Lorsqu’on évoque la période de transition des pays membres de l’Union européenne, issus d’Europe centrale et orientale, on pense souvent à un homme, Georges Soros, milliardaire américain, d’origine hongroise. Dès le milieu des années 1980, par l’intermédiaire de sa fondation, il y a financé des programmes de développement de la démocratie. Alors Georges Soros a t-il vraiment été l’homme providentiel pour la naissance d’une nouvelle élite dans ces pays ? A t-il été plus efficace de l’Union européenne dans leur transition ?
Qui est Georges Soros ? Un des plus grands philanthropes du monde, finançant des programmes et initiatives à travers les cinq continents ? Un spéculateur milliardaire dont on dit qu’il fit sauter la banque d’Angleterre ? Un homme d’affaires avisé ? Un philosophe « manqué », ami de Karl Popper, épistémologiste, qui a aussi réfléchi au principe de démocratie. Peut-être un peu de tout, faisant de lui une personnalité controversée et admirée.
Georges Soros est né en 1930 en Hongrie. En plus du hongrois, sa langue maternelle est l’Espéranto, pratiqué par son père. Après la Seconde Guerre mondiale, Soros s’exile en Angleterre, où il étudie par la suite à la LSE. En 1956, Soros part aux États-Unis, où il se spécialise dans le conseil en investissements. Il fonde sa première société en 1970, Quantum Fund. Le magazine Forbes estimait en 2007 que la fortune de Georges Soros s’élevait à environ 8,5 milliards de dollars.
Les réflexions de Karl Popper sur la démocratie semblent avoir marqué Georges Soros notamment l’idée que les sociétés doivent être plus ouvertes et représentatives des citoyens. Ceux-ci doivent être mieux formés et mieux informés. La création de la Fondation Soros et le développement des Open Society Initiatives répondent à ces principes, notamment en Europe centrale et orientale.
Dès les années 1980, Soros s’investit dans cette partie de l’Europe et accompagnera les pays de l’ex-bloc communiste dans le chemin de la transition, notamment politique. Un de ses premiers engagements est le soutien à l’Université d’Europe centrale, aujourd’hui l’une des universités européennes les plus prisées, bâtie sur le modèle des structures américaines. Tout débute par un soutien de Georges Soros à une initiative universitaire lancée à Dubrovnik, en 1989. L’idée que tous les étudiants de la région des PECO étudient ensemble au sein d’un réseau universitaire le séduit. En 1991, le réseau est établi entre Budapest, Prague et Varsovie, avant de centraliser l’université à Budapest. Tournée vers les sciences sociales et les humanités, l’université accueille dans les années 1990 des étudiants principalement venus d’Europe centrale et orientale, de Russie, du Caucase et d’Asie centrale. Aujourd’hui les étudiants viennent du monde entier, avec près de 96 nationalités différentes. Pour l’année 2008-2009, la fondation Soros finance l’institution à hauteur de 420 millions de dollars.
On peut s’interroger sur le parcours des étudiants formés pendant la période de transition : les premiers, qui avaient 18-20 ans en 1992, ont aujourd’hui presque la quarantaine. On peut considérer qu’ils font bien partie de cette génération qui a vécu la transition économique et politique, ainsi que l’entrée de leurs États dans l’Union européenne. Mais une fois formés, ont-ils vraiment participé à la transition de leur pays ? Difficile de le savoir sans une vraie enquête parmi les "Alumni". On cite, par exemple, parmi les anciens, Livia Jaroka, hongroise, première femme issue de l’ethnie Rom à être élue députée européenne. Spécialisée en anthropologie, elle a enseigné à UCL à Londres et en Hongrie. En 2006, elle a été désignée "Jeune Leader mondial" par le Forum économique mondial. Aujourd’hui, même si le public étudiant de l’UEC est plus diversifié sur le plan des nationalités, la plupart des jeunes diplômés reste travailler dans l’Union européenne ou dans les États membres de l’AELE (presque 60% de tous les diplômés depuis la création). D’autres statistiques sur l’ensemble de diplômés montrent que la majorité (54%) s’est tournée vers des métiers dans le secteur non-lucratif : recherche et enseignement, organisations internationales, groupes de défense et d’intérêt public. 34% se sont dirigés vers le monde des affaires.
Georges Soros s’est aussi investi auprès de fondations régionales agissant en Europe centrale : elles sont devenues des membres du réseau de la fondation mère, la Fondation Soros. Ainsi, on compte aujourd’hui des structures dans dix États, devenus membres de l’UE : en Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Roumanie et Bulgarie. Chacune développe, soutient ou initie des programmes d’aide pour plus de démocratie et de citoyenneté, dans le cadre du Open Society Institute. Les projets soutenus favorisent, entre autres, plus de justice, un meilleur accès à l’éducation ou à la santé publique, la promotion de média indépendants, le développement d’une responsabilité civile, ou encore plus d’égalité des chances. Elles se veulent être aussi relais d’opinion, par la publication de position papers ou l’organisation de conférences et séminaires. La fondation estonienne, Avatud Eesti Fond, se prononce largement pour un soutien aux étudiants biélorusses présents dans le pays et aux forces démocratiques présentes dans le pays.
Si on regarde les « animateurs » de ces structures, on s’aperçoit que tous sont des personnes issues de l’État membre. Le profil est toujours le même : économiste, philosophe, avocat, physicien, banquier, politique… La fondatrice de la structure lettone, Vita Matiss, est une américaine d’origine lettone, politologue, professeur associée à l’université de Riga. Elle est engagée à l’heure de la crise dans des mouvements de soutien aux enseignants et fonctionnaires lettons, touchés par des baisses drastiques de salaires. Il s’agit donc de personnes lettrées, formées, actives dans la société de leur État respectif.
Mais alors, Georges Soros apparaîtrait-il bien comme un des acteurs plus ou moins directs du processus de transition et démocratisation des sociétés des pays de l’ex-bloc communiste ? Et l’Europe dans tout cela ? L’Union européenne ou le Conseil de l’Europe n’ont-ils rien fait ? On le sait, ces deux organisations ne sont pas démunies de programmes et de possibilités d’action. Le Conseil de l’Europe était même l’institution la plus appropriée pour aider à la transition des États d’Europe centrale et orientale. Rappelons son objectif : « Favoriser en Europe un espace démocratique et juridique commun », avec des activités tournées vers la démocratisation, l’éducation, la culture ou encore la jeunesse. Les États membres suivants sont tous entrés au Conseil de l’Europe entre 1990 et 1995 : Bulgarie, Hongrie, Pologne, Estonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, République tchèque et Lettonie. Ainsi ils adhéraient aux principes du Conseil de l’Europe et pouvaient alors bénéficier des programmes d’action.
Tout comme en devenant candidats à l’entrée dans l’Union européenne, citons les programmes PHARE (intégration de l’acquis communautaire par les administrations et les entreprises), SAPARD (développement rural), ISPA (Instrument structurel de pré-adhésion, pour le renforcement de la cohésion économique et sociale). Cependant ces programmes communautaires, bien que les plus importants mis en œuvre pour une accession, ne visaient qu’à apporter une aide technique pour une meilleure intégration dans le monde communautaire quelque peu complexe.
L’action du philanthrope Georges Soros, en se concentrant sur la question de la démocratisation, a complété les actions des organisations plus politiques. Il a participé à la la formation et à l’implication d’une génération de femmes et de hommes éduqués et actifs, composant aujourd’hui de la société civile des États membres issus du grand élargissement de 2004 et 2007.
La présence de ses fondations s’est étendue au fil de années de transition et couvre des territoires que l’Union européenne compte également comme pays candidats ou comme pays intégrés dans sa politique de voisinage : Balkans (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine, Monténégro, Serbie), Moldavie, Turquie, Géorgie et Ukraine. Lequel des deux acteurs a aujourd’hui le plus d’influence sur l’émergence d’une nouvelle élite, engagée vers la démocratie et ouverte au monde ?
Pour aller plus loin
- Fondation Soros
- Site web de Georges Soros
- Université d'Europe centrale