Libye et Biélorussie : des voisins devenus fréquentables ?

Par Claudia Louati | 22 février 2010

Pour citer cet article : Claudia Louati, “Libye et Biélorussie : des voisins devenus fréquentables ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 22 février 2010, http://www.nouvelle-europe.eu/node/804, consulté le 26 mars 2023

Contentieux internationaux et exigences démocratiques ont longtemps empêché les Européens de nouer des liens avec la Libye et la Biélorussie. La normalisation progressive des relations euro-libyennes et la politique de rapprochement européen opérée par le Président biélorusse Loukachenko laissent cependant entrevoir une évolution positive des relations de ces pays à l’UE. Officiellement inactive pour la Libye et la Biélorussie, la politique européenne de voisinage sera-t-elle relancée par la récente amélioration de ces relations ?  

 

UE-Libye et UE-Biélorussie : retour sur des relations difficiles

Les relations entre l’Europe et la Libye ont été marquées depuis les années 1980 par de nombreux contentieux et un dialogue difficile entre les dirigeants européens et le gouvernement de l’ancien leader révolutionnaire Mouammar Kadhafi, responsable du renversement du roi Idriss allié des occidentaux en 1969. Ce fut en particulier le soutien de la Libye à des groupes pro-palestiniens radicaux engagés dans des actions terroristes en Europe qui empoisonna les relations euro-libyennes dans les années 1980, alors fondées sur d’importants échanges commerciaux. Le point culminant des tensions fut l’attentat de Lockerbie de décembre 1988, où tous les passagers d’un avion de la Panam reliant Londres et New-York périrent dans l’explosion d’une bombe, puis l’attentat du DC-10 d’UTA reliant Brazzaville à Paris en septembre 1989. Les deux attentats furent attribués à des ressortissants libyens. Le refus de la Libye d’extrader les deux suspects pour l’attentat de Lockerbie entraîna la prise de sanctions contre le régime par l’ONU en avril 1992, impliquant notamment l’arrêt des liaisons aériennes vers la Libye, le gel des avoirs financiers, l’embargo sur les biens d’équipement pétroliers et le contrôle des revenus du pétrole.

Les tensions entre l’Union européenne et la Biélorussie ont quant à elles été centrées autour de la question du non-respect du pluralisme et des principes de la démocratie dans cet État encore fortement influencé par son voisin russe. Si l’Europe reconnut l’indépendance de la Biélorussie directement après l’effondrement du bloc soviétique et négocia rapidement avec elle un accord de partenariat et de coopération, l’élection du Président Loukachenko en 1994 lors d’un scrutin frauduleux mit un frein radical au développement des relations bilatérales. La tendance du Président biélorusse à l’autoritarisme notamment par la nomination arbitraire des députés et le refus de tenir des élections régulières contribuèrent à radicaliser l’attitude européenne contre le régime. Disparitions d’opposants, non-respect de la liberté de la presse et référendums tronqués ont longtemps fait de la Biélorussie un voisin infréquentable pour l’Europe, qui frappa d’interdiction de visas un certain nombre de ses dirigeants.

Règlement des contentieux et efforts démocratiques : vers la normalisation des relations euro-libyennes et biélorusses

La nécessité pour le régime d’Alexander Loukachenko de respecter les principes démocratiques est considérée par l’Union européenne comme une condition de l’établissement de relations entre l’UE et la Biélorussie. Si l’intégration à la Politique de Voisinage lui a été proposée  dès l’annonce de sa création en 2003, le manque de bonne volonté du régime dans la mise en place de réformes démocratiques a de nouveau gelé toute tentative de rapprochement. Les élections de septembre 2008 marquèrent  cependant pour la première fois un progrès dans le sens d’un développement du pluralisme et d’une ouverture du régime, progrès suivi par la suspension temporaire d’un certain nombre de sanctions européennes. Le président biélorusse avait en effet décidé de libérer le dernier prisonnier politique et avait entrepris de suivre un certain nombre de recommandations de l’OSCE, l’UE et le Conseil de l’Europe contre la fraude électorale et la censure. Ainsi, deux journaux dissidents obtinrent le droit d’être publiés et le principe de la liberté d’association a finalement été reconnu. Ces avancées, si elles sont pour l’instant limitées et relativisées par le maintien de la peine de mort et le manque de liberté d’expression, sont toutefois un signe encourageant pour le développement des relations entre l’UE et la Biélorussie et une preuve de la volonté du Président Loukachenko de faire un demi-pas vers l’Europe. Sa démarche s’explique surtout par les difficultés financières de la Biélorussie et le risque pour l’indépendance juridique de cet État que représente la tutelle russe. Contrainte de rechercher de nouvelles sources de financement et de nouveaux investisseurs pour sauvegarder son indépendance, la Biélorussie veut maintenir ouverte la porte du Partenariat oriental.

La normalisation des relations de la Libye avec l’Europe intervint quant à elle après la remise à l’Écosse par le régime libyen des deux suspects dans l’attentat de Lockerbie. Elle fut officialisée en 2003 au moment de la levée définitive de l’embargo par l’UE et du renoncement de la Libye à ses programmes d’acquisition d’armes de destruction massive. Les embargos diplomatique et militaire cessèrent en 2004 grâce à la reconnaissance par le régime de Mouammar Kadhafi de sa responsabilité dans les attentats et à un accord sur les réparations financières aux familles des victimes. Enfin, la résolution du contentieux à propos des infirmières bulgares permit également la détente des relations euro-libyennes.

L’état de la coopération entre l’UE et ces deux pays en 2010

La récente normalisation des relations entre l’Union européenne et la Libye a permis la mise en place de politiques de coopération dans deux domaines principaux, l’immigration et la lutte contre le SIDA. Ces relations ne sont cependant pas encore inscrites dans un cadre formel. La Lybie n’est d’abord pas membre du processus de Barcelone lancé en 1995. Amorcée par la Conférence ministérielle de Stuttgart en 1999, la reconnaissance de l’éligibilité de la Libye au processus de Barcelone puis à la politique de voisinage a été affirmée par le Conseil en juin 2004, sous réserve de la reconnaissance des acquis du processus en matière de protection des droits de l’homme notamment. La Libye a un statut « d’observateur » dans ces partenariats et apparaît réticente à s’y joindre. Elle a radicalement rejeté l’idée d’intégrer l’Union pour la Méditerranée, qualifiée de « projet colonial » et se satisfait d’être seulement partie au Dialogue 5+5, enceinte informelle regroupant dix pays riverains du bassin occidental de la Méditerranée (France, Espagne, Portugal, Italie, Malte, Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie), touchant principalement aux questions de stabilité et de sécurité.

Les négociations visant à formaliser les relations entre l’UE et la Libye sont néanmoins en cours. La libération des infirmières bulgares avait permis l’élaboration du « Mémorandum portant sur les relations entre la Libye et l’UE » publié le 23 juillet 2007 et qui, dans son article 5, affirmait l’engagement de mettre en place un « accord spécifique » entre les deux parties dans un nombre important de domaines. La Commission obtint du Conseil le 24 juillet 2008 un mandat de négociation avec la Libye ayant pour objectif la conclusion d’un accord en particulier dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, la mise en place d’une zone de libre-échange et de stratégies de coopération en matière d’énergie, transports, migrations, visas, justice, environnement, protection du patrimoine, politique maritime, pêche, éducation et santé publique. Le respect des principes de la démocratie, des droits de l’homme et des règles du marché seront une part intégrante de l’accord. Les négociations ont commencé en novembre 2008 et se sont poursuivies en février 2009 avec la visite de la Commissaire européenne aux affaires extérieures de l’époque, Benita Ferrero-Waldner, à Tripoli.

En ce qui concerne la Biélorussie, l’insuffisance des avancées démocratiques fait de la poursuite de l’intégration du pays dans le Partenariat oriental un processus long et difficile. Si un représentant de la Biélorussie est présent lors des Sommets réunissant les membres de ce Partenariat, la coopération bilatérale entre l’UE et cet État se limite pour l’instant à une réflexion sur la facilitation de l’obtention de visas. L’Union européenne continue d’apporter son aide à des ONG présentes sur place et œuvrant pour la démocratie et l’amélioration des conditions de vie de la population. La Commission européenne cherche d’ailleurs à s’adresser directement à la population, pour l’instant très modérément favorable au développement des relations avec l’UE. Dans un document publié en novembre 2006, la Commissaire Ferrero-Waldner faisait une longue liste des bienfaits d’un partenariat euro-biélorusse pour la population, partenariat toujours conditionné cependant par la mise en place d’une politique activiste en faveur de la protection des droits de l’homme dans le pays. 

 

 

 

Libye et Biélorussie : un avenir dans la PEV ?

La Libye comme la Biélorussie représentent aujourd’hui un enjeu stratégique pour l’Union européenne. Le pétrole libyen satisfait 40,6% des besoins de l'Italie, 17,8% des besoins allemands et Tripoli effectue avec l'Europe 83% de ses exportations et 62% de ses importations. Elle joue un rôle crucial pour la mise en place des politiques énergétique et d’immigration européennes et doit permettre à l’Europe de concurrencer la présence américaine dans la région. La Biélorussie quant à elle est, depuis l’élargissement, un État directement frontalier de l’Union européenne, un point de passage entre l’UE et la Russie et un lieu stratégique pour les questions énergétiques et migratoires. La présence d’une dictature à la porte de l’Europe apparaît par ailleurs à la fois comme une menace et une provocation au projet européen.

L’Europe ne peut donc raisonnablement négliger l’importance de ces deux États et  ses tentatives de les intégrer à la Politique de Voisinage montrent bien sa volonté d’en faire des alliés et des partenaires solides de l’Union. Cependant, la question démocratique reste une épine dans le pied de la politique étrangère européenne : porteuse de valeurs universelles et d’une culture démocratique, l’Europe ne peut se comporter comme un État réaliste, motivé par ses intérêts stratégiques et non par des considérations idéalistes. La construction européenne et le développement actuel de l’Union comme acteur international nous amènent à poser la question de la nature de la politique étrangère qu'elle devra mener. Si elle se doit de tendre la main à des voisins peu démocratiques, elle ne peut néanmoins mettre de côté ses convictions. Si le discours messianique en faveur de l’expansion de la paix et des droits de l’homme qui soutint la création de la Communauté au sortir de la guerre n’enthousiasme plus les Européens d’aujourd’hui, il doit tout de même rester un fondement et une référence dans le développement des relations de l’UE avec ses partenaires extérieurs.

 

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Source photos : “Luka and flag sur Flickr ; “Gaddafi - 38 years of rule sur Flickr