Depuis le grand élargissement en 2004, la Baltique est souvent présentée comme la « mer intérieure de l’Union européenne». Mais cette aire maritime compte aussi la Russie. Or, les questions transnationales, comme l’environnement, ne pouvaient trouver de réponse adéquate qu’à un niveau régional, celui de la Baltique. Nouvelle Europe vous fait découvrir l’une des coopérations interrégionales considérées comme la plus avancée : le Conseil des Etats de la mer Baltique (CEMB), présenté souvent comme un modèle d’organisation régionale des plus intégrée, en Europe.
Le CEMB, un « forum politique pour la coopération intergouvernementale régionale »
La fin de la Guerre froide et la chute de l’URSS ont permis, au début des années 1990, le développement de nouvelles relations entre les Etats de l’aire baltique. Plusieurs organisations transrégionales sont alors créées en 1992, parmi elle le Conseil des Etats de la mer Baltique. Fondé par les ministres des Affaires étrangères de la zone, il se définit comme un forum de discussions et d’analyses. À travers des task forces et des groupes de travail, il propose et met en place des actions, communes à tous ses membres.
Participent au CEMB les onze Etats de la région baltique : l’Allemagne, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, l’Islande, la Lettonie, la Lituanie, la Norvège, la Pologne, la Suède et la Russie. Ainsi que la Commission européenne.
Le CEMB est une instance de coopération régionale, sur un modèle intergouvernemental. Il faut dire qu'il regroupait au départ des Etats membres de l'UE, des Etats candidats et une Russie jalouse de sa souveraineté.
Le Conseil réunit les ministres des Affaires étrangères de chaque Etat membre et un représentant de la Commission européenne pour discuter des orientations générales. La présidence du CEMB est annuelle et tournante. Le comité des seniors officials est l’instance décisionnelle. C’est elle qui chapeaute et coordonne les task forces et les groupes de travail.
Alors que la création et le développement du CEMB se sont déroulés parallèlement dans le temps au processus d’intégration à l’Union européenne de certains des pays du pourtour de la Baltique, on peut s’interroger sur leur motivation à tout de même s’impliquer dans cette coopération interrégionale.
Une coopération qui se veut inventive
Espace d’échanges économiques, le CEMB met aussi l’accent sur l’environnement, l’énergie, la culture, l’éducation et la sécurité. On pourrait se dire que ces grands domaines d’action sont aussi ceux de l’Union européenne. Quel serait alors l’apport supplémentaire d’un traitement au niveau régional ? Donnons un coup de projecteur sur quelques initiatives.
La région baltique, pionnière du développement durable
Au début des années 1990, les questions environnementales en mer Baltique étaient au coeur de toutes les préoccupations. Déjà dans les années 1970, la question de la survie écologique de cette mer presque fermée avait constitué un jalon important dans la reprise du dialogue Est-Ouest, à travers la signature des premiers accords d'Helsinki.
La publication en 1989 du rapport Bruntland a éveillé les consciences, conduisant en 1992 à la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et à l’élaboration d’une feuille de route, intitulée l’Agenda 21.
Dès les premières années d’approfondissement du CEMB, le développement durable est une thématique intégrée dans le corps du projet et permet d’élargir la coopération sur des pans plus larges que l’environnement. En effet, il faut rappeler que le développement durable couvre aussi l’économique et le social. C'est ainsi que la région baltique fut témoin de la première mise en oeuvre régionale de l'Agenda 21 décidé par l'ONU.
En 1996, la décision est prise à un haut niveau décisionnel de créer une coopération en la matière. En 1998, Baltic 21, la coopération entre les Etats de la mer Baltique sur le développement durable, est lancée. Y participent les onze Etats membres, la Commission européenne, des organisations intergouvernementales comme le Conseil nordique, des instances internationales financières comme la Banque mondiale et des ONG. Leur ambition est d’« améliorer les conditions de vie des populations », par un développement durable, une gestion réfléchie des ressources et une protection plus forte de l’environnement. Cela supposait de prendre en compte d’autres dimensions, économiques et sociales. Le choix a ainsi été fait d’agir de manière intégrée, en incluant sept secteurs clés : l’agriculture, l’énergie, la pêche, la gestion forestière, les transports, l’industrie et le tourisme.
Il faut dire que, dans l'ensemble de ces secteurs-clefs, les disparités étaient immenses entre des Etats membres de l'Union européenne très attachés à un développement d'une législation contraignante en matière environnementale appuyée sur la recherche et l'innovation (la Finlande, la Suède, l'Allemagne et le Danemark) et d'autres Etats sortant tout juste de 50 ans d'un régime socialiste destructeur de l'écologie.
L'objectif était non seulement de leur permettre un rattrapage rapide en matière de développement durable mais aussi de dépasser des normes européennes jugées trop faibles par les Nordiques pour éviter un nivellement par le bas au moment de l'adhésion. L'action baltique en la matière ne s'est pas traduite par l'édiction d'une législation contraignante, ce qu'aurait refusé la Russie, mais par la mise en place de projets pilotes favorisant les coopérations multilatérales et les transferts de technologies.
En 2008, la coopération Baltic 21 fête ses dix années de fonctionnement. Bien qu’il n’y ait pas eu de rapport d’étape depuis 2004, on constate que des actions communes sont poursuivies dans plusieurs secteurs : l’énergie, les transports et l’aménagement du territoire. Un effort particulier semble être fait envers les populations, par des programmes de sensibilisation et d’information sur l’enjeu qu’est le développement durable.
Alors que le développement durable n’est devenu une priorité pour l’Union européenne qu’au début du XIXe siècle, cet engagement pionnier des pays de la Baltique peut-il être considéré comme un exemple dont il faudrait s’inspirer ? La réussite plus ou moins grande d’une telle entreprise ne tient elle pas au fait qu’elle soit régionalisée et de fait adaptée aux problématiques locales, avec une gestion intergouvernementale. L’Union européenne souhaite-t-elle s’inspirer de cette approche pour insuffler plus d’effectivité dans l’atteinte des objectifs fixés en termes de développement durable ? Peu de commentaires officiels existent à ce jour.
Les Etats membres du CEMB ont su se distinguer par un engagement précoce dans le développement durable ; ils ont aussi su s’accorder sur des valeurs communes : la démocratie et les droits de l’Homme.
La démocratie et les droits de l’Homme comme valeurs partagées
La naissance d’une coopération régionale entre des Etats à l’histoire et aux régimes politiques différents supposait au préalable un accord sur des valeurs communes à partager, qui étaient et demeurent la promotion des principes démocratiques et le renforcement des institutions démocratiques. Un groupe de travail a ainsi été par exemple institué pour veiller tout particulièrement à la place de la société civile dans les Etats membres du CEMB. Depuis quelques années, une attention toute particulière est portée à la participation des citoyens, notamment lors des élections.
Si le CEMB ne peut pas être crédité d'avoir à lui seul amélioré la situation des Etats riverains de la Baltique en matière de droits de l'Homme, il y a néanmoins participé par des actions très spécifiques et en servant de forum de discussion et de diffusion des meilleures pratiques. Deux programmes de coopération existent, l’un destiné à lutter contre le trafic d’être humains dans la région baltique, l’autre s’attachant à la protection des enfants en danger.
La lutte contre le trafic des êtres humains s’est intensifiée en 2006, par l’intégration dans le CEMB d’une task force déjà existante, la Nordic Baltic Task Force against Traffiking in Human Beings. Une nouvelle task force est ainsi née, avec pour mission de créer un réseau baltique entre tous les acteurs concernés par le sujet, notamment les ambassades et les corps diplomatiques présents dans les capitales des Etats membres du CEMB. Ont ainsi été mises en place des actions destinées aux victimes elles-mêmes (identification, accompagnement, retours sécurisés), mais aussi des politiques d’échanges de bonnes pratiques entre Etats membres.
Les organismes en charge de la protection des enfants et des adolescents se trouvant dans des situations à risques disposent d’une structure spécifique, fondée sur l’échange, des réunions ou des séminaires. Cette aide interrégionale sert à appuyer des actions nationales destinées aux enfants victimes d’abus sexuels ou de trafic d’être humains, d’enfants vivant dans la rue ou dans un orphelinat ou de jeunes ayant déjà commis des délits.
On constate que les coopérations thématiques du CEMB trouvent une résonance dans d’autres organisations, dont les Etats de la Baltique sont, tous ou en partie, membres : l’Union européenne pour l’enjeu du développement durable, le Conseil de l’Europe pour les droits de l’Homme. On ne sait pas exactement si Baltic 21 sert d’exemple à l’Union européenne, mais l’attachement aux valeurs démocratiques et humaines sont issues du Conseil de l’Europe.
D’autres coopérations doivent être aussi mentionnées, ayant trait aux échanges commerciaux, à l’énergie (BASREC), à la défense et à la sécurité, à la culture (ARS Baltica et Baltic Heritage), ainsi qu’à l’enseignement et à la recherche (Eurofaculty). Certaines coopérations sont d’ailleurs plus ou moins mises en avant par le pays qui assure la présidence annuelle du CEMB. Quelles sont, par exemple, les priorités de la Lettonie pour 2007-2008 ?
La Lettonie à l’heure de la présidence
Trois grandes priorités s’imposent pour la Lettonie. En utilisant les outils à disposition (groupes de travail, coopérations spécialisées…), il doit être porté un effort sur l’énergie, la sécurité civile et l’éducation.
Le programme BASREC et le pan « Energie » de Baltic 21 doivent permettre la réalisation d’un marché de l’énergie à la fois plus compétitif et intégré. Le développement et l’utilisation des énergies renouvelables doivent être encouragés.
La promotion des valeurs démocratiques et la défense des droits de l’Homme doivent bénéficier d’une coopération renforcée entre les Etats membres, les instances publiques et les ONG en particulier sur la question des droits des enfants. La lutte contre la corruption demeure un sujet primordial.
Enfin la constitution d’un réseau réellement performant entre les centres d’enseignement de la Baltique doit être appuyée, avec parallèlement la création de « clusters » d’innovation. L’accent doit aussi être mis sur la formation professionnelle des adultes.
Dans le cadre innovant de ce Conseil de la mer Baltique, les Etats membres discutent, comparent leurs expériences, élaborent des projets de coopération et agissent sur des sujets divers, complexes et parfois sensibles. Certains membres font partie de l’Union européenne, d’autres non, tout en étant impliqués dans Schengen. Des problématiques comme l’énergie, l’environnement ou la sécurité font aussi l’objet de discussions entre les Etats membres de l’UE et la Russie. Cette double appartenance et donc ce double dialogue ne posent-ils pas des limites à cette coopération baltique ? Ou alors, est-ce que le CEMB peut être une instance d’un pré-dialogue entre l’UE et ses voisins ?
Si la réponse ne va pas de soi, il est indispensable de noter que le CEMB est l'un des forums principaux du dialogue régional avec la Russie mais aussi entre l'UE et la Russie. Elle permet aux élites des Etats membres qui le composent des discussions au long cours sur les grandes thématiques du dialogue euro-russe appliquées aux problèmes spécifiques de cette région.
Les effets de socialisation de telles enceintes sont soulignés depuis longtemps au niveau communautaire, il y a fort à parier qu'ils ont aussi lieu au sein du CEMB.
Cette coopération semble d'ailleurs se poser en modèle. Elle a longuement été mise en avant, discutée et mise en perspectives dans les tractations qui semblent devoir aboutir sur la création d'une organisation similaire en mer Noire.
La multiplicité des acteurs, leur héritages différents ainsi que la nécessité d'oeuvrer à la résolution de questions aussi cruciales que l'environnement ne sont pas sans rappeler la situation du début des années 1990 en Baltique...
Pour aller plus loin
- Site du Conseil de Etats de la mer Baltique (en anglais)
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"Baltic, a dynamic third of Europe" - Etude de la Faculté d'Economie de l'université de Turku -2004
Source Photo : Polandforall.com