Trois questions ont longtemps cristallisé les tensions et provoqué des blocages entre la Lettonie et la Russie. Il s’agit du retrait des troupes russes jusqu’en 1994, puis des questions de l’accès à la citoyenneté pour les non-citoyens vivant en Lettonie, ainsi que du statut de la langue russe. Outils au service des plus nationalistes, ces sujets semblent maintenant passer au second plan à la faveur d’une normalisation progressive des relations, tant économiques que politiques, entre les deux pays.
Trois questions ont longtemps cristallisé les tensions et provoqué des blocages entre la Lettonie et la Russie. Il s’agit du retrait des troupes russes jusqu’en 1994, puis des questions de l’accès à la citoyenneté pour les non-citoyens vivant en Lettonie, ainsi que du statut de la langue russe. Outils au service des plus nationalistes, ces sujets semblent maintenant passer au second plan à la faveur d’une normalisation progressive des relations, tant économiques que politiques, entre les deux pays.
Les pommes de discorde
Jusqu’en 1994, la principale pomme de discorde entre la Lettonie et la Russie tenait en un mot : retrait. Le retrait des troupes russes du territoire letton était une condition essentielle pour la souveraineté du nouvel Etat, condition qui après négociations, n’a finalement pas fait l’objet de grandes difficultés de la part des autorités russes en général et de Boris Eltsine en particulier.
Une fois cette question réglée, les problèmes de citoyenneté et de langue sont passés au premier plan. Comme l’Estonie, la Lettonie présente la particularité de ne pas avoir accordé la citoyenneté à l’ensemble de sa population résidente lors de l’indépendance. En 1994, une loi sur la restauration de la citoyenneté est votée, cette dernière étant accordée aux personnes citoyennes lettones pendant la première indépendance ou à leurs descendants.
Les Lettons ethniques, qui constituent alors 57 % de la population, représentent presque 79 % des citoyens. A l’inverse, pour ne prendre que l’exemple des personnes de nationalité russe, 30 % de la population, représentaient en 1994 seulement 16 % du total des citoyens. La situation des Biélorusses, Ukrainiens et Lituaniens était encore plus mauvaise à cette date. La loi sera par la suite amendée, la naturalisation mise en place et son processus facilité. Néanmoins, ce choix d’attribution sélective de la citoyenneté par restauration de l’Etat letton de l’entre-deux guerres, s’il est incontestable juridiquement, a mécaniquement marginalisé une partie de la population, la non-citoyenneté étant synonyme d’absence de droit de vote.
Appuyées par les nationalistes lettons, artisans de toute la politique des premières années d’indépendance, et rejetées en bloc par la Russie, ces mesures cristallisent les positions, et sont l’objet de déclarations extrêmes. Ainsi, aux multiples caricatures de la situation présentées par les autorités russes durant les années 1990 en vue d’instrumentaliser les populations non-citoyennes et russophones des pays baltes, ont répondu en Lettonie des déclarations et des comportements peu à même de faciliter le dialogue.
De plus, la question du statut de la langue russe s’est greffée sur celle de la citoyenneté. Bien que totalement indépendante, beaucoup ont voulu les lier, afin d’augmenter le poids de leurs arguments, pro ou anti-lettons.
Néanmoins, malgré ces pommes de discorde sérieuses et malgré quelques micro-sanctions ponctuelles comme des coupures d’approvisionnement de quelques jours, les relations économiques et commerciales n’ont jamais été menacées entre la Lettonie et la Russie, même aux pires moments des relations politiques.
Le tournant de 1998
L’année 1998 marque un tournant non seulement pour la Russie touchée par la crise financière, mais aussi pour les relations entre la Lettonie et la Russie. En effet, par un hasard de calendrier, cette année voit aussi en Lettonie l’émergence du Parti du peuple, nouvelle force politique créée par Andris Skele, homme d’affaires anciennement Premier ministre. Ce parti créé pour les élections législatives les remporte avec brio et devient en quelques mois la première force politique de Lettonie, position qu’il occupe encore aujourd’hui, ayant été de toutes les coalitions gouvernementales depuis dix ans. L’émergence du Parti du peuple, et son travail de coalition avec la Voie lettone (libéral) et le Premier parti letton (libéral économiquement et conservateur socialement), marquent également le déclin des partis les plus nationalistes en Lettonie, même si la majorité du champ politique reste nationaliste.
En parallèle de ces rapides changements politiques, la crise russe de 1998 impacte lourdement sur la Lettonie, la privant d’une partie non négligeable de ses exportations, faisant bondir le chômage et stoppant net la croissance. Ainsi, une partie des activités n’ayant pas été modernisées ou réorientées vers l’ouest le deviennent, par contrainte. En contrepartie, la crise financière russe accélère la fuite de capitaux. La Lettonie, plus proche de Moscou, lieu de villégiature russe, possédant un système bancaire développé et des hommes d’affaires russophones, est alors toute désignée pour recevoir de nouveau des capitaux en provenance de Russie, comme cela avait déjà été le cas pendant les premières années suivant l’indépendance.
Si ces deux facteurs ne permettent pas de tirer de conclusion, ils ont posé des bases d’une relation plus franche et apaisée, d’une normalisation sur les plans économique et politique, que la décennie suivante confirme, aidée en cela par les arrivées au pouvoir de nouvelles figures : Vaira Vike-Freiberga côté letton et Vladimir Poutine côté russe, et par le rebond économique de la Russie.
Dix ans d’amélioration continue des relations bilatérales
Il est évident que les gros titres de la presse sont souvent faits par les scandales, les désaccords et les conflits. A cet égard, la relation letto-russe n’a pas échappé à la règle. La fermeture de l’oléoduc de pétrole brut russe à destination de Ventspils, les difficultés de ce port et de l’industrie du transit en Lettonie, la position de la présidente lettone lors des célébrations du soixantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en 2005 et le livre d’histoire (présentant une vision "lettone" de la libération de 1945 et de ses conséquences) offert à Vladimir Poutine… Toutes ces questions ont été abondamment développées, alimentées par des médias russes décrivant la Lettonie comme un enfer pour les russophones, ce pays étant devenu en 2004, selon un sondage, le principal ennemi de la Russie, résultat qui peut prêter à sourire au regard des puissances de feu respectives.
L’amélioration des relations est pourtant considérable, particulièrement au cours des trois dernières années, le symbole en étant la ratification du traité frontalier en décembre 2007, après une décennie de discussions. Ce traité, que Moscou présentait depuis de nombreuses années comme la condition sine qua non de la normalisation des relations bilatérales, intervient après une longue période d’amélioration du dialogue entre les deux pays. A cet égard, les visites du maire de Moscou Iouri Loujkov, du Patriarche Alexis II ou de l’ancien Premier ministre Mikhaïl Fradkov sont révélatrices d’un changement d’attitude de la part de la Russie, pour qui les principaux décideurs politiques et économiques de Lettonie sont tous devenus des interlocuteurs valables, et de la part de la Lettonie, dont les principaux décideurs ont compris qu’une opposition frontale avec la Russie était vaine.
Ainsi, si Vaira Vike-Freiberga a été vue par certains uniquement comme une représentante des Lettons de l’exil, elle s’est distinguée par des positions différentes de ses homologues lituanien et estonien, ne rompant jamais le dialogue avec la Russie, en témoigne sa présence le 9 mai 2005 à Moscou, mais aussi agissant en régulateur face aux velléités radicales des Lettons les plus nationalistes, bloquant notamment un texte passé à la Saeima (Parlement letton) et ouvertement discriminant à l’égard des russophones. Son successeur, Valdis Zatlers, s’exprimant en russe face aux journalistes contrairement à Vaira Vike-Freiberga qui ne parlait pas le russe, marque le retour aux affaires entamé par les Lettons ayant vécu sous le régime soviétique(alors que les Lettons revenus d'exil avaient eu un poids important dans la politiques des années 1990), davantage soucieux que les Lettons de l’exil de bonnes relations avec la Russie, notamment sur le plan économique.
A cet égard, les conséquences économiques pour l'Estonie de l'épisode du "soldat de bronze" au printemps 2007 ne sont pas de nature à encourager les dirigeants lettons à une attitude téméraire dans leurs relations avec la Russie, mais bien à un sage réalisme, incarné par les personnes les plus influentes en Lettonie depuis une décennie dont les caractéristiques principales sont d’être impliquées en politique et d’avoir un intérêt économique personnel à des relations pragmatiques et cordiales avec le voisin russe. Nous pouvons à cet égard citer Ainars Slesers, actuel ministre des transports, Andris Skele, fondateur du Parti du peuple ou Aivars Lembergs, maire pendant 19 ans de la ville portuaire de Ventspils mais aujourd’hui discrédité aux yeux des Russes et englué dans des démêlés judiciaires sans fin.
Si l’on exclut la coupure depuis 2002 de l’oléoduc alimentant Ventspils en pétrole brut, qui semble le résultat combiné de la politique tarifaire menée par le port, de l’agacement de Lukoil et Transneft ainsi que de la volonté russe de privilégier le nouveau port de Primorsk, aucun problème majeur n’est venu troubler le renforcement des interactions économiques.
Ainsi, le secteur énergétique letton est-il largement ouvert aux capitaux russes, en témoigne la possession, directe ou via filiale de 50% de Latvijas Gaze ou la présence de Lukoil et Itera. De même, le secteur bancaire letton a continué son développement rapide en partie grâce aux dépôts effectués par les non-résidents de Russie et d’autres pays de la CEI ainsi que grâce aux nouveaux investissements russes mais aussi ukrainiens. Enfin, le secteur immobilier et le tourisme semblent l’objet d’une effervescence plus récente, mais également moins transparente.
En outre, le secteur du transit, après avoir été touché après 2002, semble retrouver une nouvelle jeunesse depuis fin 2007, les nouveaux ports russes peinant à absorber la croissance exponentielle de trafic en provenance et à destination de la Russie. Ce secteur est même en développement si l’on inclut le transit de personnes, l’aéroport de Riga se positionnant comme le seul hub balte et déjà la troisième plateforme européenne à destination de l’ex-URSS après Francfort et Vienne, en termes de destinations desservies.
Ainsi, les efforts lettons de normalisation des relations avec la Russie, bien accueillis et soutenus à Moscou avec la bénédiction de Vladimir Poutine, ont porté leurs fruits, à un point tel que la Lettonie est présentée par certains observateurs avides de polémiques comme « un des pays où la nouvelle Guerre froide a été perdue ». Ils font de cette manière référence aux questions énergétiques : absence de position lettone officielle sur le projet de gazoduc sous-marin Nord Stream, la Lettonie espérant pouvoir utiliser ses capacités de stockage souterrain, mais aussi débat sur la construction de nouvelles centrales (gaz, charbon) et la participation d’entreprises russes à ces projets.
Néanmoins, des désaccords subsistent et le nationalisme global des élites dirigeantes de Lettonie, même en légère diminution, est une réalité. Dès lors, les évolutions auxquelles nous assistons tiennent sans doute plus de l’enterrement de la hache de guerre et d’un pragmatisme tant russe que letton que d’une lune de miel ou de quelque épisode d’un hypothétique affrontement continental avec la Russie.
C’est certainement dans cette optique qu’il faut observer la création du Dinamo Riga, équipe de hockey sur glace créée début 2008 pour participer à la Continental Hockey League, qui remplacera le championnat russe de hockey sur glace à partir de la saison 2008-2009. Outre des clubs russes, cette ligue eurasiatique de très haut niveau accueillera un club kazakh, un club biélorusse et un club letton, dont les principaux dirigeants sont l’ancien Président Guntis Ulmanis, l’ancien Premier ministre Aivars Kalvitis et le président d’Itera Latvija Juris Savickis, que le sport réunit donc, malgré des biographies a priori peu compatibles.
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Identités et citoyenneté en Lettonie
- Crise politique majeure en Lettonie
- Pays baltes, UE et Russie, l'épine ou la chaussette ?
- Quels défis pour la politique étrangère lettone ?
- RIX : 3 lettres qui font décoller Riga
- Le gazoduc baltique peine à trouver son chemin
- Tallinn : la statue de la discorde
À lire
- Moshes, Arkady, Overcoming Unfriendly Stability: Russian-Latvian Relations at the End of 1990s, Finnish Institute of Foreign Affairs, Helsinki, 1999
- Muiznieks, Nils (dir.), Latvian-Russian Relations: Domestic and International Dimensions, LU Akademiskais apgads, Riga, 2006
Illustration : Flickr >Beach life in Karosta, Latvia #3 , par Mesq