Les autoroutes de la mer ou une autre voie d'intégration économique pour la Nouvelle Europe ?

Par Fabienne Vauguet | 3 février 2008

Pour citer cet article : Fabienne Vauguet, “Les autoroutes de la mer ou une autre voie d'intégration économique pour la Nouvelle Europe ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Dimanche 3 février 2008, http://www.nouvelle-europe.eu/node/400, consulté le 06 juin 2023

bateau.jpg Élargie à 27 Etats membres, l’Union européenne dispose aujourd’hui de quatre façades maritimes et d’une volonté nouvelle d’en exploiter tout le potentiel, à travers une réelle politique intégrée. Voyons comment le projet des autoroutes de la mer s’élabore-t-il du côté des nouveaux Etats membres ouverts sur un espace maritime.

Mieux gérer le potentiel du cabotage maritime : l’élaboration des autoroutes de la mer

Le projet d’autoroutes de la mer a été initié par la Commission européenne, lors de la publication en 2001 d’un Livre Blanc sur les transports « La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix », sous l’impulsion du Conseil européen de Göteborg la même année.

L’idée force est une meilleure complémentarité des modes de transport : la route ne doit plus être le moyen unique pour acheminer les marchandises et transporter les Européens. Le potentiel du rail, du fluvial et du maritime est à exploiter : prise en charge d’une partie du trafic, résorboption des goulets d’étranglement, moindre coût environnemental. Pour un rééquilibrage des modes de transport, le maître mot est alors l’intermodalité.

C’est dans cette perspective que les réseaux transeuropéens de transports, les RTE-T, sont alors relancés. Un pan maritime de ces RTE-T est envisagé : ce sera les « autoroutes de la mer ». Définies comme un « réseau de liaisons maritimes entre les Etats membres », elles doivent permettre d’exploiter au mieux une caractéristique du transport intracommunautaire maritime : un nombre élevé de liaisons à courte distance à vocation logistique. Ces itinéraires de cabotage (« short sea shipping » en anglais) participeront à atteindre ce nouvel objectif de transfert modal, mais aussi à assurer une meilleure cohésion du marché intérieur.

Quatre corridors sont aujourd’hui définis, selon les quatre zones maritimes paneuropéennes : celui de la mer Baltique, de l’Europe de l’Ouest, de l’Europe du Sud-Ouest et de l’Europe du Sud-Est.

Pour développer ces lignes maritimes, des soutiens financiers sont assurés via les fonds européens et un programme spécifique à l’intermodalité, Marco Polo.

Les projets de liaisons entre différents ports doivent être proposés par au moins deux Etats membres, pour mettre en commun leurs équipements et leurs infrastructures. De telles initiatives demandent de fait un engagement de tous les acteurs, publics et privés, d’un secteur géographique : les Etats membres, les collectivités territoriales et locales, les armateurs, les autorités portuaires…De nouveaux appels à projet ont été lancés fin 2007 par la Commission européenne.

Mais qu’en est-il des projets dans les pays de la Nouvelle Europe ? Intéressons nous à la Mer Baltique, mais aussi à une partie de la Méditerranée.

Le corridor de la mer Baltique

Il y a bien aujourd’hui en construction une autoroute en mer Baltique. Elle réunit autour du projet plusieurs Etats membres de la zone : la Suède, la Finlande, l’Estonie, la Lituanie, la Pologne, le Danemark, mais aussi la Norvège (non membre de l'Union européenne).
Bien que cette zone compte de nombreuses disparités régionales, elle offre aujourd’hui des prévisions de forte croissance. Le transport maritime est un facteur majeur de développement économique. Dans un récent article du Monde, il est rappelé qu'en 2006, 60.000 bateaux de commerce ont croisé en mer Baltique.

L’objectif souhaité est non pas de créer de nouvelles lignes de transit, mais de rationaliser celles existantes, en s’attelant également à la mise à niveau des infrastructures et des services maritimes : aménagement des chenaux et passages, entretien des phares et balises, service de brise-glaces, système de gestion du trafic, continuité de la chaîne logistique vers le rail et le routier…

Une croissance des échanges qu’il est nécessaire de rationaliser

Dans une étude de faisabilité très complète, publiée en 2006 par les Etats membres côtiers et les autorités portuaires, le potentiel de développement du trafic est largement présenté. Les prévisions, à l’horizon 2020, tablent sur une croissance de 48% des exportations et de 41% pour les importations.

Pour les Etats membres qu'elle borde, la mer Baltique est un lieu d’échanges vital, car un grand nombre d'entre eux est dépendant des biens extérieurs à la zone. Tant pour les nouveaux membres baltes que pour les Etats nordiques, dont les liaisons terrestres sont difficiles. Les voies maritimes se révèlent essentielles. De fait, entre 2003 et 2020, le même rapport prévoit une augmentation du trafic intra-régional de 55%.

Par leur intégration au sein de l’Union européenne, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie sont considérées comme des parties importantes du moteur baltique : les investissements étrangers y apportent d’ores et déjà, selon cette même étude, un dynamisme économique bénéfique pour les échanges dans la région.

Cependant, il faut noter que l’essentiel des flux se fait entre l’Allemagne, le Danemark, la Suède, la Finlande et bien sûr la Russie. Celle-ci domine largement les échanges liés au pétrole, à travers les pipelines ou les liaisons maritimes. La Pologne et les pays Baltes sont des régions de transit. Le gaz crée aussi des flux conséquents, tout comme le transit des porte-conteneurs.

Vers un développement des ports baltes

Mais qui dit augmentation des échanges, dit infrastructures à la hauteur du trafic et gestion optimale des flux. De fait, les armateurs et autres opérateurs privés doivent pouvoir compter sur des ports compétitifs. Se trouve ici un des enjeux de réussite de ces autoroutes de la mer Baltique.

Or la gestion des ports n’est pas partout la même : certains sont gérés par l’Etat, d’autres relèvent du domaine privé. Prenons quelques exemples. En Estonie, le port de Tallinn est détenu par l’Etat. En Lettonie, les ports de Riga et de Ventspils sont des zones économiques libres. En Lituanie, le port de Klaipeda est géré par l’Etat sous la forme d’une autorité portuaire publique.

Pour rendre les chaînes logistiques toujours plus efficaces, l’idée développée serait d’exploiter le potentiel de certaines zones portuaires, notamment celles des Etats baltes. Il s’agirait de créer de véritables centres de logistique, avec une intégration intermodale plus forte. Pour aller plus loin, des zones d’affaires pourraient permettre d’attirer les opérateurs de toute une chaîne logistique, au-delà du simple armateur.

L'Est de la Baltique, le coeur du trafic marchand
Toutes ces réflexions ont conduit les analystes de l’étude de 2006 à faire des projections de trafic à l’intérieur de la mer Baltique, mais aussi vers l’extérieur. Ainsi, la tendance la plus forte se trouve à l’Est, du fait de la Russie et de la Pologne. Un flux majeur se démarquera alors d’Est en Ouest, vers l’Allemagne. L’autre conclusion est le renforcement des liaisons à courte distance, dites de cabotage.

Malgré une mer prise en partie par les glaces à la saison hivernale, il y a donc un fort potentiel de développement économique dans la région baltique. D’où l’importance d’un projet d’autoroute de la mer pour fédérer tous les opérateurs maritimes. Ailleurs en Europe, les mêmes questions se posent dans le pourtour méditerranéen.

Au Sud-Est de l’Europe, un autre projet d’autoroute de la mer

Là aussi, le transport maritime y est dynamique. D’autres projets s’y développent, dont l’un regroupe plusieurs autres Etats membres et autorités portuaires : l’autoroute est-méditerranéenne, dénommée « East-Med MoS ».

Soutenus en partie par la Commission européenne, la Grèce, le port grec de Igoumenitza, l’Italie, la Slovénie, les ports de Malte et Chypre ont lancé récemment, en novembre 2007, une réflexion conjointe autour d’une autoroute de la mer pour optimiser au mieux les échanges entre la mer Adriatique et la mer Ionienne, dans la droite ligne du Canal de Suez.

Des ports d'envergure internationale pour les nouveaux Etats membres du Sud-Est de l'Europe

Attardons-nous sur les ports de trois Etats qui ont adhéré en 2004, la Slovénie, Chypre et Malte. Le port de Kloper, principal port marchand de Slovénie est le centre économique de la région d’Obalno-Kraška. Il se veut le point de passage pour les marchandises vers l’Europe centrale. De nombreuses liaisons sont ouvertes vers les pays du pourtour méditerranéen et même au-delà, via le canal de Suez.

Par sa situation géographique, Malte possède également de nombreux atouts, avec deux ports en eaux profondes et bien équipés en terminaux : l’un à la Valette et l’autre à Marsaxlokk. La République de Chypre dispose elle aussi de deux ports de dimension internationale, sur la route du Proche et du Moyen-Orient : Limassol et Larnaca. De fait, ces infrastructures modernisées sont des éléments clés dans la chaîne logistique que souhaitent mettre en place les Etats membres fédérés autour du projet d'autoroutes.

Une autoroute qui en est à ses tout débuts

Le projet d’autoroutes de la mer dans le Sud-Est de la Méditerrannée va s’étaler sur plusieurs années, selon différentes étapes.

  • Tout d’abord, comme pour le projet en mer Baltique, une étude minutieuse sera menée pour déterminer les grandes caractéristiques de cette zone maritime (nature et densité du trafic, liaisons, infrastructures portuaires…). Un tel audit permettra d’évaluer tant le potentiel que les retards à combler, notamment par un investissement technologique conséquent.

  • Puis, après un appel d’offre, les projets proposés seront examinés, en termes de faisabilité et de rentabilité. Un plan général d’action sera alors mis sur pied.

  • Enfin, un planning sera déterminé pour l’exécution du projet global d’autoroute de la mer dans la zone, avec tout un pan financier.

Il semblerait que le projet en soit déjà à la deuxième phase, puisqu’un appel à projet vient d’être clôturé début janvier 2007. Son avancée est donc à suivre dans les années à venir.

Les autoroutes de la mer sont des projets ambitieux et de longue durée : il faut parvenir à fédérer un grand nombre d’acteurs publics et privés autour d’un objectif transeuropéen. Trouver des alternatives au tout routier en utilisant le potentiel maritime semble être une préoccupation forte de la Commission européenne, face au défi climatique et énergétique. Elle a d’ailleurs récemment publié une communication sur le fret : « Keeping freight moving », dont une partie est consacrée aux mers européennes, avec l’idée de « transporter par mer sans barrières ».

Les autoroutes de la mer englobent aujourd’hui, dans des projets communs, « anciens » et « nouveaux » pays membres, partageant une façade maritime commune. On retrouve en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Slovénie, à Malte et à Chypre cette même volonté d’insérer leurs ports dans une dynamique transeuropéenne mais aussi mondiale. Qu'ils soient compétitifs, grâce à des infrastructures de qualité, leur permettant de s’insérer dans des chaînes logistiques intégrées. Destinés à être de vrais centres d'affaires, ces ports sont eux aussi des points essentiels pour tisser la toile des autoroutes maritimes européennes.

Se posent peut-être pourtant deux interrogations : les autoroutes de la mer arriveront-elles à s’imposer comme une véritable solution alternative à la route ? Offriront-elles une solution durable sur un plan environnemental ? Les effets ne seront sûrement mesurables que dans quelques années.

 

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