
La tension monte, mais les conflits ouverts et les champs de batailles sont interdits. Tandis que les deux blocs s'affrontent indirectement dans leurs arrière-cours, les Jeux olympiques, en théorie un évènement apolitique et fair play, deviennent également une des principales arènes de combats.
Instrumentalisation progressive du sport dans le système soviétique
Le sport n'a pas toujours eu une place dans le système soviétique. Durant l'entre-deux-guerres, le sport et les JO étaient considérés comme une pratique bourgeoise et capitaliste. Cependant, cette attitude changea progressivement quand les dirigeants de l'Union soviétique y trouvent des vertus considérables pour leurs projets révolutionnaires.
La culture physique devient un aspect central dans la création de l'homme nouveau, de l'homo sovieticus. Surveillé de près par le Ministère de la Santé, le sport devient un moteur du changement social : par ce biais les dirigeants espèrent lutter contre l'alcoolisme, l'illettrisme, apprendre aux différents peuples à vivre en collectivité et beaucoup plus encore. La culture physique est désormais un outil de politique intérieure qui vise à former ce fameux homo sovieticus. Par la suite, le sport s'avère aussi un vecteur d'union très utile. En faisant participer les sportifs des Républiques soviétiques à de grandes compétitions, Moscou prouvait la dimension d'égalité et de fraternité de l'URSS.
Le sport se trouve également instrumentalisé au niveau du mouvement communiste international : en 1921, l'Internationale rouge du Sport (IRS) fut créée. Ils se fixent comme objectif de répandre par leur mouvement sportif des idées révolutionnaires et de former des combattants communistes. Afin de cimenter les liens entre les prolétaires des pays différents, l'IRS lance en 1928 ses « spartakiades » comme opposition à cette pratique des capitalistes nommée les Jeux olympiques.
Progressivement, Moscou sort de son isolement et adopte une approche plus pragmatique dans les relations internationales. Avec la normalisation de ses relations avec les pays de l'Ouest, l'URSS a également découvert son intérêt pour le sport dans les relations internationales. L'approche selon laquelle le sport est une pratique culturelle et populaire importante sur laquelle s'appuie l'idéologie se répand. Le sport se transforme en vecteur de puissance et de combat durant la Guerre froide. Et c'est avec les JO d'Helsinki en 1952 que Moscou décide définitivement de changer sa politique de sport et rejoint le mouvement olympique.
Les JO : un merveilleux outil de propagande
Pendant la période de la Guerre froide, les JO étaient un important outil de propagande. Le sport et les sportifs étaient considérés comme des symboles de l'identité nationale et par conséquent instrumentalisés dans la lutte entre les deux blocs. Une victoire sur la piste de course ou sur le terrain de basket était vue comme une preuve de la suprématie d'un régime sur l'autre. La machine de propagande fut extrêmement bien développée des deux côtés.
Aux États-Unis, le Comité olympique américain figurait sur la liste les organismes à utiliser à des fins de propagande. Beaucoup d'autres institutions étaient mobilisées pour créer un imaginaire collectif qui s'appuyait en grande partie sur le sport et sur l'olympisme. La machine de propagande américaine utilisa toutes les failles du système soviétique pour démontrer leur propre supériorité. Par exemple, l'action des dissidents de l'Est était relevée par le National Committee for a Free Europe. Le même comité aidera également à la défection des sportifs de l'Est. Quand, lors des JO de Melbourne (1956), 45 sportifs hongrois s'échappent et demandent l'asile à l'Ambassade américaine, l'évènement fut médiatisé à grande échelle par la suite. Même un tour d'exposition est organisé aux États-Unis visant à montrer la générosité américaine et pour donner un coup au prestige de l'URSS.
Parallèlement, les JO étaient l'occasion pour le régime soviétique de visualiser ce fameux ennemi capitaliste et de démontrer les bienfaits de leur système. Les victoires de l'URSS créaient des héros socialistes et cimentaient leur réputation de grande puissance. Et on peut dire que sur le terrain sportif, Moscou a su confirmer sa supériorité. Dès sa deuxième participation, l'URSS passe en tête avec 37 médailles d'or contre 32 médailles américaines. Sept fois sur neuf pendant ses apparitions aux JO, l'Union soviétique a remporté le classement des médailles. Les deux autres fois, elle finit deuxième.
Il faut également noter que finalement le sport et la conquête spatiale étaient devenus les seuls domaines où l'URSS pouvait encore concurrencer les États-Unis. Dans les années 1970, Moscou commençait à se rendre compte de leur retard important en matière de développement économique. Mais les JO leur donnait un autre terrain pour combattre l'ennemi, et en plus, cela devant des millions de téléspectateurs. Les journaux soviétiques déclaraient à haute voix après chaque victoire que celles-ci constituent une preuve éclatante de la puissance du système soviétique et que celui-ci est le meilleur pour l'accomplissement physique et spirituel de l'homme. Ceci n'était pas insignifiant pour leur propagande, surtout au Tiers-monde, où la conquête pour l'influence était encore en cours.
La science du sport et la machine soviétique à champions
Tenant compte de l'importance de l'enjeu, tous les moyens étaient mobilisés pour assurer la suprématie de l'Union soviétique. L'URSS met en place une véritable machine à champions. On s'éloigne de l'idéal des fondateurs des JO qui voyaient les sportifs comme des amateurs émergés spontanément de la masse des pratiquants.
Le sport soviétique devient une affaire des hautes sphères du Parti communiste et des scientifiques. Une hiérarchisation des sports est faite par le parti et les disciplines olympiques majeures sont privilégiées. Les systèmes de détection très étendus sont créés permettant de trouver de potentiels talents dès leur plus jeune âge. Les futurs talents sont placés sous la supervision de l'État, dans des programmes d'éducation spécialisés. Souvent ces enfants grandissent loin de leurs familles, sous l'œil attentif de l'entraineur avec de longues heures d'entrainement quotidien. On y invente le sport de haut niveau. Les scientifiques sont également mis au service du sport afin d'améliorer les performances. Les athlètes bénéficient régulièrement des services de l'armée ou du KGB pour y développer davantage leurs capacités. Les « amateurs » soviétiques ne ressemblent pas vraiment à leurs collègues de l'Ouest...
Cette méthode scientifique mise au point par Moscou est appliquée à tout le bloc de l'Est et aux Républiques soviétiques. Mais, par exemple, la République démocratique allemande (RDA) va encore plus loin en développant ses propres méthodes. Ce « volontarisme » est-allemand transforme les athlètes en hybrides homme-femmes (qui n'aurait pas entendu parler des nageuses est-allemandes qui ressemblent à peine à des femmes ordinaires ?). Les scandales de dopage voient jour. Mais tout cela a des résultats remarquables au regard des classements : la RDA arrive à se classer première en 1980 et 1984 malgré le fait que sa population est nettement moindre que celle des États-Unis ou de l'URSS.
Géopolitique des JO et boycottes
Les Jeux olympiques sont malgré leur apparence apolitique un excellent terrain où observer aussi les enjeux géopolitiques. Une première manifestation de ces jeux de puissance a eu lieu lors des JO d'Helsinki en 1952. L'URSS refuse de partager le village olympique avec les autres délégations et construit son propre village. Les sportifs de l'Est se trouvent « protégés » des mauvaises influences et des ennemis par des fils barbelés. L'accès à ce village d'Otaniemi était strictement interdit au public et même aux journalistes, quelque soit leur nationalité.
En 1956, les boycottes commencent. Pour protester contre les répressions violentes de l'insurrection de Budapest en 1956, l'Espagne, la Suisse et les Pays-Bas boycottent les JO de Melbourne. En même temps, ces JO sont aussi l'occasion historique pour les pays du bloc de l'Est de tenter d'affronter l'Union soviétique, même si c'est uniquement sur le terrain sportif. La finale de water-polo entre la Hongrie et l'URSS a fini en une bagarre violente entre les joueurs...
Les JO de Moscou en 1980 furent également très controversés. Les États-Unis ont orchestré une mobilisation générale pour protester contre l'invasion soviétique en Afghanistan. Tous les pays sont appelés à boycotter ces Jeux. Au final, seules 80 nations sont représentées lors de ces JO, ce qui constitue le plus faible chiffre depuis 1956. En outre, les États-Unis décident même de ne pas retransmettre en direct les épreuves. Cela prive Moscou de la reconnaissance internationale qu'elle espérait avoir grâce à ses grandioses jeux.
Moscou veut rendre le coup en boycottant les JO de Los Angeles en 1984. Mais cela n'aura pas ni le même effet ou ni la même ampleur qu'en 1980. Seuls douze pays communistes suivront l'exemple de l'URSS. En même temps, les Américains travaillent dur pour isoler Moscou. Les hauts responsables américains se rendent personnellement dans plusieurs pays afin de les convaincre à ne pas s'aligner sur Moscou dans cette décision. De plus, des vols charters sont organisés pour proposer un transport gratuit aux sportifs des pays africains. Tous ces efforts augment le nombre de participants et par conséquent mettent plus en valeur la marginalisation des pays communistes.
Non seulement l'olympisme faisait partie des programmes de propagande durant la Guerre froide, mais il est devenu un outil central dans les nouvelles diplomaties culturelles et sportives des deux blocs. La victoire légitime le régime, crée une identité collective et constitue une sorte de preuve de la puissance. Que faut-il encore pour politiser les JO ?
Pour aller plus loin
Sur Nouvelle Europe
- Dossier de mai 2010 : Équipe Europe : balle(s) au centre ?
- Dynamo ou CSKA ? Un voyage sportif à l'est du continent
- Et Dieu créa Sotchi
Sur Internet
- LE GUELLEC Gurvan, « Les guerres olympiques de l'URSS », Regard sur l'Est
- BONIFACE Pascal, « Géopolitique des Jeux olympiques », Le Monde diplomatique
À lire
-
GYGAX J., « Diplomatie culturelle et sportive américaine : persuasion et propagande durant la Guerre froide », Relations internationales 2005/3, n° 123, p. 87-106
-
HILL Christopher R., Olympic Politics, Manchester University Press, Manchester, 1992
-
VINOKUR Martin Barry, More than a Game: Sports and Politics, Greenwood Press, New York, 1988
À regarder
- “Szabadság, szerelem” de Joe Eszterhas (2006)
Source photo : Summer Olympic Games, par familywmr, sur flickr