



"Je suis Ossète, parle ossète, je suis né et j’ai grandi en Ossétie du Sud. Je me suis battu pour son autonomie, j’ai fait partie de son gouvernement pendant de longues années, comme Ministre de la défense, Premier ministre, puis, à partir de novembre 2006, comme Président élu à 80% des voix, pour les zones ossètes sous contrôle géorgien. J’y ai travaillé à la construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux. J’y ai vécu jusqu’à il y a deux mois, lorsque les séparatistes ossètes, soutenus par les Russes et menés par Edouard Kokoïty, nous en ont chassés, moi et des milliers d’autres. Et je m’adresse à nos amis européens : allons-nous tomber dans le piège de Moscou ?
La Russie continue d’affirmer, contre toute vraisemblance, qu’elle a envahi l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie pour protéger les prétendus ressortissants qu’elle y compte (des Ossètes à qui l’armée a distribué des passeports russes, en vérité) et pour nous aider, nous séparatistes, à acquérir la souveraineté pour notre pays. Ne soyons pas dupes : il s’agit d’un contentieux entre la Russie et la Géorgie où nous ne sommes, aux yeux des Russes, qu’un instrument pour déstabiliser la démocratie géorgienne. Personne n’oublie qu’en 1991, Moscou avait déjà exploité les tensions ethniques dans le Caucase du Sud pour contrecarrer l’indépendance géorgienne puis, à défaut, pour la miner. Cela avait mené l’Ossétie du Sud et la Géorgie à la guerre civile. Quinze ans après, Vladimir Poutine ne fait que reprendre cette politique.
La Russie ne se bat pas pour notre indépendance. Sa reconnaissance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie comme États souverains, annoncée unilatéralement, n’est pas un premier pas vers la reconnaissance internationale de notre État. C’est au contraire une provocation faite à la communauté internationale. C’est un pied-de-nez aux accords du 12 août que la Russie avait elle-même signés, aux côtés de la Géorgie et de l’Union européenne, et qui stipulaient que le sort de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud ferait l’objet de discussions internationales. La décision de Moscou entre dans la diplomatie du "niet" que ses politiques mènent désormais dans les instances internationales. Elle ne peut mener la cause ossète qu’à une impasse.
La Russie en a fini de son humilité post-Guerre froide, son patriotisme s’exalte et avec lui ses velléités de puissance. Elle veut redevenir la "Grande Russie". Elle cherche à récupérer le contrôle sur ses anciennes provinces. L’Ukraine, les Pays baltes s’inquiètent déjà de leur sort. Que deviendra l’Ossétie du Sud aux mains des Russes ? On peut déjà s’en douter, au vu des événements présents : l’armée russe refuse de quitter l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, y construit des bases militaires, empêche la présence d’observateurs européens. L’école se fait désormais en russe, l’office religieux également. Les Ossètes exilés désireux de revenir chez eux ne peuvent récupérer leur maison qu’à la condition de prendre un passeport russe.
Au niveau politique, les séparatistes s’apprêtent à établir un gouvernement ossète élaboré de toute pièce par Moscou, où "des spécialistes russes sont invités à occuper certains postes", ainsi que l’a déclaré Edouard Kokoïty, "leader" des séparatistes ossètes, en vérité marionnette des Russes. Kokoïty a toujours refusé le dialogue avec Mikheil Saakashvili, le Président géorgien ; il a mené, dans les régions qu’il gouvernait avant la guerre, une propagande anti-Géorgiens, diabolisant sans distinction le peuple et les politiques. Il est aujourd’hui le grand responsable du nettoyage ethnique que ses hommes – et non le peuple ossète – mènent en Ossétie du Sud, y disséminant la population géorgienne.
Les séparatistes pro-Russes déforment notre combat et mettent en danger nos ambitions. Nous ne nous sommes pas battus pour devenir une province de la Grande Russie. Les Ossètes doivent prendre leur sort en main et refuser toute instrumentalisation dans des rapports de force qui ne nous concernent pas. Notre autonomie est une affaire entre nous et la Géorgie. Elle se fera au sein de la Géorgie, ou ne se fera pas. "
Dimitri Sanakoev est l’ancien Président élu des zones d’Ossétie du Sud sous contrôle géorgien. Il est aujourd’hui le Chef de l’Unité Administrative Temporaire de l’Ossétie du Sud, en Géorgie. Cette tribune est libre et n'engage que son auteur. Nouvelle Europe a souhaité la publier afin que cet angle puisse être également mis en lumière. |
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Source photo : Dimitri Sanakojew par Randbild, Flickr.com |