Kaarel Robert Pusta était un visionnaire au cœur des événements politiques estoniens et européens. Il a vécu à une époque où son pays et l'unité du continent étaient en construction et y a joué un rôle décisif. Mais qui était vraiment cet homme méconnu au grand public ?
Kaarel Robert Pusta était un visionnaire au cœur des événements politiques estoniens et européens. Il a vécu à une époque où son pays et l'unité du continent étaient en construction et y a joué un rôle décisif. Mais qui était vraiment cet homme méconnu au grand public ?
Au service de l'Estonie
Kaarel Robert Pusta a vécu à une période particulièrement sombre de l'histoire estonienne, période de confusion, de changements de destruction. En effet, être homme politique et diplomate d'un nouvel État, dans un contexte international compliqué, est tout sauf un travail facile. Pourtant il a consacré toute sa vie à l'Estonie et à l'Europe.
Avant et pendant la première indépendance, Pusta a publié de nombreux ouvrages, articles et discours visant à faire apparaître l'Estonie sur la carte mentale des Européens. Au-delà de l'Estonie, il consacra aussi sa vie également à l'Europe, plus particulièrement à l'idée de l'Europe unie. Son combat fut empreint de multiples malheurs, après l'occupation des pays Baltes par l'URSS, K.R. Pusta consacra ses années d'exil à travailler sur l'idée de la restauration de l'indépendance de l'Estonie et des pays Baltes.
Cet Européen méconnu est né le 29 février 1883 à Narva (qui faisait partie de la Russie tsariste à l'époque avec toute l'Estonie). Jeune, il participa aux combats anti-tsaristes et fut pour cela arrêté en 1903. Libéré, il s'échappa à l'étranger en 1904 et vécut en Allemagne, en France et en Suisse. Il a commença alors sa carrière professionnelle en étant contributeur au journal Uudised et en retournant en Estonie en 1906, après la Révolution de 1905, a travaillé pour les journaux Virulane et Päevaleht.
Revenu au pays, il participa activement à l'indépendance du pays et fut chargé, au regard de son expérience internationale, d'obtenir la reconnaissance par la communauté internationale. Sa carrière diplomatique ne faisait que de commencer : de 1919 à 1933, Pusta fut ambassadeur en France et en Belgique, 1933-1934 en Pologne et en 1935 en Suède, au Danemark et en Norvège. Entre 1924 et 1925 Pusta devint Ministre des Affaires étrangères. Après le coup d'Etat avorté en 1935 en Estonie par un groupe d'anciens combattants de la guerre d'indépendance (1918-1920), Pusta est emprisonné mais libéré en 1936. Par la suite, il vécut à Paris et travailla comme conseiller à l'Ambassade d'Estonie à partir de 1939. Durant ces années, Pusta représenta l'Estonie à de nombreuses conférences internationales. Toute sa carrière professionnelle l'a conduit à être au cœur des affaires estoniennes et européennes et ainsi devenir l'un des principaux acteurs de l'action politique estonienne.
Une Estonie libre dans une Europe libre et unie
L'Estonie, devenue indépendante pour la première fois en 1918, est alors un petit pays à l'extrémité orientale de l'Europe ; un pays oublié à l'ombre d'une Russie menaçante. Le pays était fragile et donc cherchait désespérément une reconnaissance et du soutien des autres pays européens. K.R. Pusta voyait cela comme la seule solution possible pour son pays au XXe siècle : « libre Estonie dans une Europe libre et unie ». Depuis déjà des décennies, « soyons Estoniens et devenons Européens » était le mot d'ordre des intellectuels estoniens.
La nouvelle carte de l'Europe après la Première Guerre mondiale, loin de satisfaire les exigences de tous, risquait de créer des tensions et des conflits. Les nombreuses frontières nouvelles attisait à l'Ouest une « fatigue des petits pays ». Dans ce contexte fragile, Pusta considérait quant à lui que l'Estonie et les autres États nés de la guerre n'avaient de sens que dans une Europe de paix, une Europe forte, organisée et solidaire. Selon lui, tout ce qui renforçait l'envie de créer une union des Européens, renforçait également l'indépendance nationale de l'Estonie. « En soutenant l'Union paneuropéenne - le mouvement de Coudenhove Kalergi - , nous travaillons pour la maintenance de notre indépendance, le bien-être économique et la survie de notre culture nationale », a écrit Pusta dans ses mémoires.
« En dehors d'une Europe organisée de paix, l'Estonie indépendante n'est pas imaginable. L'objectif de notre politique étrangère est de montrer que aussi l'Europe a besoin de l'Estonie.[...] Je pense qu'on attend de nous et des autres pays Baltes un travail des Européens, la création de l'Union baltique, libre et rapide passage à la frontière et la tolérance et la coopération avec les minorités. Le bonheur de notre jeune liberté serait absolu si l'Europe devenait une grande union démocratique. [...] On dit que c'est un rêve. Mais est-ce que la Société des Nations, une fédération globale, n'est pas un rêve encore plus grand ? »
Unir pour vivre : le mouvement paneuropéen
« Nous n'avons pas voulu de rejoindre la Prusse ou aller avec la Russie. Nous avons choisi l'orientation européenne au bon moment ». K.R. Pusta faisait partie de ces hommes qui ont commencé à diffuser l'idée d'une Europe unie après la Première Guerre mondiale. Pour lui, l'âme de l'Europe morcelée est alors malade ; il fallait s'unir ou mourir. Pusta croyait que le développement politique du XXe siècle devrait être basé sur le respect mutuel entre les races et les nations et l'union des petits pays dans de fortes unions économiques.
À la Société des Nations, les pays Baltes, les plus jeunes pays d'Europe, sont devenus rapidement solidaires des autres pays de l'Europe et ont été à l'avant-garde du mouvement paneuropéen, défendu par le comte Richard Coudenhove-Kalergi.
D'ailleurs, nombreux étaient ceux qui suivaient avec intérêt leur projet d'une Union baltique. Pusta espérait que l'Union baltique - union d'un nouveau type car les pays seraient liés par les liens politiques et économiques - servirait d'exemple pour l'Union paneuropéenne. Malheureusement, ce projet n'a jamais abouti. Pourtant, cela n'a pas empêché K.R. Pusta de poursuivre inlassablement son travail pour le mouvement paneuropéen.
« L'idée des États-Unis de l'Europe n'est pas nouvelle, mais pour la première fois elle est devenue une affaire de la démocratie et non une affaire des utopistes, des rares gouvernants et des philosophes. Ce qui était encore hier considéré comme une utopie fait aujourd'hui partie des programmes politiques pratiques ». Pusta était pragmatique et essayait de faire avancer l'idée de l'Europe unie car selon lui, uniquement la voie de la diplomatie, de la solidarité et de l'union pourrait apporter la paix à notre continent. Il n'espérait pas aller rapidement jusqu'au bout de ce rêve, mais de construire quelque chose qui permettrait à tous d'avancer. « Les États-Unis de l'Europe sont peu probables. Si les parlements et les référendums de 26 pays européens commençaient à décider, il faudrait au moins 50 ans et nous n'avons pas de temps. Par contre, une union économique de l'Europe et un groupe des États européens au sein de la Société des Nations semble être un "rêve réaliste" ». Si Pusta a écrit dans ses mémoires qu'en 1929, lors de la première réunion des gouvernements européens (27 pays) à Genève, tous étaient d'accord sur la nécessité de l'union, le ton est totalement différent quelques années plus tard. En 1935, il écrit que l'Europe d'aujourd'hui semble être profondément morcelée et les tensions entre les peuples tellement fortes qu'on considère ceux qui parlent de l'Union comme des rêveurs inguérissables.
K.R. Pusta gardait l'espoir en Europe unie malgré la situation d'après la Deuxième Guerre mondiale : « Même si l'Europe unie reste une illusion alors que où 150 millions d'Européens sont obligés de rester à l'écart [NDLR : bloc soviétique], nous devons souhaiter sincèrement qu'au moins les peuples, qui sont libres à choisir leur destin, se réunissent ». C'était un homme qui s'est investi pendant toute sa vie pour ce en quoi il croyait : l'indépendance de l'Estonie et l'idée de l'Europe unie.
Kaarel Robert Pusta est mort le 4 mai 1964 à Madrid. Juste après, le journal Exil et liberté publie un article à sa mémoire : « Tous ceux qui ont gardé leurs idéaux patriotiques et l'espoir dans la libération de la partie occupée, ressentent l'importance de cette perte [la mort de K.R. Pusta]. Cet Estonien a marqué ses contemporains de son pays et au-delà de la frontière ».
Mariliis Mets est contributrice associée à Nouvelle Europe. Étudiante à Sciences Po, elle est actuellement en année d'échanges à l'université Corvinus de Budapest (Hongrie). |
Pour aller plus loin :
Sur Nouvelle Europe
- Eesti enstüklopeedia, Eesti Enstüklopeediakirjastus, Tallinn, 1994
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PUSTA, Kaarel Robert, Kirjad kinnisest majast, Kirjastus EMP, Stockholm, 1966
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PUSTA, Kaarel Robert, Kontrastide aastasada, Ilmamaa, Tartu, 2000
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PUSTA, Kaarel Robert, Saadiku pävik, Industrie-Druck GMBH, Allemagne, 1964
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PUSTA, Kaarel Robert, « Fonctionnement et travaux de la Commission d’Etudes pour l’Union Européenne », Revue de droit international N° 4-1931, Les Editions Internationales, Paris, 1931