
Dynamiser l’emploi en Europe par le biais de la nouvelle croissance verte, voilà un des objectifs de la Commission européenne, inscrit désormais dans sa stratégie EU 2020. Est-ce que ça marche ?
Les emplois verts, la nouvelle panacée des décideurs politiques et de la société civile ?
Une économie européenne plus vertueuse dans sa consommation énergétique, favorisant par delà sa compétitivité internationale, voilà le souhait et l’objectif de la Commission européenne et des États membres. Le fameux engagement du « 3x20 » a été entériné par le Conseil européen de mars 2007, puis validé par le Parlement européen, dans le "Paquet Énergie-Climat" (décembre 2008). Les États membres s’engagent à :
- augmenter de 20% l’efficacité énergétique d’ici 2020,
- réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020,
- atteindre une proportion de 20% d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale de l’Union européenne d’ici 2020.
Un tel engagement demande un changement des comportements tant des citoyens que des acteurs économiques. D’aucun d’y voir alors des opportunités nouvelles de développement pour ces derniers, avec, à la clé, la création d’activités innovantes et des emplois.
Une bataille du chiffre existe autour du gisement d’emplois que les secteurs liés à cette évolution pourraient créer. Selon un récent rapport du WWF, publié en 2009 et intitulé « Low carbon jobs for Europe : current opportunities and future prospects », quelques chiffres peuvent être avancés. Aujourd’hui, 400 000 Européens travailleraient dans des activités liées aux énergies renouvelables et 2,1 millions de personnes occuperaient un emploi dans le secteur du transport efficient. Le nombre d’Européens ayant un emploi indirectement lié aux activités du renouvelable serait de 5 millions. Le WWF estime que 3,4 millions d’emplois à faible émission de carbone pourraient être créés dans les années à venir.
Dans sa feuille de route sur l’énergie, publiée en 2006, l’Union européenne évoque un chiffre de 650 000 emplois en Europe. Les secteurs actuellement pourvoyeurs d’emploi sont la biomasse, l’hydrolique et l’éolien. Les secteurs du photovoltaïque ou de la géothermie ne concentrent que peu d’emplois.
Dans le cadre de sa stratégie « UE 2020 », qui renouvelle la stratégie de Lisbonne arrivée à terme, l’Union européenne se fixe l’objectif d’un taux d’emploi de 75%. Compte-t-elle sur les emplois verts pour atteindre ce taux ? Cette stratégie prend clairement en compte les objectifs de développement durable, en proposant de rendre l’économie plus verte et innovante, tout en conservant ses objectifs initiaux : plus de croissance et des emplois plus nombreux et de meilleure qualité.
Mais alors, que sont ces « Green jobs » ? Le concept d’emplois verts a notamment été développé par l’UNEP, le Programme environnemental des Nations Unies, dans un texte co-rédigé avec ILO (Organisation internationale du Travail, OIT) et ITUC (Confédération syndicale internationale, CSI), en 2008. Les emplois verts y sont définis comme « des occupations liées à des activités d’agriculture, de manufacture, de R&D, d’administration et de services, dont le but est d’alléger la myriade de menaces environnementales auxquels fait face l’humanité ». Une définition large et qui apparaît peu claire.
L’Union européenne a sa propre analyse, développée par Eurostat. L’organisme de statistiques de l’UE explique simplement qu’il n’existe pas de définition des « green jobs ». Les activités sont plutôt définies en deux catégories : celles liées à la protection de l’environnement et celles se rapportant à la gestion des ressources.
On peut ainsi penser aux secteurs d’activités suivants : les énergies renouvelables, le bâtiment, l’agriculture, la construction électrique, les transports, le raffinage, l’eau et l’assainissement, l’exploitation des ressources halieutiques, le tourisme et l’automobile.
C’est un grand pan de l’économie qui semble donc être concerné par cette manne des emplois verts. Mais alors que peut-on en attendre? S’agit-il de mettre fin à des emplois aux productions polluantes, dont les compétences deviendraient obsolètes ? S’agit-il de « verdir » ces mêmes emplois, en adaptant les secteurs et les compétences des employés ? Ou bien, s’agit-il, enfin, de créer de nouveaux emplois, dont les compétences sont elles aussi nouvelles et demandent une évolution des formations ? Ces emplois verts sont-ils une fausse bonne idée ?
Les emplois verts, une niche dans la création d’emplois
Les chiffres publiés et présentés précédemment peuvent laisser espérer une dynamisation de l’emploi, mais il n’en demeure pas moins que plusieurs écueils apparaissent.
Tout d’abord, le taux de chômage de l’UE et des États membres nouvellement entrés. Mise à part la Pologne, tous ont beaucoup souffert de la crise financière et économique. Selon les données Eurostat, le taux de chômage de l’UE-27 était, en décembre 2009, de 9,8%. Un groupe de pays connaissait à la même date un taux de chômage plus élevé que la moyenne européenne : la Lettonie (20,5%), la Lituanie (15,8%), la Hongrie (10,6%) et la Slovaquie (14,2%). Les opportunités offertes par la mutation vers une économie verte ne sont pas perçues comme une possibilité de relever ces économies en difficultés et de réduire le taux de chômage. Ou alors, à la marge. D’autres défis attendent tout d’abord les gouvernements de ces États membres. Les réformes structurelles en font partie. Les programmes nationaux de réforme en attestent clairement. Ces rapports, remis par les États membres à la Commission européenne, constituent un exercice de présentation et d’analyse de la mise en œuvre de réformes, visant à prendre en compte les priorités et les objectifs de la stratégie de Lisbonne.
Ces rapports font apparaître un deuxième élément. Si les « nouveaux » États membres ont bien pris conscience de la nécessité de mettre en œuvre des plans d’action pour rendre leur économie plus verte, durable et innovante, ils n’ont pas intégré dans ces stratégies de dimension d’emploi. Le potentiel de création d’emplois et les besoins nécessaires d’adapter l’offre de formation ne sont pas considérés.
Or, la mutation vers une économie tournée vers une valorisation des secteurs du renouvelable et de l’efficacité énergétique demande une adaptation du cadre de formation. Le rapport 2009 sur l’emploi de la Commission européenne le souligne pourtant. Il y est expliqué que la majorité des emplois déjà existants de l’économie verte, mais aussi ceux à venir, exigent une main d’œuvre qualifiée. Rendre les produits et les services plus efficaces dans leur consommation en énergie appelle un renforcement de la recherche et développement et donc des compétences précises que détiennent par exemple les ingénieurs. L’analyse menée dans le rapport sur l’emploi de l’UE indique que les premiers bénéficiaires des emplois verts seront les personnes les plus qualifiées, formant une nouvelle catégorie socio-professionnelle, les « new green-collar ». Ce n’est que dans un deuxième temps que les Européens moins qualifiés accèderont aux emplois verts, par le biais des activités d’installation ou de maintenance d’infrastructures déjà implantées.
Ce constat conduit donc à la question de la nécessaire adaptation des compétences des Européens. Cela implique de repenser tout aussi bien les offres de formation initiale (nouveaux masters, nouvelles formations techniques) que les offres de formation tout au long de la vie.
Cette compétence relève de chaque État membre et fait pleinement partie du champ des réformes structurelles. Cependant, l’Union européenne n’est pas démunie pour accompagner les États membres. Par exemple, l’un des fonds structurels, le Fonds social européen (FSE), a vocation à renforcer la cohésion économique et sociale, en améliorant l’emploi. Le soutien apporté par le FSE participe aux objectifs de la Stratégie de Lisbonne et de la Stratégie européenne pour l’emploi, notamment afin d’augmenter la capacité des travailleurs et des entreprises à s’adapter aux mutations économiques. Ainsi, le besoin en main d’œuvre qualifiée induit par le passage à des emplois verts techniques et spécialisés pourrait être anticipé et mieux géré. Un cofinancement FSE peut également se traduire par un appui aux systèmes et aux structures de la formation professionnelle.
Tout dépend des priorités nationales, mis en avant dans les programmes opérationnels. Chaque État membre doit en effet produire ce document, qui présente les grands champs d’action du FSE pour chaque programmation ainsi que les montants alloués à partir de l’enveloppe nationale accordée par la Commission européenne. D’un État membre à un autre, les priorités ne sont pas les mêmes en fonction du contexte national et des défis socio-économiques à relever.
Prenons l’exemple du programme opérationnel de la Lituanie, qui bénéficie d’un soutien FSE de 935 millions d’euros. Il combine trois priorités qui pourraient permettre, sur le long terme, à cet État d’être compétitif dans le champ de l’économie verte. Ces trois priorités sont l’appui à des emplois de qualité, le soutien à la formation professionnelle tout au long de la vie et l’augmentation des compétences des chercheurs et des scientifiques. Les deux premières priorités concentrent à elles seules, respectivement, 40% et 25% du total FSE accordé à la Lituanie.
Une autre initiative politique pourrait être évoquée, intitulée « De nouvelles compétences pour de nouveaux emplois », lancée en décembre 2008 par la Commission européenne. Tout comme le FSE, cette initiative s’inscrit dans le cadre des objectifs de la Stratégie européenne pour l’emploi et, désormais, de la stratégie « UE 2020 ». Cette initiative offre un cadre de réflexion pour les États membres sur le marché de l’emploi européen des années à venir ainsi que sur le niveau de compétences nécessaire. Il est ainsi, entre autres, visé une meilleure adéquation des compétences et des emplois et une anticipation des tendances de l’offre et de la demande de qualifications. La réflexion sur le développement des emplois verts rentre tout à fait dans ce cadre. Le groupe d’experts chargé, en mars 2009, par la Commission européenne de réfléchir à cette stratégie vient juste de présenter son rapport (février 2010) « New skills for new jobs : action now ».
Reste à savoir comment les nouveaux États membres s’empareront réellement des propositions futures de la Commission européenne pour impulser un mouvement au niveau national : lier l’adaptation des compétences aux opportunités du marche de l’emploi vert.
La transition vers une économie européenne faiblement consommatrice d’énergie semble intégrée par l’ensemble des 27, y compris dans les États est-européens durement touchés par la crise. Chaque État membre a son plan d’action en la matière, intégrant à terme les nouveaux objectifs de la stratégie « UE 2020 ». Cependant, cette crise financière et économique a mis à mal ce bel optimisme. Les différences nationales et régionales sont accentuées, l’urgence se porte sur le renforcement des réformes structurelles. De fait, à l’Est, les emplois verts ne peuvent constituer une réponse massive et immédiate aux effets de la crise, telle que la montée du chômage. Un mouvement est lancé, un gisement d’emplois se dessine. Les conditions d’un éventuel succès des emplois verts sont nombreuses.
Pour aller plus loin
Sur Internet
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Rapport 2009 sur l'emploi en Europe
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Rapport WWF "Low carbon jobs in Europe" - juin 2009
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Rapport GHK "Thematic Expert work on Green jobs" - rapport thématique pour la DG Emploi, dans le cadre de l'Observatoire européen pour l'emploi - août 2009
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Interview de Joël Decaillon , secrétaire général à l'environnement - Confédération européenne des syndicats (CES/ETUC) - octobre 2009
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Interview sur Euractiv de John Krenicki, PDG de GE Energy et vice-président de GE, "Pas d'emplois verts si le marché ne suit pas", 01/04/2010
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Programme UNEP , le programme Environnement des Nations Unies
Source photo : Free Green Nature Border Frame, D Sharon Pruitt, sur flickr