Les pays Baltes face au nouveau "Concept stratégique de l'OTAN"

Par Mariliis Mets | 10 janvier 2010

Pour citer cet article : Mariliis Mets, “Les pays Baltes face au nouveau "Concept stratégique de l'OTAN"”, Nouvelle Europe [en ligne], Dimanche 10 janvier 2010, http://www.nouvelle-europe.eu/node/765, consulté le 02 juin 2023

La pierre angulaire de la sécurité des pays Baltes est en transformation : les alliés sont en train de travailler sur le nouveau "Concept stratégique de l'OTAN". Cela suscite un vif intérêt et également des inquiétudes chez les nouveaux membres faute d'une vision commune au sein de l'alliance sur le rôle et la raison d'être de l'OTAN.

L'OTAN dans l'environnement sécuritaire d'aujourd'hui

Au sommet de Strasbourg/Kehl en avril 2009, célébrant le 60e anniversaire de l'OTAN, les membres de l'Alliance ont adopté la « Déclaration sur la sécurité de l'Alliance » qui prévoit un nouveau "Concept stratégique en 2010". Le concept stratégique définit la direction stratégique de l'Alliance, il précise les objectifs, le spectre des actions et les capacités nécessaires pour atteindre ses objectifs en guidant de cette manière son évolution politique et militaire.

Depuis la fin de la Guerre froide, le monde et la place de l'Alliance militaire dans ce monde ont beaucoup changé. Après la chute de l'Union soviétique, les critiques mettaient en question la survie de l'OTAN suite à la disparition de son adversaire, et sa raison d'être. Pourtant, l'OTAN a su s'adapter et elle est aujourd'hui l'alliance militaire la plus importante au monde. Elle est également régulièrement qualifiée de success story vue la stabilité qui a été instaurée au sein de la communauté transatlantique et sa capacité d'adaptation à l'ordre mondial en transformation permanente.

Malgré cela, le dernier Concept stratégique (1999) est considéré comme dépassé et il est devenu impératif de redéfinir la stratégie et le rôle de l'OTAN dans le nouvel environnement sécuritaire. Déjà à l'origine, le concept stratégique de 1999 était critiqué de plutôt décrire la situation du moment au lieu de donner une véritable vision pour l'avenir. L'adoption de la « Directive politique globale » au sommet de Riga en 2006 est une démonstration implicite de l'inadaptation de l'ancien Concept stratégique dans le nouveau contexte.

Depuis 1999, l'environnement sécuritaire a changé d'une façon spectaculaire. Le 11 septembre 2001, l'opération de l'OTAN en Afghanistan, l'invasion américaine de l'Irak, le développement de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et la guerre russo-géorgienne ont marqué le plus cette période. Par ailleurs, le nombre des États membres a augmenté jusqu'à 28, et on note des divisions grandissantes au sein de l'Alliance. De plus, les nouveaux risques - prolifération des armes de destruction massive, terrorisme global, rareté des ressources naturelles, sécurité énergétique, problèmes climatiques, sociologiques et démographiques - ne sont plus limités en espace ou dans le temps, d'où une menace latente, même si ces risques émergent peu probablement sur le territoire des alliés. Mais face à ces nouveaux défis et enjeux, il manque une approche commune. Le clivage est encore plus flagrant entre les nouveaux et les anciens membres.

Gendarme du monde versus alliance régionale de défense collective

L'article 5 du Traité de Washington a longtemps été la « colonne vertébrale » de l'Alliance en mettant la priorité sur la défense des alliés et les opérations dans la région euro-atlantique. Même s'il n'est pas question de modifier le traité fondateur, l'interprétation de l'article 5 est la cause d'un des clivages les plus importants au sein de l'OTAN.

Les pays Baltes espèrent voir un rôle central accordé à l'article 5 dans le nouveau Concept stratégique. Pour ces États qui se souviennent encore trop bien de l'occupation soviétique, qui considèrent la Russie comme une menace et qui dépendraient largement des forces armées de l'OTAN en cas d'agression, l'article 5 est une « assurance vie », comme l'a dit le Ministre de la défense letton, Imants Liégis. De plus, deux événements récents ont contribué à cette vision : la guerre russo-géorgienne (août 2008) et les exercices militaires (automne 2009) avec 12500 troupes aux frontières de l'OTAN organisés par la Russie et la Biélorussie. Le représentant estonien auprès de l'OTAN, Jüri Luik, a également souligné que les aspects les plus importants pour eux sont la sécurité européenne et la capacité de l'OTAN à défendre ses membres. Même si l'article 5 ne va pas disparaitre, les pays Baltes espèrent lui donner une interprétation et des applications plus concrètes dans le contexte actuel.

Parallèlement, l'ampleur et la nature des opérations de l'OTAN ont changé et depuis un certain temps il ne s'agit plus d'une alliance de défense collective concentrée uniquement sur la région euro-atlantique. Les missions en Afghanistan et au Kosovo, opération anti-terroriste dans la Méditerranée Active Endeavor, opérations contre la piraterie sur les côtes de Somalie, soutien apporté dans les missions de reconstruction etc. On assiste à une diversification des tâches et à un agrandissement de l'ampleur des actions de l'OTAN. Ce sont notamment les membres anglo-saxons qui sont partisans de la globalisation de l'OTAN ce qui permettrait à l'Alliance d'agir plus loin et dans des situations plus diverses ; ils aimeraient voir l'OTAN jouer un rôle plus important dans la sécurité globale, des fois surnommée « gendarme du monde ». Par contre cela nécessite une contribution financière et militaire plus importante de la part des partenaires européens qu'ils ne sont pas forcement en mesure de donner autant ou alors il manque de volonté politique. Mais cette tendance inquiète les pays Baltes, car ils craignent qu'une approche très vaste diminuerait l'attention portée à la défense collective et la sécurité européenne.

L'OTAN dans son voisinage : la Russie et l'élargissement de l'Alliance

Pour un acteur global comme l'OTAN, les partenaires sont indispensables afin de garantir la réussite des opérations et pour avoir une meilleure portée pour ses actions. Aujourd'hui, l'OTAN a établi de nombreux partenariats, comme le Partenariat pour la paix, le Dialogue méditerranéen et l'Initiative de coopération d'Istanbul, une coopération avec des institutions comme l'UE, l'ONU, l'OSCE, l'Union africaine, mais également avec des pays comme l'Australie, le Japon ou la Russie. C'est justement cette dernière qui nous intéresse vues les approches divergentes au sein des alliés.

La Russie est et restera un voisin et un partenaire incontournable. Par contre, il y a un manque cruel de consensus sur la forme et l'étendue de cette coopération. Le discours et les actions de la Russie sont souvent considérés comme une menace pour les pays Baltes. La rhétorique des « sphères d'influence », « encerclement », l'opposition à l'élargissement de l'OTAN plus vers l'Est et la guerre avec la Géorgie poussent ces États à demander de définir une stratégie plus ferme dans les relations avec la Russie. Ces pays-là ont également demandé l'application de sanctions contre la Russie après la guerre russo-géorgienne, mais cette demande  n'a pas été retenue car les  "vieux" membres ne souhaitent pas voir se dégrader ses relations avec ce voisin important. La Russie est également impliquée quand on parle d'une présence plus importante des troupes (bases, entrainements etc.) de l'OTAN sur le sol des pays Baltes, comme souhaiteraient ces trois pays. La Russie s'oppose à ce genre d'initiatives car cela heurterait sa « sphère d'influence ». Par conséquent, il est très peu probable que les vieux États membres cèdent aux demandes et inquiétudes des nouveaux. Cependant, il est impératif d'avoir une stratégie cohérente avec la Russie et une coopération étroite.

L'autre question importante est celle des élargissements. La crise géorgienne a démontré un désaccord profond au sein de l'Alliance concernant les limites, les objectifs et les motivations de l'élargissement. Les pays Baltes sont pour la continuation des élargissements et ils y voient une garantie de sécurité et d'indépendance, comme pour eux auparavant. Pour cette raison, les pays Baltes avec la Pologne sont les partenaires les plus fidèles de la Géorgie et l'Ukraine. L'objectif est de soutenir leurs efforts de démocratisation et d'éloignement de la Russie et l'OTAN y joue un rôle crucial. Ces pays peuvent se féliciter des progrès fait en la matière car, en coopération avec les États-Unis, ils ont réussi à faire avancer le projet pour l'Ukraine et la Géorgie. Plus généralement, les pays anglo-saxons pourraient être un allié intéressant pour les Baltes vu qu'ils ont une approche relativement similaire : les anglo-saxons voient dans les élargissements un moyen d'élargir l'influence de l'OTAN et d'apporter un soutien aux démocraties fragiles menacées. Par contre, les États comme la France et l'Allemagne estiment que l'Ukraine et la Géorgie ne sont pas encore prêtes pour adhérer à l'OTAN. Par ailleurs, ils voient pour leur part dans l'élargissement plutôt un facteur contribuant à une instabilité interne croissante de l'OTAN, une perte nette pour l'Alliance et des complications pour leurs relations avec la Russie.

Tous les espoirs reposent sur M. Imants Liégis, le représentant letton faisant partie du groupe des experts qui travaille sur le nouveau Concept stratégique. Sa candidature étant soutenue par les trois pays Baltes, on espère qu'il pourra défendre la cause de ces « poids légers » de la défense. Mais une idée intéressante plus adaptée à l'environnement sécuritaire du XXIe siècle, évoquée par M. Liégis, est celle de la double interprétation de l'article 5, ce point épineux pour les Baltes. M. Liégis conseille de considérer la défense collective non seulement en tant que soutien militaire immédiat mais avant tout en tant qu'une expression d'unité politique et de solidarité. Cette vision des choses pourrait satisfaire les pays Baltes et permettre de trouver un consensus sur la raison d'être de l'OTAN. Mais pour le moment, nombreux sont encore les problèmes qui restent à résoudre.

 

Pour aller plus loin

Sur Nouvelle Europe

Sur Internet

À lire

  • WITTMANN Klaus, Towards a New Strategic Concept for NATO, NATO Defense College, Rome, 2009

  • BUGAJSKI Janusz, America’s New European Allies, Nova Science Publishers, Inc., New York, 2009

Source photo : European Parliament, NATO headquarters in Brussels, Novembre 16, 2009, Flickr