
On ne peut nier la prédominance actuelle de la religion et de la culture catholique dans les mentalités et le quotidien des Polonais, mais il ne faut pas croire qu’il en a toujours été de même au cours de l’histoire de la Pologne. En effet son histoire religieuse est très dense et mouvementée mais elle a malheureusement été négligée après la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale et les ravages du régime communiste.
La situation religieuse actuelle en Pologne
Cent trente huit églises ou associations confessionnelles sont officiellement enregistrées aujourd’hui en Pologne. Toutefois la très grande majorité des croyants (près de 95 % de la société) se rattache à l'Eglise catholique. Les quatre rites catholiques (ukraino-byzantin, néo-uniate, arménien et romain) sont représentés, le dernier comptant le plus de membres. En 1998, plus de 35 millions de Polonais se déclaraient catholiques de rite romain, pour 9 990 paroisses et environ 28 000 clercs. L'Eglise orthodoxe autocéphale polonaise est la seconde communauté par sa taille, avec environ 800 000 fidèles (3% de la population). Enfin la troisième confession chrétienne en Pologne est le protestantisme qui se divise en plusieurs branches et compte environ 100 000 fidèles avec l'Eglise évangélique de la confession d'Augsbourg (à laquelle beaucoup de citoyens d'origine allemande sont rattachés), l'Église pentecôtiste ou l'Église adventiste du septième jour.
Outre les religions chrétiennes, la Pologne compte quelques autres groupements à caractère religieux, bien que leurs fidèles soient en nombre réduit. Ainsi l'Association confessionnelle musulmane (Islam) compte environ 3 000 fidèles (trois mosquées ont été construites en Pologne). Concernant la religion juive, après les purges communistes de 1968, moins d’une dizaine de milliers de Juifs demeurent sur le territoire polonais soit dans l'Association des communes confessionnelles juives (Confession de Moise) soit dans l'Association confessionnelle des Caraïtes karim (cette religion est un syncrétisme judaïco-islamique que confessent les représentants de la minorité ethnique turque). Enfin on constate aussi en Pologne la présence d'organisations s'apparentant aux religions orientales, comme l'Association internationale pour la Conscience de Krishna et l'Association bouddhiste.
À cette situation très monolithique fait face une histoire certes déjà majoritairement catholique, mais riche en influences religieuses et en tolérance.
La naissance de la Pologne par l’expansion de la chrétienté
La Pologne comme la majorité des pays européens a été reconnue comme royaume en 966 par le baptême de son Prince Mieszko. Grâce à cela Mieszko a pris une stature internationale et le pays s’est organisé autour des structures importées par la religion : la hiérarchie administrative, la structure sociale, l’appareil législatif et l’organisation de l’éducation sont le résultats de la conversion du souverain. Progressivement s’est donc constituée une élite polonaise centrée autour de l’Église et de la dynastie des Piast. La population ne s’est convertie que lentement en adoptant d’abord les rites puis ensuite seulement, les valeurs. Jusqu’au XIXe siècle, les campagnes polonaises ont conservé quelques restes du paganisme de sorte que la religion chrétienne n’était pas considérée comme la religion de la Vérité . Les autres religions étaient donc largement tolérées et acceptées (ce qui ne signifie pas que les populations s’appréciaient) puisqu’elles étaient considérées comme adorant un autre Dieu.
Toutefois la religion chrétienne s’est de plus en plus ancrée dans le territoire notamment avec le premier saint martyr polonais (et tchèque) Saint Adalbert. Son corps déposé dans l’église de la capitale du royaume, Gniezno, a permis à la Pologne de bénéficier d’un haut lieu de pèlerinage chrétien. L’empereur Otton III du Saint Empire Romain Germanique, y est ainsi venu en l’an Mil en pèlerinage pour donner son accord pour le couronnement du roi Bolesław (qui n’aura finalement lieu qu’en 1025 après l’accord du Pape).
La chrétienté est donc un élément fondamental pour la création de l’État polonais.
La chrétienté de la Pologne mélangée aux autres religions
Le Royaume de Pologne dès le XIe siècle est en contact avec d’autres religions. La première influence est venue du Saint Empire Romain Germanique. Le Drang nach Osten (poussée vers l’Est) initiée par Henri l’Oiseleur dès le début du Xe siècle, la poussée démographique et l’enrichissement de l’empire ont conduit à une vague d’immigration composée pour un quart de populations juives. Cette communauté mal acceptée dans l’Empire et subissant les débordements populaires des Croisades, a trouvé en Pologne l’espace de tolérance nécessaire pour s'épanouir. Grâce à eux la Pologne a pu développer son commerce avec le monde musulman (notamment le commerce de produits luxueux), et a fait connaissance avec une médecine évoluée et de nouvelles techniques. La société polonaise de l’époque était donc très largement marquée par cette présence juive, majoritairement urbaine.
L’Église polonaise restait cependant prédominante car c’est elle qui organisait la société polonaise avec les mêmes phénomènes que dans les autres pays européens (encellulement, vie rythmée par les fêtes religieuses et les sacrements…). Cependant elle s’est trouvée divisée en son sein par les dignitaires germaniques qui refusaient de se soumettre à l’Église polonaise. La grande immigration germanique en Pologne a d’ailleurs fait naître une grande germanophobie de sorte que, lorsque les Chevaliers teutoniques ont occupé la Poméranie orientale à partir de 1241, la Pologne s’est alliée à un État non catholique, la Lithuanie, contre l’avis du Pape. Cette Lithuanie mi-orthodoxe, mi-païenne faisait aussi appel à des supplétifs tatars (population musulmane d’origine mongole qui s’était installée après les invasions du XIIIe siècle) car elle s’étendait de l’Est de la Prusse à la Mer Noire.
La tolérance (qui ne porte pas ce nom à l’époque) de l’Église polonaise est telle que lorsqu’en 1338 Kazimierz le Grand a obtenu le trône de Ruthénie suite à l’extinction de la dynastie de Halicz, il n’a pas imposé la religion catholique à la population orthodoxe. Il a même demandé au Patriarche de Constantinople de réinstaller la hiérarchie orthodoxe qui avait décliné en même temps que la hiérarchie ruthène. Parallèlement la Pologne a accueilli une nouvelle vague d’immigration juive venue d’Europe occidentale qui, ployant sous les ravages de la peste, prenait les populations non-chrétiennes comme responsables de ce fléau. Kazimierz le Grand est ainsi devenu le protecteur des Catholiques, des Orthodoxes et des Juifs, dans un pays en grand développement économique. Dans la population, la culture juive touchait avant tout les villes qui bénéficiaient de leurs réseaux commerciaux et de leur savoir médical, tandis que l’art orthodoxe se mélangait progressivement à l’art catholique notamment dans les décorations des églises et cathédrales du sud de la Pologne.
Les religions catholiques et orthodoxes ont encore renforcé leurs liens lors de l’Union de Lublin en 1569 qui a vu l’association sous la même couronne du Royaume de Pologne et du Duché de Lithuanie. Les deux religions chrétiennes avaient le même statut de religion officielle, alors que la Lithuanie était elle-même catholique. La République des Deux Nations a aussi mis en place une tolérance encore inconnue à l’Ouest de l’Europe en accordant à la communauté juive et arménienne à avoir leur propre Diète (Assemblée), leur propre régime des impôts et leurs propres tribunaux. Seuls les Turco-tatars n’en bénéficiaient pas, disposant seulement d’un statut nobiliaire sans droit de vote ni de siège à la Diète. Durant cette période on constate tout de même beaucoup de conversion de femmes à l’Islam suite à leur mariage avec des nobles tatars.
La Réforme et la Contre-Réforme en Pologne
La Réforme protestante au début du XVIe siècle, a conforté la Pologne-Lithuanie dans son idée de tolérance. Beaucoup de nobles catholiques ou orthodoxes se sont convertis car cette nouvelle religion semblait détenir la solution à leur situation particulière. Toutefois le succès du Protestantisme dans cette République, provenait surtout de la conception politique qui en découle en se présentant comme les éléments les plus dynamiques de la démocratie nobiliaire polono-lituanienne.
L’influence de la Réforme est restée cependant faible et éphémère. Faible car les nobles polono-lituaniens n’étaient pas prêts à renoncer à leur train de vie pour suivre l’austérité prônée par le calvinisme. Ephémère car dès la fin du Concile de Trente (1562-1563), les Jésuites sont arrivés en Pologne et ont donné au catholicisme une coloration plus polonaise et plus orientale. Le catholicisme est alors enfin devenu une religion éveillant une sensibilité populaire. En 1596 lors de l’Union de Brześć (Brest-Litovsk), les Jésuites ont aussi créé l’Église gréco-catholique. Par cela ils ont proposé aux évêques orthodoxes d’intégrer l’Église catholique tout en gardant le rituel grec. La grande majorité de la hiérarchie orthodoxe est donc passée sous l’autorité de l’Église catholique, faisant de l’orthodoxie une minorité niée et illégale dans la République des Deux Nations. Cette minorité orthodoxe a cependant trouvé au XVIIe siècle un protecteur intéressé dans la population des Cosaques zaporogues, constituée des mécontents de la République. Ce groupe areligieux recherchait en effet une légitimité pour obtenir une reconnaissance du roi. C’est le début de la décadence de la tolérance religieuse en Pologne, car la religion devient un objet politique.
La progression de l’intolérance
En 1655, les Suédois ont envahi la Pologne pour des raisons dynastiques. Mais cette guerre a rapidement pris des tournures de guerre de religion, jusque-là inconnue en Pologne. En effet, les soldats suédois luthériens cherchaient à détruire les fondements du « néo-paganisme catholique ». De plus cette guerre pleine d’hypocrisie et de retournement d’alliance, a été retenue en Pologne comme celle de la victoire du catholicisme avec l’apparition de la Vierge Noire au monastère de Częstochowa arrêtant la progression des Suédois.
Cette légende peut être considérée comme le symbole de l’évolution des religions en Pologne. À partir de cette guerre en effet, chaque religion s’est repliée sur elle-même en se méfiant des autres. Chacune jouait sur l’affectif de la population en appuyant sur l’extase et le merveilleux, même chez les Juifs qui ne s’appuyaient plus autant sur la lecture des textes. L’intolérance se faisait de plus en plus sentir, la religion catholique devenant la seule religion légale avec la religion juive, bien que celle-ci était parfois malmenée sous la pression du Vatican. Les autres courants religieux avaient presque entièrement disparu et ceux qui restaient, comme les Calvinistes étaient niés. Cette situation religieuse faisait l’écho à la situation politique et sociale d’un État en décadence.
Au XVIIIe siècle, la Pologne était donc en complet décalage avec l’Europe de l’Ouest qui découvrait la tolérance et le recul face à la religion sous l’influence des Lumières. Ce mouvement de pensée a tout de même atteint la Pologne mais il s’est attaqué à l’Église avec moins de virulence puisqu’elle n’a pas mené d’inquisition ni de guerre de religion offensive. En revanche, loin de regarder la situation antérieure de la Pologne, Voltaire a tenu des jugements sévères vis-à-vis de cet État qui apparaissait comme barbare puisqu’en voie de décadence et en proie à une religiosité fermée.
La prédominance catholique
Finalement c’est avec la disparition de la Pologne de la carte européenne après le Partage de 1795, que la religion catholique a pris une dimension encore plus grande dans la société polonaise. En effet, l’objectif principal du XIXe siècle était de maintenir la culture polonaise pour espérer un jour reconstruire un État. De plus, des trois puissances qui se partagaient le territoire, seul le très autoritaire empire d’Autriche était catholique. Pour les Polonais des deux autres territoires, la religion catholique est donc devenue un moyen de s’affirmer comme non Russe ou non Prussien.
La religion juive pendant ces 123 ans a été malmenée par les trois États co-partageants qui menaient une politique de germanisation ou de russification aussi stricte qu’avec les Polonais catholiques. Cependant elle a aussi subit les assauts de la population catholique qui dans sa recherche de maintien de la culture polonaise refusait tous les éléments étrangers. Les Juifs vivaient cependant encore majoritairement en paix.
Lorsqu’en 1918 la Pologne est redevenue un État, il y a toujours autant de religions sur son territoire d’autant que ses frontières ont changé. Les clivages religieux qui sont apparus recoupaient le plus souvent des clivages sociaux. Toutefois le parti de droite nationaliste de Dmowski, la Nationale-Démocratie possèdait un fort électorat et la « question juive », notamment dans les villes tournait parfois à l’antisémitisme. Le rôle de l’Église catholique dans la société polonaise de l’entre-deux-guerres a été primordial et elle était souvent la première à inciter à l’intolérance. Dans la Constitution de 1921 la religion catholique était affirmée comme dominante malgré la reconnaissance des autres religions. En revanche durant le régime dictatorial de Piłsudski entre 1926 et 1935, la religion catholique n’était pas supérieure car le Général refusait la conception d’une Pologne ethnique.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la religion catholique a pris un rôle très important dans la résistance mais au niveau le plus bas de la hiérarchie. À l’inverse la religion catholique devenue aussi pourchassée que les autres religions dans le régime communiste d’après-guerre, c’est au plus haut niveau de la hiérarchie catholique que s’est révèlée la lutte pour l’indépendance, avec comme figure de proue l’archevêque de Cracovie Karol Wojtyła élu pape en 1978. C’est pourquoi après la chute du régime communiste, la population polonaise a accordé un rôle prépondérant à la religion catholique notamment dans ses structures politiques.
Dans l’histoire contemporaine de la Pologne on constate donc une prédominance de la religion catholique. En nombre tout d’abord car les Polonais se sont recentrés sur leurs caractères identitaires et notamment religieux. Parallèlement les autres religions après la dernière guerre ont vu leur nombre considérablement diminuer : les Orthodoxes et les Protestants étant respectivement Ukrainiens et Allemands, ont été déplacés dans leurs nouveaux territoires et les Juifs survivants de la Shoah, sont majoritairement partis s’installer dans leur nouvel État d’Israël. En terme d’influence ensuite car dans la mémoire polonaise, la religion catholique est celle qui leur a permis de s’affirmer au XIXe siècle pour rester une nation même sans État, dans l’entre-deux-guerres pour asseoir la légitimité de leur nouvel État, dans la Seconde Guerre mondiale pour survivre à la double invasion nazie et soviétique et enfin dans la période communiste pour se libérer du joug soviétique. Voilà comment d’une histoire aussi complexe sur le plan des religions, la Pologne est devenue si catholique.
Pour aller plus loin :
![]() | Sur Nouvelle Europe |
![]() | Dossier janvier 2009 : Quelles mutations de la religiosité européenne ? |
![]() | Que reste-t-il de la Litvakie ? (1/3) Quand le Grand Duc veillait sur les Juifs |
![]() | La transformation du discours patriotique polonais après 1989 |
![]() | Ailleur sur le net |
![]() | La religion en Pologne |
![]() | Mouvement "Europe et Laïcité" |
![]() | A lire |
![]() | Beauvois, Daniel, La Pologne. Histoire, Société, culture, Editions de La Martinière, Paris, 2004 |
![]() | Rouxel, Jean-Yves, "Le Vatican et les pays d'Europe centrale. De l'Ostpolitik aux concordats", in Le Courrier des Pays de l'Est, n° 1045, Avril 2004 |
Source photo: Véronique Antoinette |