institutions et les organisations de la société civile. La nature de l’aide au développement et à la coopération, apportée par l’Union européenne à ces pays, se veut être à la fois financière et technique.

Quel programme pour quel financement ?

Les objectifs de l’aide sont multiples : construire et encourager les coopérations, soutenir les initiatives de réforme institutionnelles, sociales ou encore économiques, qui seront menées par les partenaires eux-mêmes, assurer la formation, le soutien technique aux acteurs de ces réformes, leur permettre la participation à des programmes européens, et leur donner les moyens de les mettre en œuvre, etc… Face aux premières craintes inspirées par ce nouveau voisinage, les opportunités de ce qu’il avait à offrir se sont rapidement imposées, d’où une augmentation continue des fonds ces dernières années.

Selon une différenciation géographique, on trouvait jusqu’au 31 décembre 2006, des programmes tels que le programme TACIS (pour les pays de la Communauté des Etats Indépendants, CEI), et le programme MEDA (pour les membres du partenariat euro-méditerranéen), repris depuis 2007 sous l’égide l’un seul instrument juridique et financier: l’Instrument Européen de Voisinage et de Partenariat (IEVP), qui vise à simplifier les procédures et se rapproche du fonctionnement des fonds structurels puisqu’il repose sur trois principes: un partenariat, un cofinancement et une programmation multiannuelle. En abandonnant cette approche géographique, la Commission souhaitait consolider ainsi ses relations avec l’ensemble des Etats couvrant ses frontières, formant un cercle de voisins immédiats désormais bien défini.

Ce nouvel instrument, combinant des objectifs de politique étrangère et de cohésion économique et sociale, avait pour but de couvrir également de nouveaux domaines d’intérêt commun. En effet si environ 90 % des fonds de l'IEVP sont consacrés à des actions bilatérales spécifiques à chaque pays, ainsi qu'à des actions régionales devant impliquer au moins deux pays partenaires, les 10 % restants sont réservés à des nouveaux domaines d'activités communes, telle que la coopération transfrontalière ou encore des initiatives spécifiques. Parmi ces dernières il convient de distinguer la «facilité de financement consacrée à la gouvernance», dotée à titre indicatif d'une enveloppe de 300 millions d'euros pour la période 2007-2013, qui apporte un soutien supplémentaire aux pays partenaires ayant le plus progressé dans la mise en œuvre des priorités en matière de gouvernance convenues dans leurs plans d'action. Enfin, la «facilité d’investissement dans le cadre de la politique de voisinage», mise en place à la fin de 2007 et dotée d'une enveloppe de 700 millions d'euros pour la même période, qui finance des projets d'intérêt commun portant essentiellement sur l'énergie, l'environnement et les transports.

Concernant les programmes thématiques, l’Initiative européenne pour la Démocratie et les Droits de l'Homme (IEDDH) par exemple, incite au développement et à la consolidation de la démocratie et de l'État de droit ainsi qu'au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De nombreuses réalisations viennent illustrer ces efforts, même si elles sont bien souvent méconnues du grand public. A l’Est, les projets d’intérêt commun se reflètent notamment dans la gestion des conséquences sociales de la transition, dans la lutte contre la criminalité organisée (terrorisme, blanchiment d’argent, corruption), le renforcement de l’efficacité des administrations, ou encore dans les programmes de résolution des conflits ou de gestion de l’immigration. Dans les pays méditerranéens, on notera à titre d’exemple les milliers de professionnels - de juges, de procureurs, d’avocats et de hauts responsables des services de police de la région méditerranéenne - qui ont été formés dans le cadre de la politique de voisinage ces trois dernières années pour le renforcement d’une coopération judiciaire régionale en Méditerranée.

Des financements conséquents et en constante progression

Côté chiffres ? Le financement communautaire de la politique européenne de voisinage pour la nouvelle période budgétaire 2007-2013, s'élève à près de 12 milliards d'euros. On peut noter que cette somme est supérieure de 32 % par rapport au montant octroyé pour la période 2000-2006, ce qui revient, en moyenne à un coût annuel pour le budget de l'Union européenne d’un peu plus de 3 euros par citoyen de l'Union. Ces financements relevant de la PEV, ne concernent pas les pays impliqués dans le processus d’élargissement, qui de leur côté sont encadrés par les programmes de préadhésion financés par l’Instrument de Préadhésion (IPA), doté quant à lui de 11,5 milliards d’euros pour 2007-2013, remplaçant depuis 2007 les programmes PHARE (assistance générale aux pays d'Europe centrale et orientale), SAPARD (développement agricole et rural), ISPA (environnement et transports), PHARE CBC (coopération transfrontalière), CARDS (pour les Balkans occidentaux) et le programme Turquie.

L’Union européenne propose également d’autres formes d’assistance, plus techniques cette fois-ci aux pays du voisinage, tels que principalement le programme d'assistance technique et d'échange d'informations (TAIEX), ou encore des accords de jumelages à plus ou moins long terme consistants à l’envoi d’experts européens pour travailler avec leur homologues dans les pays partenaires afin de partager les connaissances, savoir-faire, et bonnes pratiques visant au rapprochement législatif et harmonisation avec l’acquis communautaire, à la convergence des réglementations et au renforcement des capacités des institutions.

Une politique pourtant source de contestations

« Asymétrique », « inégalitaire », trop « euro-centrée », « pas assez concertée », etc… telles sont les principaux reproches faits à cette politique qui dans ses modalités, revêt en effet des aspects contestables. A travers tous ces programmes d’assistance au développement et à la coopération, si l’Union européenne contractualise de fait ses relations avec les pays partenaires, elle conditionne dans un même temps la recevabilité de l’aide financière, de la coopération technique et de la participation aux programmes européen, au respect de valeurs et de principes qu’elle définit comme fondamentaux, à savoir le respect de la démocratie, de l'État de droit, des droits de l'homme, la bonne gouvernance, les principes d'une économie de marché et le développement durable, etc…

La difficulté est donc celle de la place réelle de la négociation lors de la conclusion des accords bilatéraux et de la définition des plans d’action avec chaque pays concerné. Par ailleurs, les pays méditerranéens regrettent une politique de voisinage trop disproportionnée dans l’attribution de l’aide par rapport aux pays de l’Est (actuellement deux tiers pour l'Est et un tiers pour le Sud), alors que les objectifs à atteindre sont plus ou moins similaires. Il convient d’ajouter qu’au sein même des pays de l’Est de l’Europe le fossé est disproportionné entre l’aide financière reçue par les états partenaires de la politique de voisinage et ceux qui sont entrés dans la phase de préadhésion. Si les instruments financiers dédiés à la politique de voisinage ne sont pas parfaits, leur utilité et leur efficacité sont cependant non négligeables.

Bien que cette politique soit encore trop récente pour pouvoir établir un véritable bilan, les rapports de suivi de chacun des pays partenaires, permet d'évaluer régulièrement les progrès effectués dans la mise en œuvre des différents plans d'action. La Commission qui dans ses rapports de stratégies, recense ces résultats affirme ainsi que les principales avancées sont jusqu’à présent : l’intégration économique, la mobilité, la coopération dans le domaine de la justice et de la lutte contre le crime organisé, et la coopération dans le domaine de l'énergie et de la sécurité énergétique. Il semblerait ainsi que l’Union se donne les moyens de ses ambitions avec son voisinage. Il est donc à prévoir que cette tendance vers toujours plus d’aide et d’assistance aux pays voisins se poursuive dans les prochaines années, dans la mesure où il y va de l’intérêt propre de l’Union. Reste à espérer dès lors qu’au même titre, les priorités et les besoins des pays concernés seront un peu plus pris en compte.

Pour aller plus loin

Sur Nouvelle Europe

Sur le web 

  • agence EuropeAid sur les programmes de coopération extérieure pour les pays voisins de l’UE
  • Dossier « La politique de voisinage » de la Documentation francaise
  • Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen relative aux instruments consacrés à l’aide extérieure dans le cadre des futures perspectives financières 2007-2013. COM/2004/0626 final

Illustration : Paul. START / STOP, Avril 14, 2008. Flickr. http://www.flickr.com/photos/paopix/2413495787/.