
A situation désespérée, mesures exceptionnelles. La France prévoit d’accueillir 24 000 réfugiés au cours des deux prochaines années, conformément au plan de répartition élaboré par la Commission Européenne, et pour intégrer au mieux les enfants et jeunes migrants, ou « élèves allophones nouvellement arrivés » pour citer le Ministère de l’Education Nationale. Dans ce contexte, les écoles et universités –même la Sorbonne –ouvrent leurs portes.
L’arrivée massive des réfugiés au sein de l’Union Européenne depuis ces derniers mois oblige les Etats de l’Union Européenne à se mobiliser pour leur venir en aide. Tandis que la Commission Européenne s’organise pour répartir ces nouveaux arrivés entre les différents Etats membres, certains Etats mettent déjà en route les dispositions veillant à leur accueil et à leur intégration. En France, l’Education nationale s’organise afin de permettre l’intégration des enfants et des jeunes : l’école est en effet obligatoire depuis les lois de Jules Ferry en 1882 pour tous les enfants à partir de 6 ans résidants en France. Si 6 700 élèves ont déjà été annoncés cet été pour la rentrée, le ministère de l’Education national anticipe 4 000 à 5 000 élèves réfugiés supplémentaires par an, selon un rapport du Ministère qui montre qu’un réfugié sur trois est un enfant. Sans compter les jeunes de plus de 16 ans.
L’accueil des enfants réfugiés du premier et second cycle
Selon « l’annual risk analysis » publié par l’agence FRONTEX, l’Agence européenne gérant la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’UE, les réfugiés sont principalement en 2015 originaires de la Syrie, de l’Afghanistan et de l’Erythrée. Les enfants nouvellement arrivés ne maîtrisent ainsi que peu voire pas du tout la langue française. L’organisation en place pour les intégrer dans le système éducatif découle de la circulaire du 2 octobre 2012 et se présente telle qui suit. En premier lieu, ils doivent passer des tests pour être correctement orientés : le CASNAV –centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs–est l’organisme institutionnel qui se charge d’accueillir ces enfants et d’évaluer leur niveau scolaire pour les répartir dans les classes du cycle primaire et secondaire. Cependant, si l’objectif final est « l'inclusion dans les classes ordinaires», la scolarisation de l’enfant peut nécessiter « temporairement des aménagements et des dispositifs particuliers. »
La mise en place des UPE2A ou unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants sert d’étape transitoire pour la grande majorité de ces enfants et de ces jeunes, en proposant du soutien scolaire au premier cycle (des heures en plus) et un regroupement de ces élèves spécifiques dans le cycle secondaire (au début, les jeunes partagent seulement certains cours dans les classes « normales »). Si les plus de 16 ans ne relèvent pas de l’obligation d’instruction, la circulaire souligne toutefois que ces jeunes «doivent bénéficier, autant que faire se peut, des structures d'accueil existantes » pour accéder à la maîtrise de la langue (orale et écrite) et développer leur projet professionnel pour intégrer une formation.
Et pour l’enseignement supérieur?
L’Etat français se mobilise en faveur de l’intégration des enfants dans le système scolaire, en revanche, l’intégration des jeunes et des étudiants reste floue et ne figure pas dans l’agenda politique du Ministère de l’enseignement supérieure et de la recherche : lors de la conférence de presse de la rentrée étudiante 2015 tenue par Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon, le point de l’accueil des étudiants étrangers a été abordé sans spécifier le cas particulier des réfugiés de le crise migratoire. L’association de Conférence des présidents de l’université (CPU), réunissant des dirigeants exécutifs des universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche (tels que les écoles normales supérieures, INP, INSA…) a manifesté d’une seule voix pour recevoir « les réfugiés des pays victimes de conflits ». De ce fait, les universités se sont engagées à « accompagner les jeunes adultes réfugiés, titulaires d’un récépissé de l’OFPRA, qui souhaitent suivre un cursus d’études dans le supérieur ou recevoir une formation de niveau universitaire afin de faciliter leur insertion dans la société française. » Pour certains universitaires, ces propositions restent cependant encore insuffisantes comparées aux dispositifs de solidarité existants dans d’autres pays de l’UE comme l’Allemagne. (cf lettre du collectif des universitaires dans la rubrique "Aller plus loin")
Bienvenue à la Sorbonne !
L’ouverture des portes de certaines universités et la mise en place de dispositifs adaptés témoignent de cet élan de solidarité : à titre d’exemple, l’université de Nanterre qui accueille déjà une vingtaine de réfugiés à chaque rentrée, l’Université de Strasbourg, ou encore la renommée Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1). Le 15 septembre 2015, Philippe Boutry, président de l'Université Panthéon-Sorbonne, a envoyé un communiqué à tous ses étudiants et membres universitaires afin d’annoncer l’accueil d’une centaine d’étudiants réfugiés pour cette rentrée, offrant des parcours adaptés à leurs besoins pour accéder à des formations diplômantes (licence et master). Mais toute action humanitaire et solidaire a un coût et l’Emir de l’Etat du Qatar a souhaité soutenir financièrement cette action afin de contribuer « aux frais de vie et de logement des étudiants réfugiés syriens », dans l’objectif de former « dans ses grands domaines de formation et de recherche (le droit et la science politique, l’économie et la gestion, les sciences humaines et les arts) » les futurs cadres dont le Moyen-Orient aura besoin pour se développer et se reconstruire.
Lundi 14 septembre 2015, le document signé entre le Président de Panthéon-Sorbonne et le Procureur de l’Etat du Qatar est « un protocole d’accord précisant les conditions de ce partenariat à hauteur de 600 000 € par an sur trois ans. »
Un accord controversé : l’accueil oui, mais à quel prix ?
Suite à cette annonce, des réactions. C’est le cas de l’UNI (Union nationale interuniversitaire) –une organisation universitaire se revendiquant politiquement de droite –qui a vivement protesté contre l’accord en lançant une pétition intitulé « Non à l’accord Paris 1/Qatar sur l’accueil des migrants ». Il en va de même pour le syndicat étudiant Solidaires Etudiants s’inscrivant dans le syndicalisme de lutte. Ce dernier s’est vivement opposé à l’accord, jugeant les capacités d’accueil « dérisoires » et remettant en cause l’alliance entre Panthéon-Sorbonne et le Qatar, mais rejetant également le discours radicale de l’UNI.
Outre ces protestations, l’accord révèle des problèmes de fond. Tout d’abord, des solutions minimalistes qui ne prennent pas en compte les réalités sociales: le manque de place dans les universités paralyse l’accueil des étudiants en général, qu’ils soient français, étrangers ou réfugiés, et une centaine de place ne paraît guère suffisant face à l’ampleur du phénomène migratoire et du nombre de réfugiés arrivants. Ensuite, l’alliance économique entre une institution publique, laïque qu’est l’université et un pays tel que le Qatar : pour cela, il faut rappeler qu’en France, les universités sont largement contrôlées et financées par une collectivité publique, où l'enseignement supérieur reste essentiellement du domaine de l'État, celui-ci leur conférant une certaine autonomie. Un accord économique entre une université française et un Etat autre que l’Etat français génère des questions sur le poids de l’influence de cet Etat au sein de l’université. Enfin, la position du Qatar dans cette crise humanitaire reste pour le moins ambiguë.
La position de l’Etat du Qatar face à la crise migratoire
L’Etat du Qatar, pays du Moyen-Orient, est l’un des plus petits Etats du Golfe mais l'un des plus dynamiques en termes économiques : il tire en grande partie sa puissance des richesses du sol (hydrocarbures, pétrole..). La position de cette monarchie islamique (c’est la religion officielle du pays) sur la crise humanitaire et migratoire qui trouve sa source au Moyen-Orient est à replacer dans son contexte : elle ne diffère pas des autres pays du Golfe. En décembre dernier, l’ONG Amnesty International établissait un rapport selon lequel les six pays du Golfe –soit l'Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït, Oman, Bahreïn et les Émirats arabes unis– n'avaient proposé aucune place d’accueil aux réfugiés syriens. Par ailleurs, tous ces Etats investissent beaucoup d’argent dans les pays d’accueil pour les soutenir mais ne proposent aucune aide concrète telle que la construction de logements à destination des réfugiés.
Le Qatar est aussi l’un des pays à ne pas avoir signé la Convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugiés et qui oblige à donner le statut de « réfugiés » aux individus fuyant les conflits. Mathieu Guidère, spécialiste de géopolitique dans le monde arabe, fait remarquer que « les pays du Golfe considèrent que l'accueil de réfugiés favoriserait un appel d'air qui viderait encore plus les pays de leur population, or ils veulent que les habitants restent dans leur pays d'origine ». De plus, selon lui, les réfugiés aspirent davantage à rejoindre l’Eldorado qu’est l’Europe qu'à rester au Moyen-Orient : « si vous arrivez jusqu'en Europe sain et sauf, les avantages par la suite sont beaucoup plus importants que dans les pays du Golfe. Si vous arrivez dans les pays du Golfe, vous n'avez aucun accueil, aucun avantage et vous êtes immédiatement refoulé. »
Face aux réfugiés arrivants en France, l’Etat français accompagne l’accueil et l’intégration des enfants et des plus jeunes, mais semble oublier les plus de 16 ans. Atones et lentes à réagir, les universités se mettent doucement à ouvrir leurs portes aux réfugiés. Mais certains accords, tel que celui de l’Université Panthéon-Sorbonne avec l’Etat du Qatar, entaché de corruption et accusé de violation des droits de l'Homme (cf. les traitements inhumains réservés aux ouvriers népalais travaillant pour la Coupe du monde de football 2022), font polémique sur la gestion de cet accueil et génèrent des questions controversées sur les intérêts de pays investisseurs tels que le Qatar. A ce jour prédomine le sujet de la responsabilité de chacun, des institutions publiques telles que les universités et les écoles aux Etats d’accueil européens mais aussi aux pays du Moyen-Orient.
Aller plus loin
Sur internet :
Crédit image : Camille Stromboni, Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne (octobre 2013) sur flickr