De quel nouveau gazoduc l'Europe se
dotera-t-elle ? Deux grands projets sont actuellement en concurrence pour
élargir son approvisionnement en gaz. Le poétiquement dénommé Nabucco est
avancé par l'Union européenne (UE); le projet South Stream en est la
contre-proposition russe. A l'heure où les décisions du Conseil européen se
prennent à l'unanimité, certains pays de l'UE hésitent encore sur l'option à
privilégier.
De quel nouveau gazoduc l'Europe se
dotera-t-elle ? Deux grands projets sont actuellement en concurrence pour
élargir son approvisionnement en gaz. Le poétiquement dénommé Nabucco est
avancé par l'Union européenne (UE); le projet South Stream en est la
contre-proposition russe. A l'heure où les décisions du Conseil européen se
prennent à l'unanimité, certains pays de l'UE hésitent encore sur l'option à
privilégier.
Environ un quart du gaz européen arrive de Russie. L'Europe occidentale le
partage déjà dans un dense réseau de pipelines, mais avant de l'atteindre, le
gaz russe transite en grande majorité par l'Ukraine. Or, quand celle-ci ne
règle pas sa facture d'énergie à Gazprom, la Russie réplique en coupant les vannes,
au détriment des consommateurs européens. Après plusieurs incidents de ce type,
dont un l'hiver dernier, l'UE a fait du développement de Nabucco une priorité.
Son nouveau gazoduc lui permettrait en effet de contourner l'Ukraine,
sécurisant ainsi son approvisionnement. Par la même occasion, l'UE en
diversifierait l'origine. Le gaz transporté ne viendrait, dans l'idéal, pas de
Russie mais du Moyen-Orient et d'Asie centrale. Elle réduirait ainsi sa
dépendance énergétique face à Gazprom, société russe dominant ce marché.
Comme dessiné sur la carte, Nabucco est un pipeline de liaison. Il est conçu
pour relier deux infrastructures déjà existantes : le gazoduc de Géorgie,
ou celui de l'Iran selon les accords qui seront négociés, et le réseau
européen. Il devra par conséquent traverser la Turquie, mais aussi la Bulgarie,
la Roumanie et la Hongrie, pour arriver jusqu'en Autriche. L'Europe occidentale
bénéficierait ainsi d'un lien énergétique direct avec les pays du Caucase.
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Nabucco : des doutes sur le
financement et l'approvisionnement
D'ici là, 3300 kilomètres de pipelines sont à construire. Alors que la mise en
service de Nabucco est annoncée pour 2014, deux interrogations n'ont pas de
réponse assurée. Comment financer cette construction et où trouver le gaz pour
l'alimenter ?
Les membres du projet doivent collecter 8 milliards d'euros. Des institutions
internationales comme l'UE, la Banque mondiale, la Banque européenne
d'investissement ou la Banque européenne pour la reconstruction et le
développement pourraient participer à hauteur de 70%. Les 30% restants seront
financés par les groupes d'hydrocarbures concernés : Boras pour la
Turquie, Bulgargaz pour la Bulgarie, Transgaz pour la Roumanie, MOL pour la
Hongrie, OMV pour l'Autriche et REW pour l'Allemagne.
D'où proviendra le gaz transporté ? Aucune certitude pour l'instant.
L'Azerbaïdjan pourrait fournir 3 milliards de m3,
mais son président déclarait, le 18 janvier, attendre d'être convaincu du
sérieux de la proposition européenne pour signer. Le même jour, un partenariat
énergétique se concluait entre l'UE et l'Irak. Le Kurdistan irakien pourrait
alimenter Nabucco de 8 à 10 milliards de m3.
Pour le gaz du Turkménistan et celui du Kazakhstan (s'ils donnaient leur
accord), il faudrait construire des infrastructures sous la mer Caspienne.
Quant à l'approvisionnement de l'Iran, tout dépend du climat international...
Par ailleurs, il est à envisager que ces pays préfèrent faire affaire avec
l'Asie plutôt qu'avec l'Europe. Conclusion : le gaz transporté par Nabucco
risque finalement de venir du pays qu'il cherche à éviter, la Russie.
South Stream : un sérieux
concurrent
Réagissant à cette perspective d'amenuisement de leur leadership gazier, la
Russie et Gazprom ont rapidement élaboré à leur tour un projet de pipeline dans
le sud de l'Europe : South Stream. Ce dernier a l'avantage d'être complété
par North Stream, autre pipeline russe qui contournerait l'Ukraine, cette fois
par le Nord.
Alimenté par Gazprom, South Stream partirait de Russie et s'étendrait sur 900
kilomètres, dont une partie offshore, afin de traverser la mer Noire jusqu'à la
Bulgarie. Une branche sud traversera ensuite la Grèce vers l'Italie du Sud et
une branche nord la Roumanie, la Serbie, la Hongrie et la Slovénie vers
l'Italie du Nord et l'Autriche.
Les deux projets se ressemblent. L'avantage de Nabucco est son moindre coût (le
gazoduc de la Russie dépasserait les 10,5 milliards d'euros) pour une capacité
d'approvisionnement équivalente, soit environ 30 milliards de m3 par an. Moscou a cependant annoncé que ce potentiel pourrait doubler
et que son pipeline serait opérationnel dès 2013. Avec South Stream et North
Stream, la Russie renforcerait considérablement la position de Gazprom sur le
marché du gaz européen.
Vers quel dénouement se dirige-t-on ?
Pour l'instant, cinq pays ont signé un accord pour la réalisation de
Nabucco : l'Autriche, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie et la Turquie.
Quant au projet russe, il est soutenu par l'Italie (le groupe italien ENI), la
Grèce (DESFA), la Serbie (Srbijagas) et la Slovénie (Geoplin plinovodi). La
France, qui avait déjà rejoint le projet North Stream à travers un partenariat
entre GDF-Suez et Gazprom, a également signé le 2 février, pour une
participation possible d'EDF à South Stream. Des pays déjà signataires de
Nabucco se tournent également vers South Stream. La Russie a passé des accords
avec l'Autriche et avec la Hongrie (le 29 janvier notamment, pour la
construction d'un tronçon de South Stream). Quant à la Bulgarie et la Serbie,
leurs sociétés énergétiques (Bulgarian Energy Holding et NIS) sont sous
contrôle. Reste à convaincre la Roumanie.
Face à la ligne directrice du Kremlin, les pays européens peinent à adopter une
position unique. En 2010, à moins de deux ans de la mise en chantier de Nabucco,
des contrats devront être signés. Si Bruxelles soutient officiellement ce
projet, il reviendra aux Vingt-sept de sceller le sort de Nabucco. Le gazoduc
européen sera-t-il soutenu ou abandonné ?
Au vu des difficultés évoquées, il est peu probable que ce projet soit réalisé
dans sa forme initiale, mais une alternative germerait d'une conciliation des
deux. South Stream pourrait alimenter le gazoduc européen. L'union fait la
force. D'autant plus que l'origine de cette rivalité, l'Ukraine comme maillon
faible de la chaîne gazière, pourrait disparaître après l'élection
présidentielle du 7 février et le départ du président pro-occidental Viktor
Iouchtchenko.